Par Anne-Marie Michel
L’Église est entrée en Carême lors du Mercredi des Cendres. Cette période de quarante jours est une grâce donnée pour nous purifier de nos péchés en vue de nous rapprocher du Seigneur. Un temps de pénitence, pendant lequel le sacrement de la confession trouve une place particulièrement féconde.
Ce sacrement est pourtant controversé depuis des années dans le contexte des crimes de pédophilie commis dans l’Église. Fin janvier dernier, la sénatrice démocrate du Montana aux États-Unis, Mary Ann Dunwell, a déposé un projet de loi visant à « éliminer l’exemption accordée au clergé en matière de signalement obligatoire des cas de maltraitance et de négligence envers les enfants ».
Le but de la loi est fondamental et urgent : protéger les enfants des abus sexuels. Mais le moyen employé cause problème, puisqu’il s’oppose radicalement au droit canon de l’Église qui impose, sous peine d’excommunication, tout prêtre au secret strict et absolu de la confession.
La sénatrice Dunwell s’explique : « Il s’agit de lois civiles et pénales visant à protéger les enfants contre les abus sexuels. Il ne s’agit pas de droit canonique. Sinon, il n’y aurait pas de séparation de l’Église et de l’État. » Il y a donc conflit entre deux régimes législatifs indépendants. De nombreuses tentatives ont déjà eu lieu pour briser le secret du sacrement de pénitence : en mai 2023 dans le Delaware et dans le Vermont. En Australie, en Ireland, au Costa-Rica, mais aussi en France, en particulier lors de la publication du rapport Sauvé en 2021.
L’état des lieux de la tragédie des abus commis envers des enfants est accablant. La société toute entière, et avec elle l’Église catholique, sont profondément salies par la pratique de déviances sexuelles graves. « Au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse et en Australie, des études montrent systématiquement qu’environ 20% des femmes et 8% des hommes ont souffert d’abus sexuels pendant leur enfance, et la plupart du temps dans leur famille. »[1] Le rapport John Jay publié en 2004 aux US montre qu’entre 1950 et 2002 « sur 100000 prêtres que comptaient les États-Unis, 4392 d’entre eux ont fait l’objet d’accusations, soit 4.4%. […] Plus de la moitié des prêtres accusés ont été accusé d’un seul incident. 149 individus étaient à eux seuls responsables du quart de ces accusations. »
[2] La prise de conscience de l’ampleur du désastre, tant dans la société civile que dans l’Église, a été bien trop longue : les victimes n’ont pas été prises au sérieux et se sont terrées dans le silence avec une souffrance indélébile. Les médias se sont emparés du sujet et ont « aidé l’Église à changer. […] Ils ont braqué les projecteurs sur les recoins les plus sombres de l’Église avec précision et professionnalisme, ce qui a incité l’Église à changer d’attitude et à mettre en place de nouvelles procédures. »[3]
La traque aux prédateurs s’avère urgente pour préserver les enfants. Pour cela, certains représentants des autorités politiques envisagent de briser le secret de la confession, c’est-à-dire d’obliger légalement le prêtre à dénoncer le pénitent s’accusant de pédophilie. Cette piste se heurte radicalement au droit canon en la matière. Le secret de la confession est absolu et non négociable. L’Église est prise en étau entre sa fragilité depuis les scandales, ses tentatives d’étouffement des affaires, au début du moins, et sa défense du secret de la confession.
La bagarre éclate ouvertement, avec la malice des médias, lors de l’interview[4], le 6 octobre 2021, de Mgr. Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des Évêques de France sur France Info par Marc Fauvel. Le journaliste fait dire à l’évêque que le secret de la confession serait plus fort que les lois de la République. Ce piège médiatique entraîne alors Mgr. de Moulins-Beaufort à s’expliquer devant le Ministre de l’Intérieur et des Cultes de l’époque, Gérard Darmanin.
L’Église aurait-elle l’audace insolente de se croire au-dessus de la sacro-sainte république ? Darmanin attaque le 7 octobre en affirmant que toute personne ayant connaissance d’un crime sur un enfant devait être « déliée du secret ». L’évêque s’en sort par une entourloupe : le secret de la confession « a toujours été respecté par la République française » et « n’est pas contraire au droit pénal français ». Jean-Marc Sauvé s’en mêle le 11 octobre dans les colonnes de Famille Chrétienne : « l’obligation de protéger la vie des personnes est supérieure à l’obligation du secret de la confession qui vise en particulier à protéger la réputation du pénitent ».
Si protéger la vie des personnes est une obligation, pourquoi personne ne lève le petit doigt quant à l’avortement qui sera l’ultra scandale de demain ? Si Gérard Darmanin veut s’attaquer à tous les crimes commis contre les enfants, il faudrait ajouter à tous les crimes sexuels, les innombrables blessures causées par le divorce. Dans ce cas également, les victimes silencieuses ne déposent aucune plainte. C’est bien des fondements de notre société qu’il conviendrait de revisiter.
Serions-nous à côté de la plaque ? Car une question se pose : les grands prédateurs pédophiles se confessent-ils ? Serions-nous en train de frapper des grands coups d’épée dans l’eau ?
Dans le même registre, on veut faire comprendre à l’église que pour régler le problème des prêtres pédophiles, il faudrait enfin permettre à tous les prêtres de se marier. On veut régir l’Église, la dominer et la soumettre aux lois du monde. Sauf que l’écrasante majorité des pédophiles sont précisément des pères de familles, des grands-pères, des oncles, des cousins ou des grands-frères. Dans les milieux sportifs, où les abus ont fait rage aussi, les prédateurs n’étaient pas connus pour leur vœu de chasteté.
S’attaquer au secret de la confession serait-il en réalité beaucoup plus dangereux qu’il n’y paraît ? Le journaliste Pierre-Antoîne Pontoizeau pour France-Soir s’interroge[5]. Dans un article publié le 17 novembre 2021, il s’inquiète de voir combien un certain milieu politique s’attaque de façon méthodique aux « trois détenteurs des secrets qui font l’intimité et la dignité humaines dans une société civilisée ». « Le secret médical a été bafoué, obligeant chacun à des conversations sur sa vaccination. Le rapport Sauvé […] a donné l’occasion au ministre de l’Intérieur de remettre en cause le secret le plus précieux de celui qui veut confesser ses péchés. « Aucune loi n’est au-dessus de celles de La République », nous dit-il.
Très récemment le bâtonnier et doyen de l’ordre des avocats de Paris, Pierre-Olivier Sur, s’est ému du projet de loi brisant le secret de la défense. Médecins, prêtres et avocats seront demain des délateurs zélés en macronie. » Dans une société traquant le secret, l’avocat dénoncera son client, le médecin son patient, le prêtre son pénitent et l’agent-secret son propre État. C’est vite invivable. La dénonciation zélée ne videra donc pas les confessionnaux des prêtres pédophiles.
La confession est le lieu de l’aveu des péchés devant Dieu, pas de la délation. L’Église a entrepris la lutte contre les crimes pédophiles abominables par l’écoute des victimes. Elle a demandé des enquêtes indépendantes pour faire la vérité et réformé la sélection et la formation des candidats au sacerdoce. La société civile, elle, peine à comprendre combien sa propre conversion est urgente. Le Carême nous offre l’occasion de l’y aider par notre prière et notre jeûne. Jeûner et prier pour la conversion des pécheurs dans l’Église, jeûner et prier pour la conversion des médias, du monde politique, du monde éducatif.
[1] Austen Ivereigh, Comment répondre aux questions brûlantes sur l’église sans refroidir l’ambiance, Éditions de l’Emmanuel, 2016, p.180
[2] Ibid. p. 185
[3] Ibid. p. 200
[4] https://www.laselectiondujour.com/la-republique-protege-le-secret-de-la-confession-n1407
[5] https://www.francesoir.fr/opinions-tribunes/secret-de-la-defense-secret-medical-secret-de-la-confession-en-marche-et-ses-gros