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Un rapport du Sénat propose de transformer les églises en « maisons communes » : une vision qui éradique leur âme spirituelle

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Sous couvert de préservation, le rapport propose une réaffectation qui inquiète profondément les catholiques. Une église, même désaffectée, n’est pas un bâtiment neutre. Vouloir en faire un lieu « commun » sans mémoire ni sacralité revient à nier ce qu’elle est, ce qu'elle a été et ce qu'elle restera toujours

Rapporté par les sénateurs Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon, le rapport n° 765 du Sénat, remis en 2022, dresse un tableau lucide et préoccupant de l’état du patrimoine religieux en France. Ce travail de fond, conduit par la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, alerte sur les menaces qui pèsent sur des milliers d’édifices cultuels, en particulier dans les zones rurales. Il propose des recommandations concrètes pour enrayer leur dégradation et leur abandon, en insistant sur l’importance d’une mobilisation concertée des pouvoirs publics, des collectivités locales, des fidèles et de la société civile.

La Conférence des évêques de France recensait en 2017 un total de 1 886 églises construites depuis 1905, dont 255 avaient été désaffectées ou vendues. Une étude de l’Observatoire du patrimoine religieux évalue entre 2 000 et 5 000 le nombre d’édifices cultuels susceptibles d’être abandonnés, vendus ou détruits d’ici 2030, parmi lesquels 500 églises seraient déjà totalement fermées. Le risque est particulièrement aigu pour les bâtiments construits aux XIXe et XXe siècles, jugés de valeur architecturale moindre, et pour les synagogues d’Alsace.

Le rapport cite une étude du Wall Street Journal de 2015 : au Royaume-Uni, environ 20 églises ferment chaque année ; au Danemark, 200 églises sont jugées non viables ; aux Pays-Bas, deux tiers des 1 600 églises catholiques pourraient fermer. Ce constat sert d’avertissement pour la France.

L’article 13 de la loi du 9 décembre 1905 autorise la désaffectation d’un lieu de culte dans certains cas : absence d’activité cultuelle pendant plus de six mois, défaut d’entretien manifeste, usage détourné, ou non-respect des obligations légales. La désaffectation, décidée par décret en Conseil d’État ou arrêté préfectoral, demeure rare car perçue comme lourde, techniquement complexe et douloureuse pour les habitants et les maires.

Trois causes majeures de fragilité ont été identifiées : la sécularisation galopante combinée à la désertification des zones rurales, la raréfaction des ressources financières pour entretenir les édifices cultuels, et les réformes territoriales favorisant les fusions de communes, diluant les responsabilités. La loi de 1905 ne contraint pas les maires à entretenir les édifices cultuels, sauf si ceux-ci sont classés monuments historiques. Le Conseil d’État a rappelé en 1921 que le maire peut être tenu responsable en cas de danger pour les visiteurs. Toutefois, en dehors de l’Alsace-Moselle, la loi n’impose aucune obligation systématique.

La mission sénatoriale appelle à lancer une opération nationale d’inventaire du patrimoine religieux, inspirée des opérations menées pour le littoral ou le patrimoine industriel. Mais deux ans après la remise de ce rapport, où en est-on réellement ? A-t-on vu le début de cet inventaire tant attendu ? Les collectivités locales ont-elles été saisies ? Il serait urgent que le ministère de la Culture et les directions régionales prennent leurs responsabilités et rendent compte publiquement de l’avancée de cette opération, dont dépend une connaissance fine et partagée de notre patrimoine cultuel.

Il semble que les auteurs du rapport aient pris conscience, au fil de leurs travaux, de la nécessité de protéger le patrimoine cultuel qui a fait la France. Cela est une bonne chose.

Mais à côté de cette lucide évaluation, la proposition de faire de ces églises des « maisons communes » interroge. Pour les catholiques, cette expression est ambiguë. Une maison commune, mais pour qui ? Pour toutes les croyances, toutes les convictions, tous les usages ? Peut-on véritablement prétendre faire coexister, dans un même lieu, prière et activités profanes, méditation et théâtre de rue, sacrement et yoga ? Il ne peut y avoir de maison commune sans communauté d’esprit. Une église, même désaffectée, ne saurait devenir une simple maison du peuple, neutre, désacralisée, expurgée de tout contenu spirituel.

Les pierres ont la mémoire des choses. Elles gardent le souvenir des prières, des larmes, des chants, des conversions. Faire d’une église un espace banal, interchangeable, c’est ouvrir la porte à tout et n’importe quoi. Ce n’est pas là seulement une faute de goût, c’est un reniement. L’absence de toute contingence spirituelle et mémorielle expose à des usages contraires à l’esprit du lieu, des expositions sans lien avec la foi à des pratiques douteuses, voire offensantes pour les croyants.

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Le rapport propose de développer des usages partagés, à condition qu’ils soient compatibles avec l’affectation cultuelle. Cette condition est d’importance. Encore faut-il qu’elle soit réellement respectée. Il est proposé de fixer ces limites par des conventions-types entre les maires, les affectataires et les diocèses. Ces garanties juridiques sont bienvenues, mais elles ne suffiront pas si la finalité du lieu est détournée.

Le rapport affirme que « la voie des usages partagés préserve la possibilité d’un retour à la vie cultuelle », comme si l’essence sacrée d’un lieu pouvait être suspendue puis restaurée à la carte, en fonction des besoins ou des modes. Cette logique utilitariste nie le caractère ontologiquement sacré d’un édifice consacré à Dieu. Le glissement est subtil mais réel : l’église devient un bien meuble parmi d’autres, réversible, fonctionnel, temporaire.

L’argument selon lequel cette solution permettrait de « maintenir l’architecture et la mémoire du lieu » est insuffisant. Une église n’est pas un musée ni un espace culturel polyvalent ; elle est le lieu de la Présence réelle, de l’adoration, du sacrifice eucharistique. Préserver les pierres sans préserver la prière, c’est trahir la vocation profonde du sanctuaire.

Le danger est réel que ces lieux deviennent de simples maisons de la culture parmi d’autres, où l’on projette un film ou organise une conférence sans plus se soucier du caractère sacré du lieu. Il faut pourtant garder la mémoire des lieux, même pour les églises désaffectées. Un édifice de culte ne peut être traité comme n’importe quel bâtiment. Même lorsqu’il n’abrite plus de célébrations, il demeure un lieu chargé de sens, dont l’architecture, les symboles, l’orientation rappellent sa finalité première : rendre gloire à Dieu.

En définitive, si le rapport du Sénat a le mérite de tirer la sonnette d’alarme sur l’état de notre patrimoine religieux, il manque véritablement de souffle spirituel. La France ne sauvera pas ses églises si elle oublie pourquoi elles ont été bâties. Les pierres seules ne suffisent pas. Il faut la foi qui les a dressées, et le respect de ce qu’elles signifient. À vouloir en faire des lieux utiles, on risque de perdre leur utilité la plus précieuse : être des signes de la présence de Dieu sur cette terre.

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