On s’en doutait, les fans, les ultras de François cultivent déjà une nostalgie du « c’était mieux avant ». À Bologne, lors du festival Repubblica delle idee, le cardinal Matteo Zuppi a laissé transparaître ce que beaucoup soupçonnaient depuis des mois : l’arrivée du pape Léon XIV ne plaît guère dans certains cercles progressistes. Et certains n’ont pas attendu longtemps pour le faire entendre, parfois de manière explicite.
Invité à dialoguer avec le journaliste Francesco Merlo, figure emblématique de La Repubblica, le président de la Conférence épiscopale italienne s’est laissé entraîner dans une conversation où les regrets se sont exprimés avec légèreté mais clarté. Merlo affirme : « Nous sommes ceux à qui François manque. Le nouveau pape ? Il est froid. » Plutôt que de nuancer ou de rappeler le respect dû au successeur de Pierre, Zuppi acquiesce : « Oui, François nous manque à tous. »
Pendant près de trois quarts d’heure, l’échange ressemble davantage à un hommage au pape François qu’à une réflexion sur l’Église actuelle. Aucun mot sur le pape Léon XIV, aucune mention de son élection, pourtant historique, ni de ses premières décisions. Pas même une formule protocolaire. Le successeur direct de François ? Absent du discours, comme s’il n’existait pas.Pour les observateurs, ce silence est éloquent. Le média italien avait déjà, dans ses longues pages précédant le conclave, exprimé son soutien à Matteo Zuppi comme candidat potentiel au pontificat. Et lors de la présentation du débat, le vice-directeur du journal, Stefano Cappellini, s’en amuse presque : « Certains espéraient que ce débat n’ait pas lieu, parce qu’un des deux aurait eu un engagement important dans une autre ville… » Allusion transparente : Zuppi pape, c’était un souhait non dissimulé.
Mais cette nostalgie n’est pas seulement affective, elle devient critique. On parle de liturgie réintroduite, de froideur doctrinale, de manque d’humour. Merlo dit : « On fait l’exégèse du nouveau pape, mais à moi il me paraît froid. On dit qu’il fait le pape, alors que François, plus il faisait moins le pape, plus il le devenait. » Étrange logique, saluée néanmoins par le public.
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Le cardinal Zuppi aurait pu, en tant que cardinal, rappeler simplement la continuité du ministère pétrinien, souligner la légitimité du nouveau pontife, ou au moins citer son nom. Il ne l’a pas fait. Il a préféré revenir sur les thèmes chers à François : guerre mondiale par morceaux, ponts et murs, écologie intégrale. Et rien sur Léon XIV.
Dans cet échange complaisant, les analyses cèdent la place à l’autocongratulation. L’ironie de François est vantée comme s’il s’agissait d’un attribut évangélique.Le prélat Zuppi affirme même que cette ironie « absente des Évangiles » rapprochait François du peuple, soulignant ainsi sa propre filiation. Mais la convivialité du Christ, si réelle dans les Évangiles, n’a jamais eu besoin de second degré pour annoncer le salut. Que cette ironie soit absente de l’Écriture n’a rien d’un manque. Elle n’est pas une condition pour reconnaître Jésus-Christ comme Sauveur du monde.
Et pendant ce temps, le nom de Prevost n’est jamais prononcé. Pas une fois. Alors que Léon XIV prend ses premières décisions, alors qu’il affirme doucement mais fermement une ligne plus claire, plus enracinée dans la tradition liturgique et doctrinale, certains regardent ailleurs. On évoque don Milani, les messes beat des années 70, et la solennité vue comme hypocrisie. Lorsque Merlo lance : « Tu es le chouchou de deux papes, espérons de trois », Zuppi sourit, gêné, et lâche simplement : « Espérons. » Mais on sent qu’il n’y croit pas.
Peut-être sait-il, fin connaisseur des rouages ecclésiaux, qu’il ne sera jamais le favori du pape Léon XIV. Ou peut-être a-t-il compris qu’avec ce nouveau pontificat, le temps des connivences médiatiques touche à sa fin.
Avec la Bussola