SERIE – Les grands secrets du Vatican – ( Extrait Bernard Lecomte )
Février 1939. À la mort de Pie XI, tous les regards se tournent vers le cardinal Pacelli, son très probable successeur. Certes, d’autres noms de papabili sont avancés par les observateurs – Tedeschini, Schuster, Marmaggi, Maglione – mais il n’a échappé à personne que Pie XI souhaitait, sans aucun doute, que Pacelli lui succède. Aux yeux de Pascalina, cette succession est si évidente qu’elle s’occupera, avant le conclave, de l’appartement du futur pape, faisant place nette ! Profitant du trouble qui gagne le secrétaire d’État, au bord de l’épuisement, elle lui indique avec aplomb :
— J’irai avec vous au conclave, je resterai près de vous.
Avouera-t-il qu’il a besoin d’elle ? Le cardinal Pacelli est aussi camerlingue, c’est-à-dire qu’il a toute autorité sur le déroulement du conclave. Or, chaque cardinal électeur a le droit d’être accompagné par un assistant. Après tout, pourquoi irait-il chercher un secrétaire incompétent alors que Pascalina connaît tous ses besoins et saura le soigner comme personne ? Qui osera le lui reprocher ? C’est ainsi que sœur Pascalina est devenue la première femme dans l’histoire de l’Église à avoir participé de l’intérieur à un conclave.
Lorsque les cardinaux l’ont vue rejoindre, avec des sacs entiers de médicaments, la « cellule no 13 » affectée à Pacelli, dans son propre appartement, certaines éminences ont failli s’étrangler de surprise et d’indignation. Au point que Pascalina restera pendant tout le conclave dans la « cellule » de son patron, y prenant ses repas seule, craignant les regards courroucés des membres du Sacré Collège. Lors de la messe d’ouverture, elle se tient au fond de la chapelle Pauline, mais toutes les têtes se tournent au moment où elle communie des mains de son grand homme ! « J’avais l’air d’une bête curieuse, bizarre et indésirable », racontera-t-elle plus tard.
Il faut dire que la situation est délicate. Lorsqu’elle quitte discrètement l’enceinte du conclave après l’élection, un journaliste l’aperçoit et force les responsables de la Sala Stampa à publier un communiqué de presse dont ils se seraient bien passés : « Par autorisation spéciale, la congrégation des Cardinaux a autorisé mère Pascalina à assister au conclave, afin que S.E. le cardinal Pacelli ne puisse souffrir en rien dans son régime quotidien, ni manquer des médicaments nécessaires à son bien-être. »
Le jeudi 2 mars, le cardinal Pacelli est élu pape. Le troisième vote du conclave lui a donné 48 suffrages : c’est largement plus qu’il n’en fallait. À 17 h 29, ce jour-là, une fumée blanche s’échappe de la chapelle Sixtine. Il a fallu moins de vingt-quatre heures pour désigner le nouveau pape – un record.
Pascalina, que tout le monde a oubliée à cet instant, est submergée par la joie et la fierté. Elle a tant prié pour cela ! Elle est probablement la seule à remarquer, à cette heure, qu’Eugenio Pacelli est élu pape le jour même de son soixante-troisième anniversaire.
Le soir, en gagnant le troisième étage du palais, elle a du mal à se rendre compte que l’homme qu’elle va y retrouver un peu plus tard est devenu le successeur de saint Pierre, chef de l’Église catholique. Quand Pacelli, épuisé, regagne ses pénates, il risque un mot d’humour :
— Vous avez vu, ma sœur, ce qu’ils m’ont fait !
Elle s’agenouille devant lui :
— Très Saint-Père, j’ai demandé à Jésus l’inspiration qui l’aidera à faire de vous un bon et solide pape…
Il la relève et lui prend les deux mains :
— Merci, ma sœur, pour toute votre force et votre dévouement !
Elle pleure à chaudes larmes.