Ordonné prêtre le 29 juin 2019, le père Bruno Delorme est envoyé quelques mois plus tard en Birmanie, selon la tradition des Missions étrangères de Paris qui confient à leurs prêtres une terre de mission pour toute une vie.Avant de devenir prêtre, il a suivi des études de commerce à Lyon et a passé plusieurs années à l’étranger (Allemagne, Chine, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Philippines, Suisse) avant d’entrer au séminaire de Saint-Sulpice. Il est le quatrième prêtre missionnaire envoyé en Birmanie ces dernières années.En arrivant il a commencé par apprendre les rudiments du birman.
Pour le jeune missionnaire, cette immersion a été une étape décisive. Comprendre une langue, expliquait-il alors, permet d’entrer dans la manière de penser et dans la spiritualité d’un peuple. Cette expérience s’inscrit dans une longue continuité missionnaire.
Rappelons que dans les églises birmanes, les portraits alignés de missionnaires européens et de prêtres locaux rappellent la mission confiée depuis plus de trois siècles aux Missions étrangères de Paris, annoncer l’Évangile et former une église locale. Dans un pays de 60 millions d’habitants où les catholiques représentent environ un pour cent de la population, le père Bruno Delorme s’inscrit dans cette histoire, convaincu que beaucoup d’hommes et de femmes ne connaissent pas encore le Christ.
Puis le contexte local a brutalement basculé.Le coup d’État du 1er février 2021 plonge le Myanmar dans une guerre civile prolongée. Les violences, les arrestations, les bombardements et l’effondrement économique transforment profondément le quotidien de la population. C’est dans ce pays meurtri que le missionnaire poursuit sa route, jusqu’à être appelé à exercer son ministère pastoral à Mandalay, au centre du pays. En mars dernier, un tremblement de terre vient encore aggraver une situation déjà dramatique.Dans la paroisse Notre-Dame-du-Rosaire, où il exerce son ministère aux côtés du curé local, plus de 650 personnes déplacées à l’intérieur du pays sont aujourd’hui accueillies de manière permanente. Ces familles avaient commencé à se réfugier dans l’enceinte paroissiale bien avant le séisme, fuyant l’insécurité et les tensions politiques et sociales. Le tremblement de terre a amplifié leur détresse. Le père Bruno Delorme évoque une expérience profondément traumatisante, marquée par la destruction de maisons, de routes et de ponts, laissant des populations déjà fragilisées sans ressources immédiates.
À Mandalay, la reconstruction progresse difficilement. Les habitants tentent de rebâtir, mais manquent d’argent et de main-d’œuvre qualifiée. L’inflation est très élevée, les produits de première nécessité se font rares et leur coût est devenu prohibitif. La vie quotidienne est extrêmement difficile pour la majorité des familles. « La vie des gens ordinaires n’offre pas de grandes perspectives. Il reste la foi », confie le missionnaire dans un témoignage accordé à l’Agence Fides.Face à cette situation, la paroisse tente d’apporter un soutien matériel et spirituel. Chaque jour, les personnes déplacées sont nourries et accompagnées grâce à la solidarité de nombreuses personnes. Des abris temporaires ont été construits pour les familles. Malgré la détresse et l’affliction, le père missionnaire constate que l’espérance n’a pas disparu. Les personnes accueillies continuent à espérer un avenir meilleur pour leur vie et pour leur pays, même si cet avenir semble lointain et incertain.
Lire aussi
Parmi les déplacés hébergés dans la paroisse, environ 130 sont des enfants. Une petite école informelle a été mise en place afin de leur permettre de poursuivre un minimum de scolarité. En revanche, les jeunes adultes sont presque absents. En raison du service militaire obligatoire, beaucoup ont fui, parfois jusqu’en Thaïlande, laissant derrière eux des familles divisées et inquiètes.Cette réalité locale reflète la situation de l’ensemble du Myanmar, ravagé par près de cinq années de guerre civile. Le conflit a provoqué environ 3,5 millions de déplacés internes. Les communautés chrétiennes, minoritaires, partagent pleinement le sort de l’ensemble de la population, confrontée à une grave crise humanitaire.
À cette souffrance s’ajoute une grande incertitude politique. La junte militaire a annoncé la tenue d’élections, prévues en deux phases, le 28 décembre et le 11 janvier, mais limitées aux zones qu’elle contrôle. Le parti de la Ligue nationale pour la démocratie, vainqueur des élections précédant le coup d’État, n’y participera pas. Dans le même temps, les offensives militaires et les bombardements se sont intensifiés, touchant également des structures civiles, comme l’hôpital frappé le 10 décembre à Mrauk-U, dans l’État de Rakhine.Dans ce contexte, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est interrogé publiquement sur la possibilité d’élections réellement libres et équitables dans un pays fragmenté, où une partie du territoire échappe au contrôle de la junte et où l’armée réprime sa propre population depuis des années.
Au milieu de ces incertitudes, le père Bruno Delorme poursuit sa mission, fidèle à l’engagement pris lors de son envoi à vie. « On avance à petits pas, jour après jour, en faisant confiance à la Providence et à ce que le Seigneur nous donne à chaque instant, sans trop regarder vers l’avenir », explique-t-il. Baroudeur discret du Christ, formé dans le temps long de l’immersion missionnaire et désormais confronté à l’urgence humanitaire, il demeure aux côtés d’un peuple contraint de vivre au jour le jour, en s’en remettant à Dieu.


