La Kabylie vit depuis plusieurs années une persécution silencieuse et implacable contre ses communautés chrétiennes. Depuis 2018, les autorités algériennes ont fermé méthodiquement plus de quarante églises protestantes, notamment à Tizi Wezzu et Bgayet. Les fidèles kabyles, souvent convertis au christianisme depuis deux générations, se retrouvent privés de lieux de culte. Certains pasteurs, traînés devant les tribunaux, ont écopé de lourdes amendes, de sursis, voire de peines de prison ferme. Ces condamnations se fondent sur l’ordonnance de 2006, qui interdit tout culte autre que l’islam sans autorisation préalable, autorisation systématiquement refusée. Une stratégie claire se dessine : pousser les chrétiens à la clandestinité et les user par des tracasseries judiciaires incessantes.
« Ils veulent nous forcer à renoncer à notre foi, ou du moins à la vivre dans la clandestinité », confie un responsable chrétien kabyle. « Depuis 2018, chaque dimanche peut se terminer par une descente de gendarmerie. Nous ne savons jamais si le culte pourra aller jusqu’au bout. »
Ce phénomène n’est pas nouveau. Dès la fin du XIXe siècle, le cardinal Charles Lavigerie, archevêque d’Alger, lança une vaste entreprise missionnaire en Kabylie à travers les Pères Blancs. Convaincu que la région pouvait redevenir chrétienne, il y implanta des écoles, des dispensaires et suscita des conversions modestes mais réelles. Dans le seul village de Taourirt Abdallah-Ouadhias, on recense entre 1888 et 1970 plus de 500 baptêmes. Ces communautés, souvent marginalisées, connurent après l’indépendance l’exil et le silence imposé par un régime qui définissait l’Algérie comme arabe et musulmane. Pourtant, malgré ces épreuves, la présence chrétienne kabyle ne s’est jamais éteinte.Aujourd’hui, la persécution est inscrite dans la loi. Depuis 2006, il est interdit d’« ébranler la foi d’un musulman » et chaque geste chrétien peut être qualifié de prosélytisme.
En janvier 2021, Mohammed Derrab est condamné à dix-huit mois de prison pour avoir prêché dans une église fermée et remis une Bible à un auditeur. Le 6 juin 2021, le pasteur-libraire Rachid Seighir et son assistant Nouh Hamimi écopent d’un an de prison avec sursis et de lourdes amendes pour avoir vendu des ouvrages chrétiens. Le 27 novembre 2023, le vice-président de l’Église protestante d’Algérie, Youssef Ourahmane, est condamné à un an de prison et cent mille dinars d’amende pour avoir encadré quelques familles en prière dans un complexe paroissial. L’article 144 bis 2 du code pénal complète ce dispositif en sanctionnant toute critique du dogme musulman. Hamid Soudad, converti kabyle, fut ainsi condamné à cinq ans de prison ferme pour une publication Facebook.
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À ces condamnations s’ajoute la fermeture en chaîne des lieux de culte. Quarante-trois des quarante-sept églises protestantes de Kabylie sont scellées, les fidèles n’ayant d’autre choix que de prier dans des maisons sous la menace de la police. En 2022, même Caritas, service caritatif catholique actif depuis soixante ans, a été fermée. Quant à la Constitution de 2020, elle a supprimé explicitement la liberté de conscience, interdisant de fait tout droit de changer de religion.Les contradictions du régime algérien sont criantes. Alors que l’Algérie siège depuis 2023 au Conseil des droits de l’homme de l’ONU et depuis 2024 au Conseil de sécurité, elle piétine quotidiennement la liberté religieuse. En novembre 2022, lors de l’examen périodique universel, son représentant à Genève osa affirmer que les règles imposées aux chrétiens n’étaient pas discriminatoires, puisqu’elles s’appliquaient aussi à l’islam. Cynisme qui frôle l’insulte, tant il est évident que les mosquées ne sont jamais fermées comme les églises kabyles.
Face à cette réalité, le silence de Monseigneur Vesco interroge et choque. L’archevêque d’Alger aime s’exprimer sur la coexistence pacifique et l’amitié islamo-chrétienne, mais il ne nomme jamais publiquement la persécution des chrétiens kabyles. Le dialogue interreligieux a son utilité, mais il ne peut se substituer à la mission première d’un pasteur : défendre ses fidèles et les protéger. Dialoguer alors que les brebis sont livrées aux loups relève non du courage mais du renoncement.
Les chrétiens kabyles ne demandent pas des privilèges, mais simplement de vivre leur foi en paix. Ils veulent pouvoir prier, lire l’Évangile et baptiser leurs enfants sans craindre la prison. Leur présence historique, marquée par les épreuves et les exils, leur confère une légitimité que personne ne peut effacer. « Nous ne sommes pas des intrus en Algérie, nous sommes chez nous », rappelle un fidèle. « Notre foi ne fait pas de nous des étrangers, elle nous rend encore plus attachés à la liberté et à la dignité de l’homme. »Aujourd’hui, l’heure n’est plus aux discours convenus mais au courage. L’histoire se souviendra de ceux qui auront défendu la liberté de conscience en Algérie, et de ceux qui, par calcul ou par faiblesse, auront choisi le silence. Rome ne peut pas rester spectatrice. Le pape Léon XIV, la Curie et l’Église universelle doivent rappeler publiquement que la liberté religieuse est un droit fondamental, et que la persécution des chrétiens kabyles n’est pas une question secondaire mais une urgence morale.