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Vers une idolâtrie numérique : Mark Zuckerberg, apprenti sorcier de la superintelligence ?

Mark Zuckerberg - DR
Mark Zuckerberg - DR
Le pape Léon XIV rappelle : "Aucun algorithme ne pourra jamais remplacer une embrassade"

On nous promet des assistants omniscients, plus proches que nos proches, plus constants que nos amitiés, plus disponibles que notre conscience. Mais derrière l’enchantement technologique, une question demeure, que devient l’homme quand la machine s’invite au plus intime, là où se forment la liberté, la relation et la foi ? Mark Zuckerberg a présenté l’idée d’une superintelligence personnelle, une IA qui nous connaît en profondeur, comprend nos objectifs et nous aide à les atteindre, une présence continue, accessible par des lunettes et des dispositifs portés au quotidien, capable de voir ce que nous voyons et d’entendre ce que nous entendons. La promesse est séduisante, elle parle d’efficacité, de créativité et de compagnonnage personnalisé. Pourtant, à la lumière d’une anthropologie chrétienne, elle soulève un doute radical, ne sommes-nous pas en train de céder à une idolâtrie numérique où l’outil devient maître, où l’assistant devient tuteur de nos choix, voire directeur de notre vie intérieure ?

Quand la technologie ambitionne d’occuper l’espace de l’intime, il faut rappeler ce qui seul fonde la relation humaine. Ainsi, dans une lettre rendue publique ce mardi 5 août 2025 à l’occasion du 36e Festival de la jeunesse de Medjugorje, le pape Léon XIV écrit, « Aucun algorithme ne pourra jamais remplacer une embrassade. » Signée à Castel Gandolfo le 9 juillet, cette phrase vaut principe de discernement, elle rappelle que la relation humaine est charnelle et libre, qu’elle suppose une présence réelle, un visage, un risque.

L’IA peut assister, elle ne peut aimer. Elle peut prédire, elle ne peut promettre. Elle peut optimiser, elle ne peut sauver.

L’homme n’est pas une machine, il est créé à l’image de Dieu, appelé à la communion et à la liberté. Confier à un système numérique le soin de nous aider à devenir la personne que nous aspirons à être revient à déplacer le centre de gravité de la maturation humaine. Ce que la tradition appelle croissance morale et vie spirituelle naît de la grâce, de la responsabilité et de médiations humaines, famille, amitiés, Église, œuvres, non d’une optimisation algorithmique de nos préférences. Une superintelligence, aussi performante soit-elle, ne remplacera jamais la conversion du cœur.

Le projet décrit par Mark Zuckerberg ne se limite pas à un moteur conversationnel, il vise une présence contextuelle qui s’immerge dans le quotidien par des lunettes et des capteurs en continu. Or, plus l’outil pénètre l’intime, plus la question de la finalité devient décisive. Qui forme l’algorithme, sur quelles données, selon quels critères et pour quels intérêts, la tentation est grande de transformer l’accompagnement en pilotage, la suggestion en injonction douce, la liberté en dépendance confortable. L’expérience récente des plateformes a montré qu’un service gratuit se paie de notre attention et de nos données, demain, le prix pourrait être nos décisions mêmes.Les promoteurs de ces technologies parlent d’émancipation et de puissance personnelle. Mais l’émancipation chrétienne consiste à être rendu capable du bien par la vérité et par l’amour, non simplement à étendre notre rayon d’action. Une machine peut augmenter nos moyens, elle ne peut déterminer nos fins. Entre moyens et fins se joue la dignité de la personne, si l’IA interprète nos objectifs et les optimise, elle risque de figer nos désirs au niveau de l’immédiat, au lieu d’orienter la volonté vers le bien véritable.

La concentration de pouvoir informationnel entre les mains d’acteurs privés appelle une prudence ferme. Une superintelligence personnalisée efficace exigera un accès continu à nos habitudes, à nos relations, à nos émotions. Qui maîtrisera ce trésor, qui contrôlera la chaîne de décisions, quelles limites opposera-t-on à l’influence comportementale, le droit pourra encadrer, souvent après coup, l’éducation pourra prévenir, sans transparence, auditabilité et responsabilité effectives, la pente sera glissante.

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La tradition catholique n’est ni technophobe ni naïve, elle bénit ce qui sert la personne et le bien commun, elle résiste à ce qui aliène.

Le cardinal Robert Sarah souligne l’urgence du silence et de l’intériorité, non pour fuir le monde, mais pour demeurer libre au cœur du monde. Une superintelligence omniprésente, même bienveillante, peut saturer cet espace intérieur, elle remplace l’attente par l’immédiat, le discernement par la suggestion, la contemplation par la consommation d’inputs, l’homme devient bruyant en lui-même et se perd de vue.On objectera que l’outil peut rester outil. C’est vrai, à deux conditions, d’abord une architecture technique et juridique qui limite radicalement la captation des données, le profilage et l’influence, ensuite une ascèse personnelle, apprendre à dire non, à éteindre, à sanctuariser des temps sans médiation numérique, à cultiver des relations réelles. L’éducation devra intégrer une écologie de l’attention et une hygiène numérique, faute de quoi l’outil mangera l’artisan.

La mission de l’Église est double, rappeler la vérité simple, aucune innovation ne compense l’absence d’amour, aucune efficacité ne remplace la proximité, aucune simulation d’empathie n’égale une main posée sur une épaule, et promouvoir une éthique de la technologie au service du bien commun, transparence des systèmes, contrôle par l’utilisateur, subsidiarité, priorité aux usages qui renforcent les liens familiaux, l’éducation, la santé et la créativité authentique, non les ersatz relationnels.La superintelligence personnelle peut être un bon serviteur, elle deviendra un mauvais maître si nous lui demandons d’occuper la place du prochain, du guide spirituel, de la conscience. Les lunettes qui voient tout pourront nous aider à réparer une porte, elles ne nous apprendront pas à ouvrir notre cœur. Les capteurs qui entendent tout amélioreront peut-être notre diction, ils ne nous apprendront pas à demander pardon.

Il ne s’agit pas de refuser le progrès, il s’agit de l’ordonner. Le discernement chrétien commence par une question, qu’est-ce qui, dans cette technologie, sert la vocation de la personne à la communion et à la sainteté, et qu’est-ce qui l’entrave, à cette aune, le projet d’une présence algorithmique permanente devra accepter des limites claires. Sinon, la promesse d’un ami numérique se muera en tutelle, et la modernité technologique deviendra ce que l’Écriture nous aide à reconnaître, une idole séduisante, exigeante et, au bout du compte, dévoreuse.

Le pape Léon XIV nous offre la boussole, « Aucun algorithme ne pourra jamais remplacer une embrassade », ce n’est pas un slogan, c’est un principe de civilisation. Si nous l’oublions, la superintelligence ne sera pas un chemin de croissance, elle deviendra un raccourci vers l’inhumain.

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