Didier Rykner est journaliste et historien de l’art, fondateur du magazine en ligne La Tribune de l’art. En 2007, il a lancé la pétition « Les musées ne sont pas à vendre », qui a recueilli plus de 3 000 signatures en réaction à la création des musées Louvre Abu Dhabi et Louvre Lens, ainsi qu’à la coopération avec le High Museum of Art d’Atlanta.
Militant contre toutes les atteintes au patrimoine français, Didier Rykner est à l’origine de la pétition pour la conservation à Notre-Dame De Paris des vitraux de Viollet-le-Duc, menacés d’être remplacés par des vitraux contemporains. Lancée en décembre 2023, la pétition comptabilise à ce jour plus de 193 000 signatures.
Pour Tribune Chrétienne, il partage son point de vue incisif sur le projet de remplacement des vitraux de Notre-Dame de Paris.
Tribune Chrétienne : Quelles sont les raisons invoquées par la commission nationale du patrimoine pour rejeter la création de vitraux contemporains à Notre-Dame ?
Didier Rykner : Je n’ai pas encore eu accès au compte-rendu de la commission du patrimoine mais les critiques sont les mêmes que les miennes. Les vitraux n’ont pas été endommagés par l’incendie, ils ont même été restaurés avec l’argent des donateurs. Ils font partie d’un ensemble voulu par Viollet-le-Duc et classé monument historique. La Charte de Venise (NDLR : orientations qui fournissent un cadre international pour la préservation et la restauration des objets et des bâtiments anciens approuvées à Venise en 1964) interdit de remplacer des éléments qui n’ont pas subi de dommages dans un édifice historique.
Les vitraux ont été conçus pour la cathédrale Notre-Dame. Les enlever pour les mettre, comme l’avait suggéré Emmanuel Macron, dans le musée de l’Œuvre, est absurde. Tout d’abord en raison de leur taille et surtout parce que ces vitraux sont adaptés à la cathédrale et en dehors de celle-ci, perdent leur sens. Après l’incendie en 2019, Mgr Aupetit avait déjà évoqué l’idée de placer des vitraux contemporains dans les chapelles de Notre-Dame, ce que Roselyne Bachelot, ministre de la Culture de l’époque, avait rejeté. Avant cela, le cardinal Lustiger, s’était lui-aussi vu opposer un refus de la part du ministère de la Culture.
Que pensez-vous de la position du diocèse à ce sujet ?
Elle est scandaleuse. Ce n’est pas le premier vandalisme permis par Mgr Ulrich. C’est quelqu’un qui n’aime pas le patrimoine. Il a récemment approuvé la destruction du couvent de la Visitation à Paris. Il a laissé détruire la chapelle Saint-Joseph à Lille, transformé le musée diocésain de Lille en centre d’art contemporain aux dépends des collections anciennes… Il a autorisé la vente d’un manuscrit extrêmement précieux qui appartenait à l’Institut catholique de Lille au Getty Museum donc il contribue à l’appauvrissement du patrimoine français. L’Église de France a été, dans les années 1960, responsable du plus grand vandalisme que les églises ont connu depuis la Révolution : la disparition d’une grande partie de leur mobilier (clôtures de chœur, chaires, autels…). Et il continue. On n’a rien vu de tel en Italie. Je pense qu’il était possible de faire évoluer la liturgie sans un tel vandalisme.
Y-a-t-il une collusion entre le diocèse et le gouvernement ?
Emmanuel Macron n’ayant pas réussi à imposer sa flèche contemporaine et sachant que le diocèse était favorable aux vitraux contemporains, s’est reporté sur cela. Il a demandé, par l’intermédiaire des établissements publics, à l’archevêque de Paris de lui envoyer un courrier réitérant son souhait d’appliquer le projet de vitraux contemporains afin de ne pas apparaître comme l’initiateur de l’affaire. Emmanuel Macron est le seul responsable de tout cela.
Quel impact la pétition lancée par la Tribune de l’art peut-elle avoir sur le processus de décision finale ?
Cette pétition a déjà le mérite d’avoir attiré l’attention, en particulier médiatique, sur ce projet. Sans cela, je doute que l’on en parlerait. J’ai lancé un appel aux signataires afin qu’ils apportent leur soutien à l’association Sites et Monuments, la plus ancienne association nationale de protection du patrimoine, qui elle, va porter cette affaire devant la justice. Une pétition en soutien au patrimoine recueillant un tel nombre de signatures, c’est du jamais vu.
Quels sont les critères d’évaluation des projets des huit finalistes du projet de création de vitraux contemporains ?
Le seul critère dont j’ai connaissance c’est qu’il doit s’agir d’une représentation figurative de la Pentecôte. Daniel Burren, qui n’a jamais rien présenté de figuratif dans son art et ne correspond pas au cahier des charges, compte tout de même parmi les artistes retenus. Je ne suis pas contre Burren mais j’estime que son art n’a rien à faire à Notre-Dame.
J’ignore aussi si on paye ces artistes pour travailler. Si leur projet n’est pas retenu, il va falloir les dédommager avec de l’argent public.
Selon vous, quelle devrait-être la position du diocèse de Paris vis-à-vis de la cathédrale ?
Je pense qu’il faudrait conserver Notre-Dame avec ses vitraux, replacer la clôture de chœur qui a été retirée dans les années 1980 ainsi que la couronne de lumière. Pour ce qui est des vitraux contemporains, ils pourraient être installés dans les tours nord et sud en étant neutres en façade et lumineux à l’intérieur mais évidemment cela se verrait moins donc c’est moins intéressant… C’est une question d’égo. »
Propos recueillis par Philippe Marie
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