C’est Monsieur Bernard GHESELLE de l’association Solidarité Enfants du Liban qui de retour de son séjour au Liban nous livre son témoignage.
« De retour du Liban depuis ce lundi 24 octobre après avoir séjourné dans le pays près de 3 semaines et mené une 24-ème mission plus particulièrement dans le quartier de NABAA , le plus pauvre de Beyrouth, j’ai besoin de mettre par écrit ce que j’ai vu, entendu, partagé , vécu… Tout cela au nom de l’Association « Solidarité Enfants du Liban « que j’ai fondée en 1998 et dont je suis le président depuis.
Surprise d’abord par le contraste saisissant d’un Liban qui vit, s’amuse, consomme, profite …comme si de rien n’était …. Mais quand on analyse, on s ’aperçoit que ce Liban- là est celui des chanceux…des habitants de certains pays voisins, des riches Emirats notamment …mais aussi de certains libanais qui ont la chance d’être payés en dollars par des employeurs étrangers, comme avant la crise certes mais avec un dollar qui équivaut aujourd’hui à plus de 40.000 livres libanaises au lieu des 1510 d ’avant la crise, il y a encore 3 ans …Pour ceux-là c’est le jackpot.
Les autres, payés en dollars par des employeurs libanais et qui constituent la grande majorité, ont vu leur salaire fondre comme beurre au soleil. Explication : s’ils étaient payés 1000$ au taux du $ à 1510 livres libanaises, maintenant leur salaire est diminué d’autant (en lien aujourd’hui avec 1$ à 41000 livres libanaises) c’est-à-dire presque 27 fois moins et donc un salaire à 37$ et des prix augmentés d’autant, pouvant donc être 27 fois plus élevés… et cela quand ils travaillent. C’est le piège, sans aucune aide de l’Etat.
Couramment d’ailleurs le libanais dit :
« Ici il n’y a pas d’état …L’Etat c’est nous ! »
Et souvent, réduit à l’impuissance, il ajoute, blasé : « C’est le Liban».
Dans les quartiers pauvres, dont celui de NABAA où est notre mission, c’est la catastrophe. La pauvreté constatée l’année dernière, quant à la même époque le $ était à 19.000 livres libanaises, s’est accentuée et s’est mutée pour beaucoup en misère totale. L’alimentation est réduite à du riz, des lentilles, certains légumes mais jamais avec viande ou poisson. Plus de produits laitiers car avec les coupures de courant les frigos ne gardent plus les aliments frais. Dans un logement j’ai vu une maman de 3 enfants préparer le repas du midi : 5 pommes de terre cuites dans de l’eau…L’électricité et l’eau distribuées toutes les 2 chichement sont les obsessions quotidiennes du libanais.
Dans le quartier où j’ai vécu et qui n’était le plus triste, l’électricité était donnée le matin de 6H à 7H30 seulement puis le soir à partir de 18H30 jusqu’à minuit 30 …et parfois dans ces horaires soudainement elle était coupée. Le matin il faut s’organiser en fonction (toilette, petit déjeuner, préparation des enfants pour l’école, impérativement avant la coupure…tout cela si la maman a pu payer les frais d’inscriptions et les fournitures) … et le soir, dans les quartiers où l’électricité est distribuée à d’autres moments, il s’agit pour les enfants de retour de l’école (quand ils ont la chance de pouvoir y aller) de travailler souvent à la bougie avec les nuisances pour leurs yeux dont la fumée.
Sans électricité impossibilité d’avoir de l’eau dans les citernes installées sur les toits- terrasses car il faut un moteur pour l’y monter. Certains libanais ont des générateurs pour fabriquer l’électricité mais là aussi il faut de l’essence qui coûte cher pour les faire fonctionner et pour beaucoup cela n’est pas possible. Quand la livraison d’eau par camion-citerne est possible, elle l’est une fois par semaine et par quartier …il faut alors saisir sa chance car parfois la citerne arrive vide une fois au niveau du logement ! Et il faut attendre plusieurs jours pour qu’elle revienne en appelant régulièrement. Cette eau est privée et il faut aussi la payer en plus de celle distribuée chichement par l’Etat par le robinet du logement. Pour l’eau privée il y a un 2ème robinet. Dans les 2 cas, elle n’est pas potable. L’eau potable est à acheter dans des commerces, quand on le peut … sinon on s’expose à des situations de déshydratation quand on n’en boit pas ou à de douloureux maux de ventre voire empoisonnement quand on en boit.
J’ai vécu personnellement ces manques. Pour l’électricité, j’y ai paré avec une lampe frontale. Pour l’eau c’était plus difficile et il fallait après l’effet de surprise (brutalement plus d’eau…), prévoir des réservoirs d’eau potable avec à côté des réservoirs d’eau pour laver et se laver. Et là c’était nettement davantage « prise de tête ».
En cette rentrée scolaire , beaucoup de mamans souffrent aussi de ne pouvoir scolariser leurs enfants en raison de l’augmentation importante des frais d’inscriptions , des scolarités , des fournitures …et nombre d’enfants restent à la maison , ne sachant que faire …à la merci de trafics de toutes sortes : travail, vente de produits illicites , prostitution aussi comme le signale la lettre d’information FOLLEREAU de ce trimestre:
« La précarité et la misère exposent les femmes et les enfants au trafic d’êtres humains que cela soit par le travail forcé ou encore les réseaux de la prostitution. »
Il y a aussi une autre crainte, qui s’ajoute à celles évoquées : celle de l’augmentation des loyers, parfois multipliés par 5 à partir du 1er janvier 2023. Des courriers en ce sens ont été envoyés aux locataires. Quand on sait que dans les quartiers où vivent ces familles, dans des logements insalubres, humides, dépourvus de tout confort, le salaire moyen depuis la crise est souvent inférieur à 50$ …et que déjà bien souvent le loyer le dépasse et que seules les aides alimentaires données par des associations locales permettent aux familles de survivre, on devine l’angoisse des mamans. Manifestement sur ce point il y a eu entente entre les propriétaires. L’Etat n’intervient aucunement …Comme dit le libanais : « Ici, l’Etat n’existe pas. L’Etat c’est nous » …. Et force est de constater que c’est la triste réalité.
Enfin sur le plan de la santé, là aussi c’est dramatique. A part pour les nantis, il n’y a pas de système de protection. Le cancéreux attend la fin sans traitement car il ne peut pas payer l’entrée à l’hôpital. Et même s’il le pouvait, la majeure partie des médecins a fui le pays préférant exercer sous des cieux davantage hospitaliers. Seules demeurent les cliniques privées aux tarifs inaccessibles pour les familles.
Sur ce chapitre, l’inquiétude grandit quant au choléra dont le 1er cas a été signalé au Nord à la frontière syrienne le 6 octobre, jour de mon arrivée. Depuis de multiples cas ont été signalés. Cette maladie est toujours le signe d’un pays en plein effondrement. L’irruption de l’épidémie serait due à la consommation d’eau polluée mais aussi aux nombreux mouvements de population qui propagent la maladie et aux camps de réfugiés. Pour autant « ni vaccins, matériel de stérilisation, tests … Ne sont disponibles », explique la directrice d’un camp de réfugiés syriens au nord du pays.
En conclusion, j’ai pu constater que le pays s’enfonce inexorablement. Les classes moyennes sont devenues pauvres et les pauvres ont sombré dans la misère. L’avenir est sombre à moins que le gisement de gaz découvert récemment au large des côtes et dans les eaux territoriales soit reconnu par les uns et les autres. Certes il a pu faire récemment l’objet d’un accord entre Israël et le Liban, accord parrainé par les Etats-Unis. Mais quand on connaît les intérêts en jeu, la duplicité des uns et des autres dans le passé, on peut légitimement douter du bénéfice que pourra en tirer le Liban. ».