Depuis 2000 ans

« Affamer la population est une manière bon marché de faire la guerre » : le pape Léon XIV dénonce l’instrumentalisation de la faim

DR
DR
Le pape Léon XIV appelle à des mesures concrètes contre l’utilisation politique et militaire de la faim et exhorte la communauté internationale à dépasser les slogans pour agir au service des plus démunis

Ce lundi 30 juin , le pape Léon XIV a adressé pour la première fois un message officiel à la FAO ( Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture ) , à l’occasion du 80e anniversaire de sa fondation. Devant les représentants des États membres de l’Organisation , le Saint-Père a salué l’action de l’institution, tout en dénonçant sans détour les causes profondes et les responsabilités humaines dans la crise alimentaire mondiale.

Le pape a rappelé la mission biblique d’éradiquer la faim, en s’inspirant de l’Évangile : « Jésus, voyant une foule affamée, demanda à ses disciples de s’en occuper, bénissant leurs efforts » (cf. Jn 6,1-13). Mais selon lui, « le véritable miracle » de la multiplication des pains réside surtout dans la mise en évidence que « la clé pour vaincre la faim réside davantage dans le partage que dans l’accumulation cupide ». Une critique directe des logiques économiques fondées sur l’égoïsme et l’accaparement des ressources.Au-delà du rappel spirituel, Léon XIV dresse un constat alarmant : la sécurité alimentaire mondiale se dégrade, et les objectifs de « Faim Zéro » de l’Agenda 2030 paraissent de plus en plus hors de portée. « Bien que la terre soit capable de nourrir tous les êtres humains, tant de pauvres manquent encore de leur pain quotidien », déplore-t-il, soulignant l’écart entre les engagements internationaux et la réalité.

Mais c’est surtout l’utilisation cynique de la faim dans les conflits contemporains que le pape dénonce avec force :

« Affamer la population est une manière bon marché de faire la guerre. »

Selon Léon XIV, « brûler les terres, voler le bétail, bloquer l’aide » sont devenus des tactiques banales dans des zones où des groupes armés cherchent à soumettre des populations entières. Dans ces conditions, la violence s’ajoute à l’inflation, et les agriculteurs ne peuvent plus vivre de leur production. « Pendant que les civils maigrissent de misère, les élites politiques s’engraissent de corruption », avertit-il.Face à cette situation, le Saint-Père appelle la communauté internationale à se doter de « limites claires, reconnaissables et consensuelles » pour sanctionner les responsables de telles violations. Il affirme que repousser l’action ne fera qu’aggraver les souffrances, et que l’on ne peut se contenter de slogans : « Il est urgent de passer des paroles aux actes », insiste-t-il, en appelant à des mesures concrètes.

Lire aussi

Le pape n’omet pas de relier la crise alimentaire aux dérèglements politiques, économiques et écologiques. Il alerte sur le rôle du changement climatique, de la perte de biodiversité, mais aussi du détournement des ressources vers l’armement. Il déplore que des financements censés aider les populations affamées soient alloués à la fabrication d’armes, favorisant une « polarisation extrême » des relations internationales.Il conclut en appelant au dialogue, à la solidarité, et surtout à la paix. « Jamais auparavant il n’a été aussi urgent que nous devenions des artisans de paix », écrit-il, reprenant une parole du pape François. Le Saint-Siège, assure-t-il, continuera à servir la concorde entre les peuples, en particulier en faveur de ceux qui « ont faim et soif » et des régions « oubliées dans leur prostration ».

Ce message puissant et structuré marque une étape dans le magistère social du nouveau pontife. Fidèle à la doctrine de l’Église, Léon XIV assume un rôle de veilleur sur les dérives contemporaines, sans jamais oublier ceux que le monde oublie : les pauvres, les affamés, les civils opprimés.

INTEGRALITE du Message du Saint-Père Léon XIV aux participants de la XLIVe session de la Conférence de la FAO ( traduction TC)

Vatican, 30 juin 2025

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général de la FAO,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de tout cœur de m’avoir offert l’opportunité de m’adresser pour la première fois à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui célèbre cette année le quatre-vingtième anniversaire de sa fondation. Je salue cordialement tous les participants à cette quarante-quatrième session de la Conférence, son organe directeur suprême, et en particulier le Directeur général, Monsieur Qu Dongyu, en le remerciant pour le travail quotidien accompli par l’Organisation afin de chercher des réponses adaptées au problème de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition, qui demeure l’un des plus grands défis de notre temps.

L’Église soutient toutes les initiatives visant à mettre fin au scandale de la faim dans le monde, en adoptant les sentiments de son Seigneur, Jésus, qui, comme le rapportent les Évangiles, en voyant une grande foule s’approcher de lui pour écouter sa parole, s’est soucié avant tout de leur donner à manger, demandant à ses disciples de s’occuper du problème, bénissant abondamment les efforts réalisés (cf. Jn 6,1-13). Toutefois, à la lecture de ce que l’on appelle communément la « multiplication des pains » (cf. Mt 14,13-21 ; Mc 6,30-44 ; Lc 9,12-17 ; Jn 6,1-13), nous comprenons que le véritable miracle accompli par le Christ fut de montrer que la clé pour vaincre la faim réside davantage dans le partage que dans l’accumulation cupide. C’est peut-être une vérité que nous avons oubliée aujourd’hui, car, bien que des avancées aient été réalisées, la sécurité alimentaire mondiale continue de se détériorer, rendant de plus en plus improbable l’objectif « Faim Zéro » de l’Agenda 2030. Cela signifie que nous sommes loin de réaliser le mandat qui a présidé à la naissance, en 1945, de cette institution intergouvernementale.

Des personnes souffrent cruellement et espèrent voir leurs nombreux besoins soulagés. Nous savons bien qu’elles ne peuvent pas les résoudre seules. La tragédie persistante de la faim et de la malnutrition, qui touche encore aujourd’hui de nombreux pays, est d’autant plus triste et honteuse que, bien que la terre soit capable de produire assez de nourriture pour tous, et malgré les engagements internationaux en matière de sécurité alimentaire, tant de pauvres dans le monde continuent de manquer de leur pain quotidien.

Par ailleurs, nous assistons aujourd’hui avec consternation à l’utilisation perverse de la faim comme arme de guerre. Affamer la population est une manière bon marché de faire la guerre. Aujourd’hui, alors que la majorité des conflits ne sont plus menés par des armées régulières mais par des groupes civils armés aux ressources limitées, incendier des terres, voler du bétail, bloquer l’aide sont autant de tactiques utilisées pour contrôler des populations entières sans défense. Dans ces conflits, les premières cibles militaires deviennent les réseaux d’approvisionnement en eau et les voies de communication. Les agriculteurs ne peuvent plus vendre leurs produits dans des environnements marqués par la violence, et l’inflation explose. Cela conduit des masses entières à succomber au fléau de la faim et à périr, tandis que les élites politiques s’enrichissent dans l’impunité et la corruption. Il est temps d’adopter des limites claires, reconnues et partagées pour sanctionner ces abus et poursuivre leurs responsables.

Différer une solution à ce tableau déchirant ne fera qu’aggraver les angoisses et les souffrances des plus démunis, rendant leur chemin encore plus difficile. Il est donc urgent de passer des paroles aux actes, en mettant en œuvre des mesures efficaces qui permettent à ces personnes de regarder leur présent et leur avenir avec confiance et sérénité, et non dans la résignation. L’ère des slogans et des promesses trompeuses doit être close. Nous ne devons pas oublier que, tôt ou tard, nous devrons rendre des comptes aux générations futures, à qui nous laisserons un héritage d’injustices et d’inégalités si nous n’agissons pas aujourd’hui avec sagesse.

Les crises politiques, les conflits armés et les bouleversements économiques jouent un rôle central dans l’aggravation de la crise alimentaire, entravant l’aide humanitaire, compromettant la production agricole locale et niant ainsi non seulement l’accès à la nourriture, mais aussi le droit à une vie digne et riche de possibilités. Il serait fatal de ne pas soigner les blessures et les fractures causées par des années d’égoïsme et de superficialité. De plus, sans paix et stabilité, il ne sera pas possible de garantir des systèmes agroalimentaires résilients ni une alimentation saine, accessible et durable pour tous. D’où la nécessité d’un dialogue, dans lequel les parties impliquées aient la volonté non seulement de se parler, mais aussi de s’écouter, de se comprendre et d’agir ensemble. Les obstacles ne manqueront pas, mais avec un esprit d’humanité et de fraternité, les résultats ne pourront être que positifs.

Les systèmes alimentaires exercent une grande influence sur le changement climatique, et réciproquement. L’injustice sociale provoquée par les catastrophes naturelles et la perte de biodiversité doit être inversée pour parvenir à une transition écologique juste, plaçant au centre à la fois l’environnement et les personnes. Pour protéger les écosystèmes et les communautés les plus défavorisées, parmi lesquelles figurent les peuples autochtones, une mobilisation des ressources s’impose de la part des gouvernements, des entités publiques et privées, des organismes nationaux et locaux, afin d’adopter des stratégies qui donnent priorité à la régénération de la biodiversité et à la richesse des sols. Sans une action climatique déterminée et coordonnée, il sera impossible de garantir des systèmes agroalimentaires capables de nourrir une population mondiale en constante croissance. Produire de la nourriture ne suffit pas, il est aussi essentiel de garantir que les systèmes alimentaires soient durables et qu’ils assurent à tous des régimes alimentaires sains et abordables. Il s’agit donc de repenser et de renouveler nos systèmes alimentaires dans une perspective solidaire, en dépassant la logique de l’exploitation sauvage de la création et en orientant nos efforts vers la culture et la préservation de l’environnement et de ses ressources, pour garantir la sécurité alimentaire et progresser vers une nutrition suffisante et saine pour tous.

Monsieur le Président, à l’heure actuelle, nous assistons à une polarisation extrême des relations internationales, en raison des crises et des affrontements en cours. Des ressources financières et des technologies innovantes, qui devraient servir à éradiquer la pauvreté et la faim, sont détournées vers la fabrication et le commerce des armes. Ainsi, des idéologies douteuses sont promues, tandis que les relations humaines se refroidissent, ce qui affaiblit la communion, la fraternité et l’amitié sociale.

Jamais auparavant il n’a été aussi urgent que nous devenions des artisans de paix, œuvrant pour le bien commun, pour ce qui est bénéfique à tous, et non à quelques-uns toujours les mêmes. Pour garantir la paix et le développement, compris comme l’amélioration des conditions de vie des populations touchées par la faim, la guerre et la pauvreté, il faut des actions concrètes, fondées sur des approches sérieuses et orientées vers l’avenir. Il faut donc mettre de côté les rhétoriques stériles pour, avec une volonté politique ferme, comme l’a dit le pape François, aplanir « les divergences afin de favoriser un climat de collaboration et de confiance réciproque pour répondre aux besoins communs » (Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 9 janvier 2023).

Mesdames et Messieurs, pour atteindre ce noble objectif, je souhaite assurer que le Saint-Siège sera toujours au service de la concorde entre les peuples et ne se lassera pas de coopérer au bien commun de la famille des nations, en portant une attention particulière aux personnes les plus éprouvées, qui souffrent de la faim et de la soif, ainsi qu’aux régions reculées, incapables de se relever de leur misère en raison de l’indifférence de ceux qui devraient faire de la solidarité sans faille l’emblème de leur vie. Dans cet esprit, et en me faisant le porte-voix de ceux qui, dans le monde, sont meurtris par la misère, je prie Dieu tout-puissant pour que vos travaux portent des fruits abondants et profitent aux plus démunis et à l’ensemble de l’humanité.

LEÓN PP. XIV
Vatican, 30 juin 2025

Recevez chaque jour notre newsletter !