L’étude menée sur plus de 18 000 Français par l’Ifop pour Bayard-La Croix révèle un paysage contrasté. En 2025, 46 % des adultes se déclarent catholiques. Mais au-delà de l’appartenance, c’est la pratique qui donne la mesure réelle de l’engagement. Seuls 5,5 % des adultes, environ trois millions de personnes, vont à la messe au moins une fois par mois. À l’intérieur de ce groupe se trouvent les messalisants hebdomadaires, ceux qui participent chaque dimanche à l’Eucharistie, cœur vivant de la vie chrétienne. À côté d’eux, environ 3,5 millions de catholiques « occasionnels engagés » ont pris part à la vie paroissiale ou caritative, mais fréquentent peu ou très rarement la messe dominicale.Les différences entre ces deux univers apparaissent d’abord dans la vie de prière. Parmi les pratiquants réguliers, huit sur dix prient très ou assez souvent à la maison. Quarante-quatre pour cent récitent le chapelet, un peu plus d’un tiers se confessent régulièrement et participent à des temps d’adoration.
Près de quatre sur dix définissent l’engagement catholique d’abord comme une relation d’intimité avec Jésus, la recherche de la sainteté ou la lutte contre le péché. Ces chiffres sont significatifs, là où la liturgie est vécue chaque semaine, la foi se structure comme une forme de vie, pas seulement comme un héritage.
Chez les occasionnels engagés, on valorise surtout des notions de partage et de paix. La foi se dit davantage en termes de valeurs qu’en termes de conversion. La consultation de la Bible, des textes de la messe ou des lectures spirituelles est nettement moins fréquente, avec parfois plus de trente points d’écart avec les réguliers. Cela manifeste un décalage, là où la Parole de Dieu nourrit quotidiennement, les convictions se clarifient, là où elle n’est qu’occasionnelle, la foi se réduit plus facilement à une référence culturelle.L’écart devient encore plus visible sur les questions de société. Sur l’euthanasie, 35 % des pratiquants réguliers s’y opposent, contre seulement 9 % des occasionnels. Sur l’avortement, l’opposition est de 34 % chez les réguliers, et atteint 46 % chez les messalisants hebdomadaires. Les chiffres montrent une corrélation forte, plus la messe et les sacrements rythment la vie, plus l’adhésion à l’enseignement de l’Église sur la vie humaine est claire. Chez les occasionnels, l’acceptation de l’avortement et de l’euthanasie est « très large ». La pratique régulière produit un regard plus cohérent, moins aligné sur les normes dominantes.
Le rapport à l’engagement public révèle le même contraste. Six occasionnels sur dix n’ont jamais manifesté ni milité sur un sujet porté par l’Église. Chez les pratiquants réguliers, c’est l’inverse, la majorité a déjà pris part à des mobilisations.
Les thèmes évoqués vont de la solidarité, pauvreté, migrants, aux enjeux bioéthiques et de morale sexuelle. Les chiffres rejoignent l’expérience pastorale de ces dernières années, l’action publique, même minoritaire, vient de ceux qui voient dans la foi autre chose que des valeurs générales. L’adhésion doctrinale et l’engagement public vont souvent ensemble.
Un autre enseignement important concerne la manière de percevoir l’avenir de l’Église. Presque un occasionnel sur trois cite comme premier défi la capacité de l’Église à « se réformer en profondeur pour regagner la confiance des fidèles ». Cette demande s’exprime souvent comme si l’Église était un organisme social ou une marque dont l’image devrait être refaite pour convenir au public. Mais l’Église n’est ni un parti politique, ni une entreprise culturelle, elle ne se définit pas par l’opinion du moment. Lorsqu’on réclame qu’elle « s’adapte », on suppose implicitement qu’elle pourrait modifier son enseignement pour correspondre au climat dominant. Cela trahit, dans bien des cas, une méconnaissance de ce qu’est l’Église dans sa nature profonde, elle n’est pas le résultat des attentes humaines, mais la gardienne d’un dépôt reçu.L’enquête montre, à l’inverse, que les pratiquants réguliers se situent ailleurs. Leur priorité n’est pas de transformer l’institution pour la rendre conforme au monde, mais d’intensifier la vie chrétienne, prière, sacrements, transmission, combat spirituel. Là où l’on vit la liturgie chaque semaine, l’objectif n’est pas d’avoir une Église plus « séduisante », mais plus sainte. La distinction est décisive.
On peut, bien sûr, réfléchir aux formes et aux modalités pastorales, mais la mission ne consiste pas à s’aligner sur les standards sociaux ou médiatiques. Il ne s’agit pas d’un choix tactique, mais d’une fidélité. Ce que certains perçoivent comme « adaptation nécessaire » naît souvent d’une incertitude doctrinale ou d’une vision réduite de l’Église comme acteur social parmi d’autres.
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Or la vocation de l’Église n’est pas de suivre le monde, mais d’annoncer l’Évangile. Les deux attitudes, adaptation et conversion, ne sont pas sur le même plan, l’une part du monde, l’autre part de la foi.
Notons aussi que le profil sociologique des pratiquants réguliers est précis. Leur âge moyen se situe légèrement en dessous de cinquante ans. Près d’un sur trois vit en région parisienne. Un peu plus de la moitié sont des hommes. Près des deux tiers ont grandi dans des familles pratiquantes, ce qui confirme le rôle essentiel de la transmission. Pourtant, 13 % des pratiquants mensuels viennent de familles non pratiquantes. Autrement dit, la pratique attire encore, elle ne se réduit pas à un héritage.Politiquement, il n’y a pas de bloc uniforme. Quatre pratiquants réguliers sur dix se disent proches de la droite ou de l’extrême droite, trois sur dix proches de la gauche ou de l’extrême gauche, et quinze pour cent proches de la majorité présidentielle. Le catholicisme pratiquant n’adhère pas à une couleur unique, les convergences se trouvent ailleurs, sur les questions de morale et de liturgie.
Sur ce dernier point, plus des deux tiers des pratiquants réguliers n’ont rien contre la messe en latin, certains y sont sensibles, d’autres y voient un recul. Mais ce sujet ne divise pas profondément, la liturgie est davantage vécue que débattue.
Sur l’islam, on observe une double attitude. Plus de huit sur dix affirment qu’il ne faut pas confondre la majorité pacifique avec quelques extrémistes. Mais un peu plus de sept sur dix expriment une inquiétude de « l’expansion » de l’islam en France. L’ouverture et l’inquiétude coexistent, ce qui traduit un réalisme lucide plutôt qu’une crispation. Les deux groupes, réguliers et occasionnels, partagent un sentiment, celui d’être aujourd’hui « une minorité » dans la société, non au sens statistique, mais au sens de visibilité et d’influence.
les chiffres invitent à un constat mesuré. Le catholicisme en France se compose aujourd’hui de deux réalités : une pratique régulière, minoritaire mais structurée, et une appartenance plus diffuse, encore présente mais moins affirmée. La pratique hebdomadaire, la prière, la confession et la fréquentation des sacrements semblent jouer un rôle déterminant dans la clarté des convictions et la cohérence de vie. Cette cohérence n’est pas absolue, elle n’efface pas la diversité des sensibilités, des âges ou des opinions politiques, mais elle donne une orientation stable.L’autre partie du monde catholique garde un lien réel avec l’Église, souvent affectif et culturel, parfois engagé, mais plus éloigné de la liturgie dominicale et de la référence doctrinale. Ces deux univers ne s’opposent pas, ils coexistent, même s’ils ne se nourrissent pas de la même manière.Ce sondage ne trace pas la perspective d’un déclin inexorable ni celle d’un renouveau spectaculaire. Il montre plutôt un paysage où la pratique régulière demeure un lieu important de transmission et de fidélité, tandis que l’appartenance occasionnelle appelle des chemins d’accompagnement et de discernement. La réalité est moins tranchée qu’on ne l’imagine : elle invite à ne pas surestimer le nombre ni sous-estimer la profondeur. Là où la foi est vécue, même simplement, elle continue de façonner des vies et de demeurer présente dans la société.


