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Le combat d’un couple chrétien iranien pour obtenir le droit d’asile en France

Revue de Presse : article LE FIGARO 28 novembre 2022

Dans le 55m2 prêté par le Centre d’accueil de demandeurs d’asile, Ata Fathimaharloei, 36 ans, et son épouse Somayeh Hajifoghaha, 37 ans, ne sont pas trop mal installés. Malgré les punaises de lit, ils possèdent un frigo, une machine à laver et disposent d’une chambrette pour les deux enfants, Moein et Daniel. L’horizon serait presque serein s’ils ne venaient de recevoir, mi-novembre, un nouveau refus de droit d’asile. Le quatrième en cinq ans. Ata accuse le coup. «Je dois avouer que cette fois-ci est très dure. Je pensais qu’avec la situation actuelle en Iran (les vagues de manifestations contre le régime des ayatollahs), il y avait de l’espoir».

Arrivés dans les Pyrénées-Orientales en 2018, le couple a fui l’Iran après la découverte par les autorités qu’Ata fréquentait une église chrétienne. Sur le document produit par un cabinet d’avocats iranien, certifié et traduit du persan, on peut lire : «Selon la Constitution iranienne et la loi islamique, tout Iranien ayant un père et une mère musulmans est également musulman et suivra la religion du grand prophète». Puisque Ata n’a pas exprimé «ses remords et sa repentance» après sa conversion, il est considéré par la République islamique d’Iran comme un «apostat». De facto, son contrat de mariage musulman est considéré nul et sa femme Somayeh, coupable adultère. Autant de crimes qui font planer sur la tête du jeune couple de lourdes peines de prison en Iran, jusqu’à la «sentence de mort».

Apostat et adultère

L’histoire de leur conversion commence à Chiraz, au sud de l’Iran. Ata, infirmier à l’hôpital psychiatrique, a la charge d’un jeune Arménien bipolaire. Il se lie d’amitié avec le père de l’enfant, pasteur évangélique qui, en tant qu’étranger, pratique sa foi en toute liberté. Quand l’homme lui parle de la Bible, Ata est séduit. En cachette, il commence à fréquenter l’église arménienne. Même sa femme Somayeh, qu’il vient d’épouser selon le rituel chiite, ignore tout de sa foi secrète.

Un jour, le fils atteint de troubles raconte innocemment à l’une des infirmières comment Ata fréquente le culte, chaque samedi avec son père. La direction est immédiatement informée. Dix jours plus tard, Ata est licencié. Il informe sa femme et tous deux réfléchissent. Pourquoi ne pas en parler au père de Somayeh ? Membre influent des Pasdaran, le corps des gardiens de la révolution, ce dernier trouvera sans doute le moyen de pourvoir un travail à Ata. Espoir naïf. Le beau-père menace de les dénoncer à la police des mœurs, et exige de sa fille,enceinte de trois mois, d’avorter. «Un bébé qui vient d’un chrétien dans notre pays, c’est vu comme le fruit de l’adultère», explique Ata.

Quatre refus consécutifs

Après 4000 kilomètres à travers l’Europe et 30.000 euros extorqués par un faux passeur, le couple et leur enfant arrivent en France en 2018. Une première demande d’asile est déposée à la hâte. Le dossier, mal ficelé, est rejeté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sous motif que la conversion ne justifie pas de mise en danger. Avec l’aide d’un avocat de Perpignan, Me Brivet-Galaup, le couple tente en 2020 une nouvelle demande auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Nouveau refus : les preuves, juge la Cour, ne sont pas suffisantes pour justifier d’une conversion sincère.

Un argument que l’avocat entend mal. «Nous avons pourtant fourni le texte traduit mentionnant les lois iraniennes en matière d’apostasie ! On a prouvé leur baptême, leur assiduité au culte, on a tout essayé”, déclare Me Brivet-Galaup, qui s’interroge par ailleurs de la pertinence de laisser une telle décision aux magistrats. Lors de l’audition, le juge a posé des questions étrangement intimes à Ata, lui demandant par exemple ce que sa conversion avait changé dans sa vie. Comment un magistrat peut-il juger d’une question aussi personnelle ?».«Ces choses sont difficiles à expliquer, confie pour sa part Ata au Figaro. Dans la religion chrétienne, on parle d’un Dieu qui aime, qui a envoyé son fils sur la terre. Notre dieu Allah n’est pas un dieu qui laisse libre. Sinon, pourquoi je serais ici ?».

Pour le jeune Iranien qui se rappelle des 40 coups de fouet reçus un jour pour un simple chewing-gum mâchée période de Ramadan, le refus de l’OFPRA est incompréhensible. «Cette histoire ne nous étonne pas, malheureusement, car elle est loin d’être unique», réagit pour sa part l’Aide à l’Église en Détresse (AED), ONG de défense des chrétiens dans le monde. «De manière générale, on a le sentiment que l’aspect religieux n’est pas pris en compte dans le droit d’asile”. En 2020 pourtant, plusieurs ONG, dont Midd EastConcern et le Christian Solidarity Worldwide, révélaient que près de 17 personnes converties au christianisme en Iran se trouvaient en prison pour apostasie. En février2021, le président Rouhani serrait la vis en introduisant dans le Code pénal des peines de prison pour «insulte à l’islam» et «activités déviante » qui «interfèrent avec la loi sacrée de l’islam». «Certes, le critère de sincérité de la conversion est difficile à vérifier. Mais il y a peut-être aussi la volonté d’éviter ce débat, par crainte d’être taxé d’islamophobie», avance de son côté l’AED.

À Perpignan, la famille iranienne mène une vie presque normale. Au bout de la deuxième demande d’asile rejetée, les subventions ont été coupées. Mais le centre chrétien leur fournit une aide financière quotidienne pour payer la cantine de l’école et l’université, où Ata et Somayeh apprennent le français. Leur petit deuxième, né en France, n’a toujours pas d’identité officielle. «On est dans une situation difficile, mais je ne regrette rien !», affirme Ata.

Leur avocat, de son côté, s’interroge :

«Est-ce qu’il faudrait attendre 10 ans pour convaincre de l’authenticité de leur foi ?».

Source LE FIGARO .

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