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Une date unique pour Pâques : un rêve d’unité, un chemin semé d’embûches

Le secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE), Jerry Pillay - DR
Le secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE), Jerry Pillay - DR
"Il faut garantir que le chemin vers l’unité ne crée pas de nouvelles divisions."

Malgré les appels du pape François et du patriarche Bartholomée à avancer vers une date commune pour la célébration de Pâques, les obstacles demeurent. Lors de la clôture de la 58e Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, le pape François a réitéré son souhait de voir tous les chrétiens célébrer Pâques à une même date. « Nous devons avoir le courage de mettre fin à cette division qui date de siècles », a-t-il déclaré, plaidant pour un « pas décisif » en faveur de l’unité.

Quelques jours plus tard, à Strasbourg, s’exprimant devant le Conseil de l’Europe, le patriarche œcuménique Bartholomée a lui aussi insisté sur la nécessité de poursuivre les discussions. Il a appelé à un engagement résolu en ce sens, soulignant que cette initiative, bien que difficile, serait un « signe tangible d’unité chrétienne ».

Le message est clair : au moment où les divisions s’accentuent dans le monde, où les chrétiens sont persécutés en de nombreux endroits, il devient urgent de donner un témoignage fort d’unité autour de la fête la plus essentielle de la foi chrétienne.

Une question délicate qui dépasse le simple calendrier

Mais le chemin est loin d’être tracé. Le révérend Jerry Pillay, secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE), rappelle que cette question « n’est pas seulement un problème technique de calcul », mais touche des sensibilités profondes, notamment au sein des Églises orthodoxes. Historiquement, la divergence repose sur l’adoption du calendrier grégorien par l’Église catholique en 1582, alors que les Églises orthodoxes ont conservé le calendrier julien. Cette différence fait que les Pâques catholique et orthodoxe ne coïncident que rarement.

Mais au-delà des questions calendaires, l’enjeu est plus large. « Il faut garantir que le chemin vers l’unité ne mène pas à de nouvelles divisions », avertit Pillay, insistant sur la nécessité d’inclure toutes les Églises dans le processus et de respecter leurs traditions. Une modification imposée sans consensus risquerait d’accentuer les fractures, en particulier chez les orthodoxes, qui voient dans ce débat une possible ingérence occidentale.

2025 : une opportunité historique

Cette année offre pourtant une occasion unique : en 2025, les calendriers julien et grégorien s’aligneront, permettant à tous les chrétiens de célébrer Pâques le même jour, le 20 avril.Ce hasard calendaire rappelle un précédent historique : le Concile de Nicée, dont on célèbrera le 1 700ᵉ anniversaire en 2025. Ce premier concile œcuménique de l’histoire chrétienne avait déjà abordé la nécessité d’une date commune pour Pâques, face aux divergences existantes à l’époque.« Il y a plus d’une raison de rouvrir cette discussion et d’explorer comment une célébration commune de Pâques pourrait rassembler les chrétiens du monde entier », affirme Pillay.

Mais un point reste crucial : aucune Église ne doit être mise de côté dans ce processus. « Montrer au monde “que tous sont un” ne peut pas se faire en excluant certaines Églises », insiste le secrétaire général du COE.

La question de l’implication de l’Église orthodoxe de Moscou est particulièrement sensible. La rupture entre le patriarcat de Moscou et le patriarcat œcuménique de Constantinople, consécutive à la reconnaissance de l’Église orthodoxe d’Ukraine par Bartholomée, complique la donne. Pourtant, selon Pillay, la participation de Moscou serait essentielle pour garantir que cette initiative ne devienne pas un facteur de division supplémentaire.

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Quelle place pour la liturgie dans ce débat ?

Au-delà de la question du calendrier, un autre élément fondamental doit être pris en compte : la liturgie. Les Églises orthodoxes, à juste titre attachées à une liturgie riche et profondément ancrée dans la tradition, perçoivent toute réforme comme une menace pour la sacralité de leur culte. Peut-on imaginer qu’une uniformisation de la date de Pâques conduise, à terme, à des pressions sur l’unité liturgique ?

Cette question mérite d’être posée, d’autant plus que, dans l’Église catholique, des voix se sont récemment élevées pour critiquer l’attachement des fidèles traditionnalistes au rite tridentin, une liturgie elle aussi profondément enracinée dans la spiritualité et l’histoire de l’Église. Alors que certains veulent relativiser cet attachement liturgique en le qualifiant de crispation idéologique, il est étonnant que l’on exige des orthodoxes une fidélité au calendrier, tout en reprochant aux catholiques traditionnels leur fidélité au rite ancien.

L’unité ne devrait-elle pas s’appuyer sur un respect mutuel des traditions liturgiques autant que calendaires ?

Vers un renouveau du dialogue œcuménique ?

Le Conseil œcuménique des Églises entend poursuivre cette réflexion. En mars 1997, un premier pas avait été fait avec la consultation d’Alep, en Syrie, où le COE et le Conseil des Églises du Moyen-Orient avaient publié une déclaration commune, appelant à une date unique pour Pâques.En 2025, le COE prévoit d’intensifier ces discussions à travers un webinaire réunissant théologiens catholiques, orthodoxes et protestants, ainsi qu’une Conférence mondiale sur Foi et Constitution, prévue en Égypte en octobre.

Alors que le monde assiste à une montée de l’indifférence religieuse et à une fragmentation du christianisme, le débat sur une date unique pour Pâques ne saurait être anecdotique.« Notre unité visible serait un témoignage fort dans un monde brisé et fragmenté », conclut Jerry Pillay.

Mais au vu des réticences et des enjeux historiques, force est de constater que le chemin vers une Pâque commune est encore long et semé d’embûches.

Source agensir

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