Depuis quelques années, la « synodalité » s’impose comme l’un des mots-clés du renouveau ecclésial. Présentée comme une méthode d’écoute, de participation et de discernement communautaire, elle se veut le signe d’une Église plus ouverte et plus fraternelle. Mais dans un récent article publié par le média italien La Bussola Quotidiana, le philosophe Stefano Fontana s’interroge : cette nouvelle dynamique, aussi bien intentionnée soit-elle, ne risque-t-elle pas d’affaiblir les fondements doctrinaux sur lesquels repose la mission sociale et morale de l’Église ?
L’auteur rappelle que la Doctrine sociale, depuis Rerum novarum de Léon XIII, s’est toujours appuyée sur un ordre clair : la vérité précède l’action. L’Église n’a jamais tiré son enseignement social d’une observation du monde, mais de la lumière de la foi et de la raison droite.
Les grands principes qui structurent cette doctrine – dignité de la personne, bien commun, solidarité, subsidiarité – n’ont pas été inventés pour répondre à des situations particulières, mais proposés comme repères universels et permanents. L’action chrétienne, dans la société, découle de cette lumière doctrinale et ne s’y substitue jamais.Or, le philosophe italien note qu’avec la synodalité telle qu’elle est aujourd’hui promue, ce rapport semble s’inverser. Le point de départ n’est plus la doctrine, mais la réalité vécue. L’expérience concrète, les attentes du monde et les évolutions culturelles deviennent la base du discernement ecclésial. Il ne s’agit plus d’évaluer ces réalités à la lumière de la foi, mais de les accueillir et de les intégrer, au nom d’une Église « inclusive », où chacun serait déjà partie prenante du Corps du Christ tel qu’il est.
Cette approche, en apparence pastorale, pourrait conduire à une dilution de la doctrine dans la praxis.
Stefano Fontana met en garde contre une Église dominée par l’« assembléisme », où la recherche du consensus remplacerait la clarté du magistère. Le processus synodal, en valorisant la participation de tous, introduit une logique démocratique qui, si elle n’est pas clairement encadrée, risque de relativiser la vérité. Dans une telle configuration, toutes les opinions deviennent légitimes, y compris celles contraires à la foi reçue. Le discernement se fait alors non plus à partir d’un enseignement stable, mais d’un débat permanent, ouvert, fluide, sans hiérarchie doctrinale.L’auteur observe également que ce modèle, fondé sur l’accueil et le dialogue, tend à remplacer la foi elle-même. L’annonce du Christ se confond avec l’ouverture, et le kérygme avec le simple fait de « sortir vers le monde ». L’Église, au lieu de se reconnaître dépositaire d’une lumière unique à offrir, risque de se concevoir comme une interlocutrice parmi d’autres, simplement bienveillante, toujours à l’écoute mais rarement enseignante.
Cette vision, affirme le philosophe italien, conduit à une Église qui ne juge plus, qui n’enseigne plus, et qui finit par ne plus éclairer.
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Le danger est alors spirituel autant que social. La Doctrine sociale repose sur la cohérence entre la foi et l’action : le chrétien est appelé à agir dans la société en fidélité à ce qu’il croit. Si la cohérence n’est plus exigée à l’entrée dans la vie ecclésiale, elle disparaît aussi à la sortie. Le pluralisme devient absolu, les décisions ecclésiales se fondent sur des votes d’assemblées, et chacun agit selon sa propre conscience, persuadé d’être inspiré par l’Esprit. L’unité doctrinale cède la place à une mosaïque d’opinions, et la foi devient affaire de sensibilité.Le philosophe italien ne rejette pas la synodalité en tant que telle. Il reconnaît l’importance du dialogue, de l’écoute et de la participation des fidèles. Mais il insiste sur un point capital : ces dimensions ne peuvent remplacer la vérité du Christ, ni la continuité du magistère. L’Église n’est pas une démocratie délibérative, mais un mystère de communion fondé sur la Révélation. La synodalité ne doit pas devenir un substitut de la vérité, mais un moyen de mieux la servir.
L’enjeu est donc considérable. L’Église doit-elle se contenter d’accueillir le monde tel qu’il est, ou continuer à l’éclairer à la lumière du Christ ?
Si la synodalité demeure enracinée dans la foi et la doctrine, elle peut devenir un authentique instrument de communion. Mais si elle se transforme en un simple processus d’adaptation au monde, elle risque d’appauvrir le message chrétien et de réduire la Doctrine sociale à un discours moral sans consistance.Comme le rappelait Benoît XVI dans Caritas in veritate, « sans la vérité, la charité se réduit à un sentimentalisme vide ». C’est peut-être là l’avertissement le plus profond que l’on puisse retenir : la synodalité ne portera du fruit que si elle reste fidèle à la lumière de la vérité qui précède tout dialogue.


