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Tribune Chrétienne

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Photo by Sean Ang

Le Pape face aux défis de la diplomatie internationale

Devant 180 diplomates réunis au Palais apostolique, le Pape argentin définira ce lundi 8 janvier les priorités internationales du Vatican pour l’année 2024, concernant les différents théâtres de conflits ou les enjeux mondiaux.

En tant qu’unique institution religieuse bénéficiant d’un statut de droit international, le Saint-Siège dispose d’un réseau diplomatique couvrant pratiquement l’ensemble de la planète. À ce jour, 183 États entretiennent des relations diplomatiques avec le Vatican. Le premier État à établir de telles relations fut le Royaume de France au XVe siècle, tandis que le sultanat d’Oman est le plus récent à le faire en 2023.

Le Saint-Siège ne poursuit aucun intérêt matériel ou temporel, privilégiant des objectifs moraux et la protection des communautés catholiques à travers le monde.

Comment cette diplomatie pontificale, par nature originale, a-t-elle évolué au fil de l’histoire moderne et contemporaine ? Le professeur émérite Claude Prudhomme, spécialiste de la stratégie missionnaire du Saint-Siège, a répondu aux questions de Vatican News lors d’un colloque aux Missions étrangères de Paris.

Extraits :

Comment définir la diplomatie pontificale, quelles sont ses caractéristiques traditionnelles par rapport à une diplomatie d’État classique?

Depuis le XIXᵉ siècle, dès lors que le Pape n’avait plus d’État temporel, il a fallu qu’il redéfinisse sa fonction. Le premier ayant cherché à se poser de manière internationale a très vite compris que c’est en tant que référence spirituelle, en tant qu’homme de paix qu’il pouvait le faire. Léon XIII (Pape de 1878 à 1903) avait commencé en se proposant comme conciliateur dans des conflits armés, mais en se tenant au-dessus. La diplomatie pontificale se nourrit d’abord de cette nouvelle manière pour la papauté de trouver sa place dans le monde d’aujourd’hui. Pendant longtemps, ce fut limité car le Pape parlait sans support étatique lui permettant d’être présent dans les institutions. Sa voix portait, mais dès qu’il y avait une conférence internationale, il ne pouvait avoir de représentant. Cela commence à être possible le jour où l’État de la Cité du Vatican est créé en 1929, permettant au Saint-Siège d’être à la fois une entité religieuse et d’avoir un support étatique.

 

Quels ont été les traits permanents de la diplomatie pontificale à l’époque moderne et contemporaine?

La diplomatie vaticane a deux volets. Le premier rappelle les principes. Dans leur formation, on apprend aux diplomates qu’ils sont d’abord là pour rappeler les valeurs religieuses auxquelles un catholique doit pouvoir se référer. Le deuxième volet concerne l’adaptation de ces principes à des problèmes concrets. Les Églises d’hier comme d’aujourd’hui ont besoin de liberté religieuse et de garanties concrètes. Les diplomates sont à la manœuvre pour obtenir des droits reconnus par la loi et veiller à leur respect.

Cela a parfois posé problème et pas seulement dans les régimes communistes: pourquoi permettre à l’argent venant de l’étranger de venir soutenir une Église qui donc est une Église étrangère? Pour rompre cela, et c’est aussi le rôle des diplomates, il faut montrer que le but de ces institutions locales, sociales généralement ou scolaires, qui sont ouvertes, n’est pas pour une puissance quelconque, mais pour le service de la société. On retrouve bien ici François. Parfois, c’est impossible.

Le Pape Benoît XV (1914-1922), par exemple, est le premier à en avoir fait les frais car il est, à l’époque, le seul homme à stature internationale à dire que la Première Guerre mondiale est un massacre entre frères, et qu’il faut arrêter tout de suite. Il a été accusé par les deux camps d’être un traître parce qu’il ne voulait pas les soutenir. Si vous ne soutenez pas un camp, vous devenez l’adversaire de l’autre, mais finalement, des deux. En témoigne notre plus brûlante actualité. Il y a des moments où il est impossible de faire accepter qu’on ne prenne pas parti. Si vous posez un geste ou dites une parole qui dans votre esprit va dans le sens d’une tentative de pacification des esprits, automatiquement les gens qui eux veulent que la paix n’arrive pas vous le reprocheront.

Cela traverse toute époque et a conduit l’Église à être très réticente à certaines formes de nationalisme, surtout quand elles avaient pour conséquence des formes de domination. Au fil des années, la diplomatie pontificale s’est davantage tournée vers le soutien et la diffusion des grands principes, et sur le plan concret, encore une fois, permettre à l’Église, surtout dans les pays où elle est fragile et minoritaire, de pouvoir vivre et survivre.

Comment la diplomatie vaticane s’est-elle progressivement insérée dans le concert des nations, le multilatéralisme et quelles relations particulières noue-t-elle avec l’ONU?

Une des grandes réussites de la très atypique diplomatie du Saint-Siège a été de réussir à faire de sa fragilité, l’absence d’État, une force. On ne peut l’accuser de poursuivre des objectifs politiques, économiques, ou militaires. Quand l’ONU fait appel à Paul VI pour qu’il intervienne lors de l’Assemblée générale, l’organisation y voit d’abord une force, soit philosophique pour les uns, soit spirituelle pour les autres, un discours qui, justement, n’est pas le discours tenu habituellement par les chefs d’État.

Comme on dit tout le temps à Rome, pour définir ce qu’est le Saint-Siège, il est sui generis du latin pour dire qu’il n’appartient à aucune catégorie. Il est propre. Il peut ne pas dire ce que les autres disent tout en étant assis à la table des États, ce qu’aucune autre religion n’a. Il n’y a aucun représentant des bouddhistes, des musulmans ou des protestants, qui peut intervenir en se faisant entendre bien au-delà de sa propre confession, capable de tenir un discours qui soit de cet ordre.

Pour les États, quel est l’enjeu principal d’une accréditation diplomatique près le Saint-Siège?

L’enjeu essentiel quand on est à Rome, et cela depuis le XIXᵉ siècle, tous les ambassadeurs, notamment français, près le Saint-Siège, le disent: c’est à Rome, auprès du Saint-Siège qu’on trouve le plus d’informations sur ce qui se passe dans le monde.

On est face à des réseaux d’information et d’influence potentielle dont ils ne peuvent pas se priver. C’est d’abord un lieu où il y a de l’information. Les archives de la Secrétairerie d’État, celles des missions dites de la Propagande Fide n’ont pas d’équivalent dans le monde. C’est le seul lieu où arrivent de manière indéterminée, indistincte, de l’information et des problèmes du monde entier.

Vous êtes décentrés, vous ne voyez plus le monde à partir de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne ou des États-Unis, vous le voyez à partir de Rome, lieu hors sol si j’ose dire car cela vient de partout, avec des discours et des demandes complètement contradictoires. Et il faut faire avec tout ça. Les ambassadeurs en ont vivement conscience. La politique de la chaise vide est très dangereuse près du siège de Pierre.”

Source Vatican News

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