Depuis 2000 ans

Une Église pauvre pour mieux servir les pauvres a-t-elle du sens ?

Depositphotos
Depositphotos
Une société dont les infrastructures, les médias, les entreprises, les écoles appartiennent exclusivement à des acteurs non chrétiens ne laissera jamais s’épanouir une culture chrétienne

Alors que certains responsables ecclésiaux se félicitent d’une Église « allégée » de ses structures, la réalité s’impose avec rudesse. Une Église qui ne possède plus rien ne transmet plus rien, n’aide plus vraiment les pauvres et finit par dépendre de ceux qui détiennent le pouvoir. Le temps n’est plus aux slogans séduisants mais aux choix courageux, retrouver la maîtrise de nos institutions ou accepter une marginalisation programmée.

L’illusion d’une Église portée seulement par la ferveur, délivrée de ses biens et de ses institutions, a largement séduit une partie du clergé occidental. L’effondrement de la chrétienté y est parfois célébré comme un souffle de renouveau, un dépouillement prétendument évangélique. Mais cette lecture romantique ignore que l’Église n’a jamais évangélisé le monde en se privant des moyens matériels de le faire.

Elle a agi parce qu’elle possédait, construisait, administrait et transmettait. Lorsque l’on abandonne ces leviers, ce ne sont pas seulement des bâtiments que l’on perd mais la capacité même de façonner la société.

Les responsables qui vantent une Église « pauvre pour les pauvres » oublient que la pauvreté institutionnelle ne profite jamais aux démunis. Elle profite à ceux qui détiennent les ressources. Une Église dépendante de subventions publiques, de mécènes occasionnels ou de décisions politiques n’est plus libre de sa parole. Lorsque César ferme le robinet, la charité diminue mécaniquement. L’histoire récente en fournit des preuves embarrassantes, des programmes d’assistance s’interrompent dès que les financements externes s’allègent. Ce n’est pas un choix pastoral, c’est une contrainte économique.

Une Église qui ne possède pas de revenus stables, de biens productifs, d’institutions autonomes, ne peut pas servir durablement ceux qu’elle prétend défendre.

Il est frappant de constater que pendant que l’on prêche le renoncement, les diocèses vendent leurs écoles, leurs presbytères et leurs terrains comme dans une vente de succession. On parle de gestion mais il s’agit bel et bien d’une liquidation. Ces biens, une fois cédés, disparaissent à jamais du patrimoine catholique. Les acheteurs, eux, y trouvent une opportunité, un ancrage stratégique, un actif qui se valorisera. Nous, nous perdons un outil pastoral, éducatif, culturel. Cette dynamique n’est pas un ajustement, c’est un acte d’automutilation institutionnelle.

Ce phénomène s’observe aujourd’hui de manière aiguë en France, où des diocèses vendent à tour de bras des églises jugées « sous-fréquentées », comme si la fréquentation actuelle constituait l’unique critère de discernement. La justification est presque toujours la même, une logique strictement économique présentée comme la seule réalité possible, comme si l’Église n’avait d’autre choix que d’appliquer les méthodes d’un cabinet d’audit. Pourtant, cette approche oublie que des solutions existent, des réaffectations intelligentes, des mutualisations de charges, des partenariats locaux, des projets culturels ou sociaux encadrés, et même des formes nouvelles de présence missionnaire qui redonnent vie à des lieux que l’on déclare trop vite condamnés.

L’excuse de la baisse de la pratique et du nombre de prêtres ne suffit pas à elle seule pour justifier le bradage d’un patrimoine millénaire, un patrimoine dont la valeur n’est pas seulement financière mais spirituelle, symbolique, historique et missionnaire. C’est précisément lorsque la pratique baisse que l’Église devrait garder ses ancrages visibles, refuser la tentation de l’effacement territorial et chercher des voies pour occuper, habiter, transformer ces lieux au lieu de les céder à ceux qui n’y mettront jamais la moindre parcelle d’évangile. Une église vendue est une église perdue, et avec elle disparaît un signe, un repère, un foyer possible de renouveau.

Un simple regard sur l’histoire devrait suffire à dissiper les illusions contemporaines. Si l’Église a pu soigner, instruire et élever des peuples entiers, c’est parce qu’elle a bâti des structures concrètes. Dès le haut Moyen Âge, les monastères ont fondé les premiers hôpitaux d’Occident, véritables sanctuaires où les pauvres trouvaient soin et dignité quand aucune autre institution ne s’en souciait. Plus tard, ce sont encore des religieux qui ont établi les premières universités, de Paris à Bologne, afin de former clercs et laïcs, de structurer le savoir et d’offrir aux humbles une ascension intellectuelle autrefois inimaginable. Ces œuvres n’étaient pas des ornements mais la preuve que la charité exige des lieux, des revenus, une administration et une continuité. Sans propriété, rien de cela n’aurait vu le jour, et l’Occident n’aurait jamais connu la révolution éducative et hospitalière dont il vit encore aujourd’hui.

La vérité est simple, et pourtant certains refusent de la regarder en face. Une société dont les infrastructures, les médias, les entreprises, les écoles appartiennent exclusivement à des acteurs non chrétiens ne laissera jamais s’épanouir une culture chrétienne

Lire aussi

Il n’existe pas de catholicisme social vivant sans capital catholique. Les Polonais l’ont compris, et leur culture reste encore imprégnée de catholicisme parce que des réseaux, des lieux, des institutions tiennent bon. L’exemple québécois montre l’inverse, lorsque l’Église cesse d’habiter matériellement la société, elle cesse d’y exister culturellement.

Ce qui manque aujourd’hui n’est pas la ferveur individuelle mais un véritable écosystème institutionnel. Les familles catholiques seules ne peuvent porter ce que des universités, des journaux, des fondations et des écoles portaient autrefois.

La foi n’est pas seulement un choix intime, elle se déploie dans un environnement, dans des œuvres, dans un tissu social. Or cet environnement se construit, il ne tombe pas du ciel. Il réclame une vision, de la compétence et du capital. Cela ne signifie pas se vautrer dans la richesse mais reconnaître que la propriété est une condition de la liberté missionnaire.Les catholiques doivent retrouver le sens de la construction. Posséder une entreprise, une école ou une radio n’a rien d’un caprice bourgeois. C’est un acte de responsabilité civilisationnelle. Les premières universités européennes, les hôpitaux médiévaux, les grandes œuvres caritatives sont nés parce que des catholiques ont bâti, investi, administré. Aujourd’hui, certains s’en excusent presque, comme si exercer un pouvoir économique était moralement suspect. Or c’est précisément le renoncement à ce pouvoir qui nous rend insignifiants. Une Église qui n’exerce plus aucune influence matérielle est condamnée à être gouvernée par ceux qui en exercent.

Il est temps de reconnaître que le problème ne vient pas d’un « monde hostile » mais souvent de nos propres choix. Nous avons cédé nos universités, vendu nos hôpitaux, laissé s’effondrer nos journaux. Ces institutions n’ont pas été arrachées, elles nous ont glissé des mains parce que nous ne croyions plus qu’elles faisaient partie de notre mission.Cette excuse de la rationalisation économique à des conséquences catastrophique sur la véritable place qui doit être celle de l’Eglis en France et dans le monde.

La question est désormais brutale mais incontournable. Voulons-nous être une Église capable de transmettre la foi, de servir les pauvres, de former une culture ou simplement un vestige sympathique, toléré à condition de ne déranger personne ? Redevenir une Église propriétaire n’a rien d’un excès, c’est une nécessité vitale.

Recevez chaque jour notre newsletter !

Campagne de dons de l’Avent 2025

Aidez Tribune Chrétienne à diffuser la Lumière du Monde !