Le Synode général de l’Église d’Angleterre s’est ouvert hier dans un climat de crise sans précédent. Près de 500 membres étaient réunis à Londres pour redéfinir la manière dont sont traitées les affaires d’abus sexuels qui ont éclaboussé l’institution ces dernières années. Cette session, convoquée dans l’urgence après la démission de l’archevêque de Cantorbéry, Justin Welby, a été largement dominée par la publication du rapport Makin, un document accablant détaillant les abus systématiques commis par John Smyth, un ancien responsable de camps évangéliques, ainsi que les graves manquements des autorités anglicanes dans la gestion de cette affaire.
Le rapport Makin, publié début février, a mis en lumière l’ampleur des abus commis par John Smyth, un laïc influent ayant organisé des camps chrétiens dans les années 1970 et 1980. Il aurait agressé jusqu’à 130 garçons et jeunes hommes au Royaume-Uni, au Zimbabwe et en Afrique du Sud. L’Église d’Angleterre, au lieu de dénoncer ces faits, aurait couvert ces exactions pendant des décennies.
Le document révèle notamment que des responsables ecclésiastiques avaient connaissance des faits dès 1982, mais qu’aucune mesure n’avait été prise pour arrêter Smyth. Loin d’être sanctionné, il avait été discrètement envoyé en Afrique, où il a continué ses agressions. L’ampleur de ces abus, décrits comme « prolifiques, brutaux et horrifiques », ainsi que le silence coupable des autorités religieuses, ont provoqué une vague d’indignation qui continue d’ébranler l’institution.
Une Église déstabilisée, des évêques mis en cause
La publication de ce rapport a provoqué une onde de choc, jusqu’à la démission de Justin Welby en novembre 2024. L’ancien primat anglican a reconnu avoir failli en ne signalant pas ces abus aux autorités en 2013, malgré des alertes dont il avait été informé.Son successeur par intérim, l’archevêque d’York Stephen Cottrell, est lui-même impliqué dans une autre affaire. Lorsqu’il était évêque de Chelmsford, il aurait laissé en poste un prêtre suspecté d’abus, David Tudor, malgré des restrictions imposées par l’Église. Cette révélation a conduit plusieurs membres du Synode à réclamer son départ immédiat.
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Autre figure éclaboussée, l’évêque de Liverpool, John Perumbalath, a présenté sa démission en janvier dernier après la diffusion d’un reportage révélant des accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement à son encontre. Bien que les enquêtes de l’Église et de la police n’aient pas donné lieu à des poursuites, il a déclaré que le « procès médiatique » avait rendu sa position intenable.
Le Synode a également été l’occasion pour plusieurs victimes d’exprimer leur indignation face à l’impunité dont ont bénéficié leurs agresseurs et à l’absence de mesures concrètes pour empêcher de nouvelles tragédies.
Face à cette situation, plusieurs membres du Synode ont dénoncé la culture du secret et de l’impunité qui a longtemps prévalu au sein de l’Église anglicane. Ian Paul, membre du Synode, a déclaré : « Il n’y a jamais eu de crise comparable dans notre histoire récente. L’Église a perdu toute crédibilité en matière de protection des fidèles. »
De son côté, Andrew Graystone, militant pour les victimes d’abus, a appelé à un changement radical. « Nous ne voulons plus d’excuses creuses ni de rapports édulcorés. Ce que nous attendons, c’est une humilité réelle, des actes concrets et une tolérance zéro pour les agresseurs et leurs complices.« Le débat sur la mise en place d’un nouveau dispositif de protection des victimes, prévu aujourd’hui, sera scruté avec attention, d’autant que de nombreuses critiques dénoncent un système trop lent et inefficace.
Cette crise jette une ombre profonde sur l’institution fondée par Henri VIII, qui reste l’Église officielle du Royaume-Uni. Son gouverneur suprême, le roi Charles III, n’a pas encore réagi publiquement, mais les appels à une réforme structurelle se multiplient.Alors que la société britannique se sécularise rapidement, cette crise risque d’accélérer encore le déclin de l’Église anglicane, de plus en plus contestée même en son sein. La session du Synode se poursuivra cette semaine, mais pour beaucoup, les décisions qui y seront prises risquent d’être insuffisantes face à l’ampleur du scandale.