Le Venezuela vit aujourd’hui un moment de bascule. Dans cette tourmente politique et institutionnelle, l’Église catholique apparaît plus que jamais comme l’un des derniers repères moraux du pays, malgré les pressions croissantes exercées par le pouvoir de Nicolas Maduro. La canonisation simultanée, le 19 octobre dernier, de José Gregorio Hernández et de Carmen Rendiles aurait pu représenter une occasion de rassemblement national. Elle a plutôt révélé de manière éclatante la rupture désormais consommée entre la hiérarchie catholique et le régime de Maduro. Les jours entourant la cérémonie à Rome ont vu la Conférence épiscopale, le cardinal Baltazar Porras et le cardinal Pietro Parolin dénoncer l’effondrement institutionnel du pays, l’existence de prisonniers politiques, la militarisation croissante de la vie civile et la gouvernance marquée par la corruption et l’opacité.
La Conférence Épiscopale Vénézuélane avait donné le ton le 7 octobre dans une lettre pastorale soulignant l’importance du moment pour obtenir des gestes de clémence. Elle écrivait qu’il convenait que « que les autorités de l’État adoptent des mesures de grâce permettant de rendre la liberté aux personnes emprisonnées pour des raisons politiques ». Selon l’ONG Foro Penal, le pays compte alors 875 prisonniers politiques. Deux jours avant la canonisation, lors d’un symposium à l’Université du Latran, le cardinal Porras dressa un diagnostic sévère de la situation nationale, évoquant « une situation moralement inacceptable ». Il dénonça « l’affaiblissement de l’exercice de la liberté citoyenne », « la militarisation comme mode de gouvernement » et « la corruption et le manque d’autonomie des pouvoirs publics ». Il rappela également la souffrance des familles brisées par la répression, affirmant que « l’unité familiale est détruite et tous souffrent sans qu’il y ait vers qui se tourner ».
Le cardinal Pietro Parolin, lors de la messe d’action de grâce du 20 octobre, donna un écho puissant à ces préoccupations en invitant à « ouvrir les prisons injustes, faire sauter les verrous des entraves, libérer les opprimés, briser toutes les chaînes » et à reconstruire le pays « depuis les fondations de la justice, de la vérité, de la liberté ».
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Face à ces prises de position fermes, la réaction de Nicolás Maduro fut immédiate. Cherchant à opposer les prêtres de base à la hiérarchie ecclésiale, il déclara : « Je crois au curé de paroisse et je crois très fortement en la nouvelle génération de prêtres ». Il accusa ensuite le cardinal Porras d’avoir « consacré toute sa vie à conspirer contre José Gregorio Hernández ». Diosdado Cabello reprit cette ligne d’attaque, déclarant que « ce n’est pas l’Église catholique, mais la hiérarchie ecclésiastique, déconnectée de ce qui se passe en bas ».La confrontation alla plus loin encore lorsque le cardinal Porras fut empêché de se rendre à Isnotú pour la messe d’action de grâce. Son vol commercial fut annulé, son avion privé dérouté vers Barquisimeto, et tout déplacement terrestre bloqué. Il dénonça un « attentat contre un droit fondamental » et interrogea : « Quel est le délit qui a été commis pour qu’on ne puisse pas accomplir un devoir religieux ? » La Conférence Épiscopale exprima immédiatement sa solidarité, regrettant des faits « profondément lamentables ».
Cette tension interne se déroule alors même que la pression internationale s’intensifie autour du régime de Maduro. Dimanche 16 novembre, Donald Trump a surpris en évoquant une possible ouverture diplomatique : « Nous pourrions avoir des discussions avec Maduro, et nous verrons comment cela se passe », déclara-t-il à l’aéroport de Palm Beach, ajoutant : « Ils aimeraient discuter ». Cette déclaration intervient pourtant dans un contexte d’extrême tension, marqué par la décision américaine de désigner le Cartel de los Soles comme organisation terroriste étrangère et par la mobilisation militaire croissante autour de l’Amérique latine.Dans ce climat où la crise politique, la pression militaire et la détérioration sociale se combinent, l’Église catholique demeure l’une des rares voix nationales à rappeler les exigences fondamentales de justice, de liberté et de respect de la dignité humaine. Son rôle pastoral, aujourd’hui entravé, n’en reste que plus essentiel pour accompagner un peuple éprouvé et désorienté. Alors que le pays traverse une période de fractures et de périls multiples, l’Église continue d’appeler à la vérité, à la paix et à l’espérance, ces fondements sans lesquels aucune reconstruction durable n’est possible.


