Alors que près de 20 000 jeunes ont marché vers Chartres à la Pentecôte dans une ferveur impressionnante, certains intellectuels s’alarment. Parmi eux, le philosophe Grégory Solari, essayiste et éditeur suisse, dans une tribune publiée le 9 juin dans La Croix, ce journal décidément toujours prompt à nuire à l’Église de France, directement ou indirectement, dénonce ce qu’il appelle une « vitrine exhibant les atours de la messe tridentine » et invite à « dire à la jeunesse en marche qu’il existe une autre voie ». Celle, sans doute, de la résignation liturgique et des expérimentations en tous genres.
Au fil d’un texte empreint d’un mépris tranquille, Solari suggère que le pèlerinage serait animé par une « dialectique stérile », nourrie de passéisme, et que ses participants avanceraient à rebours de l’Église vivante. La pique finale est éloquente : « une caravane de barrettes avec pompons doublés de surplis avec dentelles. La fierté de la tradition ».On aurait pu espérer, d’un théologien, une analyse plus subtile. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit des milliers de jeunes prier, chanter le Credo en latin, se confesser sur les chemins et communier à genoux dans une cathédrale pleine à craquer. Cela méritait mieux qu’un sarcasme sur la dentelle.
Mais le plus grave se niche ailleurs. Dans une insinuation glaçante, selon Solari, l’adoption occasionnelle de l’ordo de 1948, notamment pour le Triduum pascal, manifesterait une « ambiguïté négationniste » liée à une volonté de « faire résonner l’équivocité de la prière du Vendredi saint pour le “perfide” Peuple Juif ».
Joint par téléphone l’association Notre Dame de Chrétienté, organisatrice du pèlerinage de Chartres, précise que le missel utilisé au pèlerinage de Chartres est celui de 1962, promulgué par Jean XXIII, et non une version antérieure : « Ce missel contient déjà la prière révisée pour les Juifs, débarrassée du terme perfidis. L’argument de Solari ne tient pas, pire, il jette une suspicion morale injustifiée sur des fidèles sincères.«
En réalité, ce qu’on entend et ce qu’on voit à Chartres, ce sont des chants sacrés, des voix qui s’élèvent vers Dieu avec une beauté que la liturgie traditionnelle offre dans toute sa solennité. Les prières chantées en grégorien ou en polyphonie, le silence du canon romain, la liturgie tournée vers l’Orient, tout cela élève l’âme. Ce n’est pas une critique implicite de la forme moderne, qui peut porter tout autant des fruits de sainteté, mais ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est le fait que la tradition, loin d’être une poussière du passé, attire aujourd’hui, particulièrement chez les jeunes, précisément parce qu’elle donne à voir le sacré, le mystère et la beauté transcendante.
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Ce que refuse de voir Solari, c’est que cette jeunesse n’est pas dupée. Elle connaît « l’autre voie », elle en vient, elle y baigne depuis l’enfance, elle a vu les guitares, les sketchs, les messes improvisées, elle a vu les églises se vider… Et pourtant, elle choisit librement la route de Chartres. Ce n’est pas un repli, mais une ascension, ce n’est pas un enfermement, mais une élévation. Et elle n’a pas besoin de leçons.
Nous, journalistes de Tribune Chrétienne, y étions. Nous avons vu, nous avons entendu, nous avons marché. Et nous avons été convaincus. La ferveur était là, la folie de Dieu étreignait chaque pèlerin, sur les chemins et dans les cœurs. Monsieur Solari, y étiez-vous ? Avez-vous entendu leurs Ave Maria dans la nuit, leurs silences devant le Saint-Sacrement ? Nous, oui.
Et pourtant, reconnaissons-lui une chose, Grégory Solari a raison sur un point, et non des moindres. Lorsqu’il écrit que la seule voie de sortie à cette tension liturgique pourrait passer par la libéralisation de la messe tridentine, il touche juste. Car ce n’est pas l’interdiction qui pacifie, mais la confiance, ce n’est pas la répression qui rassemble, mais la liberté donnée aux pasteurs de répondre à la demande des fidèles. Cette intuition, Benoît XVI l’avait portée avec Summorum Pontificum, elle reste d’une brûlante actualité.Juste un point de vigilance toutefois : cette ouverture ne doit pas devenir un prétexte pour marginaliser les congrégations qui, depuis des décennies, évangélisent à travers cette forme. La Fraternité Saint-Pierre, l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, l’Institut du Bon Pasteur, pour ne citer qu’eux, sont des instruments de grâce. La voie de la paix liturgique ne peut s’ouvrir qu’en accueillant tous les ouvriers de la moisson.
Alors oui, la caravane de Chartres avance. Elle n’est pas faite de pompons, mais de cœurs brûlants, de genoux qui ploient, de jeunes qui chantent la gloire de Dieu. Et si cela dérange certains, c’est peut-être parce que cette jeunesse, enracinée dans la tradition, n’est pas un problème, mais une réponse.
Quant à cette fameuse « autre voie » si chère à l’auteur, nous lui souhaitons sincèrement, et avec charité, de découvrir un jour une voie bien plus féconde : celle de « la petite voie », celle de l’humilité, chère à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.