« Toute la fécondité de l’Église et du Saint-Siège dépend de la Croix du Christ. Autrement, ce ne serait qu’apparence, voire pire. » En une seule phrase, prononcée ce lundi 9 juin 2025 depuis la basilique Saint-Pierre, le pape Léon XIV a donné la clé de lecture de son homélie, le Jubilé du Saint-Siège est une grâce de renouveau, enracinée dans le mystère pascal, éclairée par Marie, Mère de l’Église.Dans une liturgie marquée par la mémoire de la Pentecôte, célébrée la veille, le Saint-Père a convoqué deux « icônes bibliques », Marie au pied de la Croix (Jean 19), et Marie au Cénacle avec les Apôtres (Actes 1). Il y a vu les deux visages inséparables de la maternité ecclésiale de la Vierge, unie au sacrifice du Christ, puis au service silencieux de l’unité naissante.
La première image évoquée fut celle du Calvaire, Marie debout, silencieuse, recevant de son Fils une nouvelle mission, « Femme, voici ton fils. » Le pape y a vu le moment où « la mère de Jésus est devenue la nouvelle Ève », associée à l’offrande rédemptrice du Christ. Et d’en tirer une affirmation forte, « Toute la fécondité de l’Église dépend de la Croix. » Citant Hans Urs von Balthasar, Léon XIV a rappelé que l’Église, si elle est née de la Croix, doit à son tour porter du fruit selon la forme de cette Croix. À rebours de toute tentation d’efficacité humaine ou d’organisation mondaine, le Saint-Père a insisté, « Autrement, ce ne serait qu’apparence, voire pire. » Une mise en garde claire contre une Église qui perdrait sa sève surnaturelle.
Mais cette fécondité n’est pas théorique. Elle prend chair dans la vie quotidienne des fidèles. Dans une belle image pastorale, le pape a évoqué « un prêtre qui porte personnellement une lourde croix en raison de son ministère », ou encore « un père ou une mère de famille qui vit une situation difficile à la maison », « cet homme et cette femme sont féconds dans la fécondité de Marie et de l’Église. » Le Saint-Siège, a rappelé Léon XIV, « vit aussi de la sainteté de chacun de ses membres ». Le Jubilé n’est donc pas seulement une commémoration institutionnelle, mais un appel personnel à la conversion et à la sainteté.
La deuxième icône biblique, Marie au Cénacle, a permis au pape de déployer une vision profonde de l’Église, Marie comme « mémoire vivante de Jésus », rassemblant les disciples, harmonisant les différences, soutenant Pierre. Dans une formule marquante, le pape Léon XIV a souligné, « Le Saint-Siège fait l’expérience très particulière de la présence de deux pôles, le pôle marial et le pôle pétrinien. Et c’est le pôle marial qui assure la fécondité et la sainteté du pôle pétrinien. » Une manière forte de rappeler que le pouvoir dans l’Église ne vaut que s’il est enraciné dans l’amour, l’humilité et la mémoire vivante du Christ.
L’homélie s’est conclue par une prière inspirée de la collecte, que l’Église, « soutenue par l’amour du Christ, ait la joie de donner naissance à des enfants toujours plus nombreux, de les voir grandir en sainteté ». Une prière qui éclaire la mission même du Saint-Siège, non pas seulement gouverner, mais engendrer, par la Croix et par Marie, une humanité transformée. En ce Jubilé du Saint-Siège, le pape Léon XIV a rappelé avec force que la sainteté est le service le plus fécond, et que la Vierge Marie demeure la Mère silencieuse mais efficace de toute fécondité apostolique.
Intégralité de l’homélie du Pape Léon XIV
Chers frères et sœurs,
aujourd’hui, nous avons la joie et la grâce de célébrer le jubilé du Saint-Siège en la mémoire liturgique de Marie, Mère de l’Église. Cette heureuse coïncidence est source de lumière et d’inspiration intérieure dans l’Esprit Saint qui, hier, jour de la Pentecôte, s’est répandu en abondance sur le peuple de Dieu. Et dans ce contexte spirituel, nous vivons aujourd’hui une journée spéciale, d’abord avec la méditation que nous avons écoutée et maintenant, ici, à la table de la Parole et de l’Eucharistie.
La Parole de Dieu dans cette célébration nous fait comprendre le mystère de l’Église, et en elle du Saint-Siège, à la lumière des deux icônes bibliques écrites par l’Esprit dans les Actes des Apôtres (1, 12-14) et dans l’Évangile de Jean (19, 25-34)
Commençons par le récit fondamental, celui de la mort de Jésus. Jean, le seul des Douze présent au Calvaire, a vu et témoigné que sous la croix, avec les autres femmes, se trouvait la mère de Jésus (v. 25). Et il a entendu de ses oreilles les dernières paroles du Maître, parmi lesquelles celles-ci : « Femme, voici ton fils ! », puis, s’adressant à lui : « Voici ta mère ! » (v. 26-27).
La maternité de Marie, à travers le mystère de la Croix, a fait un bond en avant inimaginable : la mère de Jésus est devenue la nouvelle Ève, car le Fils l’a associée à sa mort rédemptrice, source de vie nouvelle et éternelle pour tout homme qui vient en ce monde. Le thème de la fécondité est très présent dans cette liturgie. La « collecte » l’a immédiatement mis en évidence en nous invitant à demander au Père que l’Église, soutenue par l’amour du Christ, « soit toujours plus féconde dans l’Esprit ».
La fécondité de l’Église est la même que celle de Marie ; elle se réalise dans l’existence de ses membres dans la mesure où ils revivent “en petit” ce qu’a vécu la Mère, c’est-à-dire qu’ils aiment selon l’amour de Jésus. Toute la fécondité de l’Église et du Saint-Siège dépend de la Croix du Christ. Autrement, ce ne serait qu’apparence, voire pire. Un grand théologien contemporain a écrit : « Si l’Église est l’arbre qui a poussé à partir du petit grain de sénevé de la croix, cet arbre est destiné à produire à son tour des grains de sénevé, et donc des fruits qui répètent la forme de la croix, car c’est précisément à la croix qu’ils doivent leur existence » (H.U. von Balthasar, Cordula ovverosia il caso serio, Brescia 1969, 45-46).
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Dans la Collecte, nous avons également demandé que l’Église se réjouisse « de voir grandir en sainteté » ses enfants. En effet, cette fécondité de Marie et de l’Église est inséparablement liée à sa sainteté, c’est-à-dire à sa configuration au Christ. Le Saint-Siège est saint comme l’Église, dans son noyau originel, dans la fibre dont elle est tissée. Ainsi, le Siège apostolique conserve la sainteté de ses racines tout en étant gardé par elles. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il vit aussi de la sainteté de chacun de ses membres. C’est pourquoi la meilleure façon de servir le Saint-Siège est de s’efforcer d’être saint, chacun selon son état de vie et la tâche qui lui est confiée.
Par exemple, un prêtre qui porte personnellement une lourde croix en raison de son ministère, et qui pourtant se rend chaque jour à son bureau et s’efforce de faire son travail du mieux qu’il peut avec amour et foi, ce prêtre participe et contribue à la fécondité de l’Église. De même, un père ou une mère de famille qui vit une situation difficile à la maison, un enfant qui a des soucis, ou un parent malade, et qui poursuit son travail avec engagement, cet homme et cette femme sont féconds dans la fécondité de Marie et de l’Église.
Nous en arrivons maintenant à la deuxième icône, celle écrite par saint Luc au début des Actes des Apôtres, qui représente la mère de Jésus avec les apôtres et les disciples au Cénacle (1,12-14). Il nous montre la maternité de Marie à l’égard de l’Église naissante, une maternité « archétypale » qui reste d’actualité en tout temps et en tout lieu. Surtout, elle est toujours le fruit du mystère pascal, du don du Seigneur crucifié et ressuscité.
L’Esprit Saint qui descend avec puissance sur la première communauté est le même que celui que Jésus a rendu dans son dernier souffle (cf. Jn 19,30). Cette icône biblique est inséparable de la première : la fécondité de l’Église est toujours liée à la Grâce qui a jailli du Cœur transpercé de Jésus avec le sang et l’eau, symbole des Sacrements (cf. Jn 19, 34).
Marie, au Cénacle, grâce à la mission maternelle reçue au pied de la croix, est au service de la communauté naissante : elle est la mémoire vivante de Jésus et, en tant que telle, elle est, pour ainsi dire, le pôle d’attraction qui harmonise les différences et rend d’un seul cœur la prière des disciples.
Les Apôtres, dans ce texte aussi, sont énumérés par leur nom et, comme toujours, le premier est Pierre (cf. v. 13). Mais c’est lui, le premier, qui est soutenu par Marie dans son ministère. De même, notre Mère l’Église soutient le ministère des successeurs de Pierre par le charisme marial. Le Saint-Siège fait l’expérience très particulière de la présence de deux pôles, le pôle marial et le pôle pétrinien. Et c’est le pôle marial qui assure la fécondité et la sainteté du pôle pétrinien, par sa maternité, don du Christ et de l’Esprit.
Bien-aimés, louons Dieu pour sa Parole, lampe qui éclaire nos pas, ainsi que notre vie quotidienne au service du Saint-Siège. Éclairés par cette Parole, renouvelons notre prière : « Accorde, ô Père, à ton Église, soutenue par l’amour du Christ, la joie de donner naissance à des enfants toujours plus nombreux, de les voir grandir en sainteté et d’attirer à elle toutes les familles des peuples » (Collecte). Amen.