
Dans un récent article ( 9 septembre 2025 ) , l’universitaire américain James D. Tabor s’est attaché à dresser le portrait “historique” de Marie, mère de Jésus, en reléguant au second plan, voire en contestant, les fondements surnaturels de sa maternité. Sous couvert de méthode critique, James Tabor rejette le mystère de la conception virginale, qu’il réduit à une élaboration théologique tardive, et voit en Marie une simple femme juive, pieuse mais ordinaire, inscrite dans la trame socioreligieuse de la Galilée du Ier siècle.
Or c’est précisément sur ce point que le Père Edouard Divry* souhaite répondre : la virginité de Marie n’est pas une légende ajoutée après coup, mais un élément constitutif du dessein divin, attesté par l’Écriture et reçu dès les origines de la foi chrétienne.
La tradition de l’Église, des Pères jusqu’aux conciles, n’a fait que contempler plus profondément ce mystère ,celui d’une femme choisie pour concevoir sans le concours d’un homme, demeurant vierge avant, pendant et après l’enfantement, signe éclatant de l’initiative absolue de Dieu.Là où James Tabor cherche une figure purement humaine, le Père Divry rappelle que Marie est d’abord le lieu d’un miracle théologique : celui par lequel le Verbe s’est fait chair. Et c’est en cela, précisément, que son humilité devient universelle, que sa maternité devient divine, et que son oui virginal fonde l’espérance de toute l’humanité.
C’est dans cet esprit de clarification que le Père Divry a accepté de répondre à plusieurs questions précises, afin d’éclairer le sens véritable de la virginité de Marie et d’en rappeler la portée théologique et spirituelle.
Quand on dit que la « Vierge » Marie est vierge, est-ce une réalité physique ou mythique ?
Les pères de l’Église ont unanimement affirmé la virginité physique de Marie dès les premiers siècles. Il n’y a pas eu beaucoup de débats à ce sujet. Les oppositions venaient surtout des Juifs, des païens et de groupes judéo-chrétiens pas assez évangélisés (ébionites). Plus tard, l’avènement du latin en Occident au détriment du grec a pu provoquer de nouveaux débats en raison des traductions de la Peshitta ou du grec du Nouveau Testament. Saint Augustin a répondu aux erreurs d’Helvidius et Jovinien qui niaient la virginité de Marie, la mère de Jésus. Au vingtième siècle, les papes l’ont rappelé, car il y a eu un déclin de la perception des réalités de la foi catholique par suite de la propagande protestante historico-critique (A. Harnack, théiste, a influencé R. Bultmann).
Que signifie la conception virginale de Jésus ?
La naissance dans le temps de Jésus ressemble à celle dans l’éternité : il n’a qu’une seule origine. La conception virginale est aussi un signe que Jésus est vraiment le Fils de Dieu. Même si nous nous appuyons d’abord sur les Écritures pour professer le « Fils unique », lui qui est Dieu (Jean 1, 18), ce miracle physique aide chaque fidèle à croire. De plus, il est un accomplissement de l’Ancien Testament. « Voici que la vierge (‘almah) est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel », a prophétise Isaïe (Isaïe 7, 14 cité par Matthieu 1, 23). Le mot hébreu ‘almah a été traduit en grec des dizaines d’années avant la venue du Messie par parthénos (vierge) dans les LXX (traduction grecque de la Bible hébraïque). Il n’y a pas d’exemple dans tout l’Ancien Testament où l’on puisse prouver que ce mot puisse désigner une jeune femme qui ne soit plus vierge. Saint Jérôme a traduit par virgo, vierge.
Dans l’évangile selon Matthieu, il est écrit avec le verbe connaître que saint Joseph n’eut pas de relations intimes avec Marie « jusqu’à ce qu’elle enfante un fils » (Mattieu 1, 25). Peut-être se sont-ils unis après ?
Non. L’Église croit que Marie reste vierge avant, pendant et après la naissance de Jésus. Dans le texte initial, en grec sémitisé, « jusqu’à » signifie qu’on s’intéresse à une certaine période de temps, mais non pas que cela change ensuite. Quand la Bible dit que Mikal, la première épouse de David, ne connut pas d’autre homme « jusqu’à » sa mort, elle ne sous-entend pas qu’elle en connaîtra d’autre après. Et pour cause… !
Que dire des « frères » de Jésus eu égard à cette expression dans la Bible ?
En grec, le mot utilisé est « adelphos » (frère), mais il n’est pas d’usage seulement spécifique (lien familial entre les fils et les filles d’un même foyer, père et mère). Il désigne deux personnes qui ont les mêmes parents ou qui ont un lien de parenté fort. Jacques et Joseph, « frères de Jésus » (Matthieu 13, 55) sont dans le Nouveau Testament de proches parents. Le terme qui signifie précisément « cousin » n’est utilisé qu’une fois dans le Nouveau Testament (3 fois dans la LXX), sinon c’est « adelphoi » qui est partout employé. Abraham avait un neveu Lot (Genèse 12, 5) qui est désigné dans la LXX aussi comme l’adelphos d’Abraham sans aucune ambiguïté. De nos jours le mot frère est encore moins spécifique. Dès que quelqu’un est adopté, par exemple, dans un clan musulman au Moyen Orient : on lui dit mon frère.
Quelle est la portée de la vérité affirmée de la virginité perpétuelle de Marie ?
Il ne « convenait » (Hébreux 2, 10) pas que Marie ait d’autres enfants. Jésus est le Fils parfait. Pour Marie, avoir reçu en elle le Fils de Dieu était la complétude du bonheur. La virginité de Marie a un sens eschatologique, c’est-à-dire en rapport avec le monde futur, car elle participe déjà à la vie éternelle de son Fils. Au Ciel, nous n’aurons plus de désir charnel ni le désir d’avoir des enfants, car tous nos désirs seront comblés par Dieu. Nous serons « semblables aux anges » (Luc 20, 36). Nous n’aurons plus besoin d’engendrer, car le Corps du Christ sera complet. La Vierge Marie ouvre nos yeux sur ces vérités de la foi.
La virginité de Marie a-t-elle une conséquence sur la vision de l’Église à propos de la sexualité ? La continence devient-elle un signe de perfection ?
Non, le désir charnel est bon sur la terre même s’il ne doit pas devenir envahissant, effet du foyer du péché, c’est-à-dire la concupiscence. La continence consacrée est un signe de ce que nous vivrons au Ciel, c’est pourquoi certains sont appelés à la vivre dès ici-bas. Elle rappelle la destinée éternelle de l’homme. Dans l’Apocalypse, les cent quarante-quatre mille « rachetés », qui « suivent l’Agneau partout où il va », sont « vierges » (Apocalypse 14, 4). La virginité dit quelque chose de la beauté virginale de Dieu.
La virginité de Marie a-t-elle un lien avec sa sainteté ?
Ce n’est pas la virginité qui est une vertu, mais la chasteté. Elle permet d’aimer parfaitement, sans désirs déréglés susceptibles de déformer les relations. Celui qui est vierge dans son cœur, donc chaste, ne se laisse pas dominer par ses désirs. Encore plus important, la virginité de sainte Marie est un signe de sa foi parfaite. Elle a cru à l’accomplissement des Écritures en elle (Luc 1, 45). Grâce à sa foi, le Fils de Dieu a pu naître d’elle, Marie, une femme. On peut ajouter que saint Justin est le premier qui a réalisé un parallèle entre Adam et Ève et le nouvel Adam, Jésus, et la Vierge Marie, nouvelle Ève (cf. Dialogue avec Tryphon, 67-70 ; 84, 1 ; 100, 4-5). Irénée en tirera un argument théologique, alliant analogie de proportionnalité et typologie comme le fit déjà saint Justin (cf. Dialogue avec Tryphon, 40, 1-3), ce qui exige la virginité de Marie, nouvelle Ève : – le limon vierge utilisé par Dieu aux origines (cf. Genèse 2, 7) est à Adam, ce que la Vierge Marie, terre vierge, est au Nouvel Adam, Jésus-Christ qui récapitule en lui l’ancien modelage (cf. AH, III, 21, 10). Admirable convenance !
Adam et Ève selon la Genèse étaient-ils vierges à l’origine ?
Oui. La science des origines (protologie) rejoint la science de la fin (eschatologie). Saint Irénée, le nouveau docteur du pape François, est un maître en la matière. Comme on vient de le rappeler le « limon vierge », dit-il, utilisé par Dieu aux origines (cf. Genèse 2, 7) est à Adam, ce que la Vierge Marie, « terre vierge » elle aussi, est au Nouvel Adam, Jésus-Christ qui récapitule en lui l’ancien modelage, c’est-à-dire l’ancien couple humain des origines (cf. idem : Adversus Haereses, III, 21, 10).
Pour tout complément voir sur la virginité, la conception virginale, les frères de Jésus : Dictionnaire Jésus par Renaud Silly (édit.), « Bouquins », Paris, Robert Laffont, 2021.
*Le Père Edouard Divry est professeur de théologie morale (Domuni) et d’œcuménisme (Toulouse, Bayonne), d’hébreu (Toulouse). »C’est un dominicain de la Province de Toulouse.Maître en philosophie et docteur en théologie, il est l’auteur d’une thèse dogmatique : La Lumière du Christ transfiguré chez les saints (Université de Fribourg, 2000), et d’une thèse d’habilitation en théologie fondamentale : Aux fondements de la liberté religieuse, Confrontation avec les religions monothéistes (Faculté de théologie de Lugano – Université suisse italienne, 2003).Il enseigne en divers centres théologiques. Il a été représentant de l’Église catholique dans le dialogue judéo-chrétien pour le diocèse de Toulouse.
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