Éric-Emmanuel Schmitt est membre de l’Académie Goncourt. Auteur de pièces à succès comme Le Visiteur et de romans traduits dans le monde entier (Monsieur Ibrahim, Oscar et la Dame rose), il a connu deux conversions spirituelles marquantes, l’une dans le désert du Hoggar, l’autre à Jérusalem. Il vit aujourd’hui à Bruxelles et poursuit une vaste fresque littéraire intitulée La Traversée des Temps, consacrée à l’histoire de l’humanité.
À l’approche d’une soirée consacrée à Judas à Paris, il a accordé un entretien à Tribune Chrétienne.
Tribune Chrétienne : Depuis quelques années, vous vous êtes lancé dans une entreprise pharaonesque de raconter l’histoire de l’humanité. La Traversée des Temps veut-elle affirmer quelque chose d’immanent à la race humaine, quelles que soient les époques ?
Éric-Emmanuel Schmitt – Je cherche à raconter ce qui change autant que ce qui ne change pas. Au fil de temps, je crois que demeure la condition humaine, son mystère, ainsi que les émotions et les sentiments qui accompagnent une existence. De surcroît, les hommes sont habités à toute époque par les mêmes questions : que fais-je sur terre ? Pourquoi dois-je en partir un jour ? Qu’est-ce qui m’est promis ici maintenant et plus tard ? Ai-je raison ou tort d’agir ainsi ? Les réponses changent, c’est ce qui fait l’Histoire. Et les modes d’organisation sociale aussi.
TC : L’histoire des hommes peut croiser aussi l’histoire de Dieu. Vous, par deux fois, vous avez connu des rencontres spirituelles hors du commun. Vous êtes-vous demandé pourquoi vous ?
Éric-Emmanuel Schmitt – Je me le suis demandé chaque fois. Surtout la seconde fois, au Saint Sépulcre, à Jérusalem. Je pense que Dieu fait cela par amour, un amour général, pas un amour pour quelqu’un en particulier. Mais pourquoi pas se manifeste-t-il pas à tout le monde ? Peut-être s’offre-t-il à chacun, mais, selon moi, certains ne savent ni le voir ni le reconnaître. Il faut des failles pour que la lumière passe… Parfois, je songe aussi que ces révélations me donnent le devoir d’écrire et de témoigner, puisque je suis une plume…
TC : Vous serez ce jeudi soir à Paris à l’Espace Bernanos pour vous interroger sur la place d’un personnage historique indispensable à l’histoire du salut, Judas Iscariote. Ce traître absolu vous révulse-t-il ou avez-vous de la compassion pour lui ?
Éric-Emmanuel Schmitt – Je n’y vois pas du tout un traître, mais le disciple qui a compris qu’il fallait qu’il se sacrifie pour que le destin du Christ s’accomplisse. Pour moi, lors du dernier repas, Jésus lui a suggéré qu’il devait de le dénoncer. Je discerne un être sacrificiel en Judas, celui qui accepte le mauvais rôle aux yeux du monde parce qu’il a reçu la lumière du Christ. Oh, je ne prétends pas avoir raison, mais j’émets cette hypothèse. D’ailleurs, lorsque je l’avais exposée au pape François, il l’avait trouvée très intéressante. Un mystère, ça ne se résout pas, ça donne à penser.
TC : Dans notre monde d’aujourd’hui, y a-t-il encore des Judas parmi nous et les avez-vous identifiés ?
Beaucoup d’entre nous sont des traîtres à eux-mêmes. Ils n’ont pas le courage d’être eux-mêmes, ou, par exemple, de recevoir des intuitions troublantes. Moi qui étais athée, lorsque j’ai reçu la foi au cœur du Sahara, cela m’a bousculé. La révélation est une révolution. Il m’a fallu tout repenser, tout renommer, cela m’a pris des années.
Éric-Emmanuel Schmitt – Un nouveau Pape, Léon XIV, est à la tête de l’Église catholique. Quel regard portez-vous sur ses premiers pas ?
Je pense qu’il est le bon pape au bon moment, le pape qui peut réconcilier des tendances de l’Église. Le pape François, que j’ai tant aimé, bousculait beaucoup, tranchait, se servait de son autorité pour abolir une partie de l’autorité du clergé. Il reculait les derniers temps, car il ne voulait pas couper l’Église en deux. Voter lors du conclave pour Léon XIV témoigne d’une grande sagesse chez le cardinaux. Comme François, il incarne le christianisme, mais peut-être un peu plus que François l’Église… »
C’est dans cette continuité de réflexion sur la foi, la trahison et le mystère de Dieu qu’Éric-Emmanuel Schmitt prendra la parole ce jeudi 26 juin à Paris lors d’une soirée consacrée à Judas. À l’auditorium de l’Espace Bernanos, il assistera à la représentation de La Mort de Judas, texte saisissant de Paul Claudel.
Interprété par Marc de Brebisson et Vianney Mallein, ce monologue donne voix à un Judas provocateur, tourmenté, à la fois lucide et insolent, qui revient sur son rôle dans la Passion du Christ. Claudel le fait dialoguer avec des ressuscités nostalgiques de leurs tombeaux, des paralytiques regrettant leurs béquilles, et n’épargne ni Simon Pierre, qualifié de chien pleurnichard, ni Marie-Madeleine, réduite à une caricature féminine.La mise en scène contemporaine donne à ce texte une résonance nouvelle, rendant Judas étrangement proche de notre époque. Administrateur, comptable, stratège politique, il devient le miroir d’un homme moderne en perte de sens. Après la représentation, Éric-Emmanuel Schmitt engagera une conversation avec le public pour approfondir cette figure ambivalente qu’il n’hésite pas à qualifier d’être sacrificiel, puis se prêtera à une séance de dédicaces
La représentation aura lieu ce jeudi 26 juin à l’auditorium de l’Espace Bernanos à Paris. L’entrée est payante dans la limite des places disponibles.
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