Le 27 juin dernier, à l’occasion de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, le cardinal Bustillo a ouvert solennellement les cérémonies de clôture du Grand Jubilé célébrant les 350 ans des apparitions du Christ à sainte Marguerite-Marie à Paray-le-Monial. À cette occasion, il a accordé une interview exclusive à Tribune Chrétienne, livrant sa réflexion sur le message du Sacré-Cœur, la mission de l’Église et les combats spirituels d’aujourd’hui.
Tribune Chretienne : Quelle était le sens de la consécration de la France au cœur sacré de Jésus ?
Cardinal Bustillo : La priorité dans notre responsabilité dans cette cérémonie était de confier la France au cœur immaculé de Jésus dans la tradition de l’Église.Consacrer la France au Sacré-Cœur est une tradition et l’on s’est inscrit dans cette tradition. Dans le passé on l’a vu et on l’a fait surtout lors de moments douloureux et difficiles de la vie du pays, dans les moments de crispation, de guerre, de douleur. On se tourne vers le Sacré-Cœur car on cherche la miséricorde de Dieu et la présence du Seigneur. Cette année nous l’avons fait dans le cadre du jubilé de l’Espérance, dans un cadre de confiance.
Dans notre société il y a beaucoup de fractures, de difficultés. Nous vivons dans une société dure et parfois sans pitié mais nous ne sommes pas des politiques. L’on se tourne vers Celui qui est doux et humble de cœur.
Ce sont donc les chrétiens qui se tournent vers le Sacré-Cœur pour que notre société devienne plus humaine et que l’Église évangélise les cœurs. Du cœur de Jésus, qui compatit pour l’humanité, évangéliser les cœurs des chrétiens, pour que les chrétiens restent un signe visible dans le monde.Face aux dérives de la société, euthanasie, avortement… nous ne sommes pas dans une démarche de réaction mais dans une démarche de perfection spirituelle.
On ne réagit pas, à travers cet événement, à des choses et des lois douloureuses qui blessent. Nous sommes dans l’identité spirituelle. Et l’identité spirituelle du chrétien part du cœur de Jésus.
La compassion du cœur de Jésus va apporter à la société cet apaisement dont on a besoin. Les gens aujourd’hui sont trop dans la crispation : action / réaction… « l’un a dit », « l’autre n’a pas dit »… J’ai parfois l’impression que le monde se vit sur Facebook où on est obligé d’être POUR ou CONTRE et rien d’autre.
La sagesse de l’Église depuis des siècles n’est pas dans cet « action / réaction » mais se place au-dessus de tout ça. L’Église a par définition de la hauteur et de la profondeur.
Tribune Chretienne :Comment le chrétien lambda peut vivre le cœur sacré au quotidien ?
Cardinal Bustillo : C’est un appel très puissant au quotidien car Jésus Christ s’est incarné et cette incarnation c’est Dieu qui plonge dans notre humanité et dans notre quotidien. Et puisque Dieu plonge dans notre humanité, il purifie d’un côté notre humanité et perfectionne notre humanité. Je pense à toutes ces paroles très dures, des comportements très durs dans notre monde, le constat est le suivant : on a profané notre spiritualité.
Être chrétien ce n’est pas être dur. Jésus n’a pas dit « je suis dur et fier de cœur », il a dit « je suis doux et humble de cœur ».
Je pense que l’Église ne doit pas être profanée par le système du monde.Nous les chrétiens, on s’est parfois laissé profaner par l’attitude de ce monde.
Ce qui nous entraîne des fois à être durs aussi, et aussi intransigeants que ce monde. Il ne s’agit pas d’être ni mou ni mielleux, mais d’être dans la douceur ; à qui on confiera la Terre ? « les doux posséderont la Terre » ( extrait des Béatitudes) . Le Christ n’a pas dit qu’il confiera la Terre aux durs . Donc il y a un lien profond entre la terre et la douceur. Si on est dans la dureté, on est primaire.Dans Caïn et Abel, le premier crime fratricide de l’humanité : ce qui est noté, c’est l’expression de prédation « il se jeta sur son frère ».
Et on remarque que beaucoup dans notre société sont devenus des prédateurs très primaires et très durs.
Toute la beauté du Sacré-Cœur est que le chrétien vient anoblir le monde par des comportements en phase avec l’Évangile. Nous chrétiens nous devons être anticonformistes par rapport au style du monde, c’est-à-dire que chaque chrétien doit être un prophète. Et quand on est prophète, on est forcément à contre-courant mais pas pour polémiquer, pour bâtir une société différente.
Tribune Chretienne : Vous faites également référence à Saint Jean-Paul II ?
Cardinal Bustillo : Quand Jean-Paul II nous a parlé de la civilisation de l’amour c’était très clair. Et aujourd’hui je me dis : où est cette civilisation ? Où est la fraternité ? Nous chrétiens, en voyant tous ces jeunes qui demandent le baptême ou la confirmation, nous avons un défi merveilleux, devant tous ces jeunes vierges d’un point de vue religieux, car ils ne connaissent pas vraiment l’Église, mais ils frappent à la porte de l’Église. Et donc notre défi est d’ouvrir les portes de l’Église à ces jeunes et d’ouvrir le Sacré-Cœur de Jésus à ces jeunes. Car ces jeunes ont soif d’amour, de vérité, de religion, et nous devons leur expliquer ce qu’est vraiment l’Église. Voilà qui nous sommes!
Tribune Chretienne : Êtes-vous favorable pour renouveler l’événement ?
Cardinal Bustillo : J’en ai parlé avec Monseigneur Moulins-Beaufort et les chapelains du sanctuaire et j’ai dit qu’il serait intéressant de renouveler cette consécration, comme l’on s’inscrit dans un mouvement (sans attendre une situation dramatique), dans lequel on vit ce beau moment et l’on dit que le Seigneur veille sur nous. Sans aucune polémique ou autre caractère politique autour de cela, simplement avec un sens religieux et spirituel.J’ai donc formulé cette demande avec Monseigneur Moulins-Beaufort.
Rappelons que notre pays et notre Église font face à différents défis : on a des douleurs, on traverse des épreuves mais nous ne sommes pas abandonnés par le Seigneur. C’est le propre de Dieu, le Seigneur n’abandonne pas les siens, donc restons dans la confiance.Parfois on est débordé, on est agacé, l’on peut être déprimé, mais gardons l’esprit et rêvons au principe biblique, au principe de l’Évangile.
Quand on parle des lectures concernant le Sacré-Cœur, qu’est-ce qu’on nous présente ? On nous présente le Bon Pasteur qui va chercher la brebis égarée. Et ici est toute la justesse de l’Évangile.Quand on regarde certains dessins dans les catacombes, qui datent du Ve siècle, ce qu’on voit c’est le Bon Pasteur qui porte la brebis sur ses épaules.
Tribune Chretienne : Est-ce que l’Église de France ne porte pas aussi sa responsabilité devant certaines blessures ?
Cardinal Bustillo : Un pasteur est toujours responsable et nous ne pouvons pas nous limiter à constater qu’il y a des difficultés. Notre responsabilité est de constater, de vérifier et de réagir. Et de réagir à notre manière. L’Église ne réagit pas d’une manière politique ou purement polémique, on réagit avec notre patrimoine propre : c’est l’animation spirituelle. La consécration au Sacré-Cœur, c’est donner, c’est supplier.
Tribune Chretienne : Envisagez-vous de faire venir le pape Léon en Corse ?
Cardinal Bustillo : Le pape Léon est déjà venu en Corse ! Il n’était pas pape, il est venu avec François. On peut dire qu’il était déjà pape dans le cœur de Dieu. Il a accompagné le pape François partout en Corse, il était là. Donc on peut dire que la Corse a déjà reçu deux papes !
Pour être plus sérieux, pour le moment je me suis dit avec compassion : le pauvre… il vient d’arriver, tout le monde est en train de lui dire ce qui va bien, ce qui va moins bien… il commence à avoir une vision holistique des choses, il est en train de prendre la vision de l’Église, et en fonction de cette vision il est en train de définir les priorités. Donc jusqu’au mois de septembre on va le laisser tranquille. Je sais qu’il a beaucoup de priorités, mais quand je le verrai je pourrai parler avec lui tranquillement. Moi personnellement après le conclave je ne suis pas allé le voir, car tous les cardinaux voulaient le voir, tous les évêques voulaient le voir, donc je me suis dit il doit avoir une overdose de rencontres et d’informations. Je préfère attendre un peu, et quand on aura le temps on ira le voir.
Tribune Chretienne : Justement, comment percevez-vous cette période que vit le Pape Léon XIV ?
Cardinal Bustillo : Il va du cardinal Sarah au cardinal Tagle, il balaye tous les courants de l’Église… C’est le pape, il vit son ministère d’unité et de communion. Le pape par nature n’est pas sectaire, et le grand défi de l’Église c’est la communion ! Un pape doit écouter tout le monde. Ça ouvre l’ère du pape Léon, qui n’est pas une photocopie de François. Il tient compte de ce que François a fait, mais il arrive avec son génie propre. Dans l’histoire des pontificats, il y a toujours à la fois une continuité et une discontinuité. Car chaque pape apporte sa vision propre. Donc actuellement le pape prend ses marques, voit ce qui se passe dans l’Église, mais ce qu’il recherche avant tout, c’est la communion de l’Église.
Tribune Chretienne : En parlant de différence, les fidèles attachés au rite tridentin attendent beaucoup de ce pape. Donc quoi leur répondre ?
Cardinal Bustillo : Je pense que dans l’Église il y a de la place pour tout le monde donc également pour ces fidèles attachés au rite tridentin, je le répéte il y a la place pour tout le monde. Dans l’Église catholique il y a beaucoup de rites donc il ne doit pas y avoir de problème à ce niveau-là. Donc le pape dans sa mission doit d’abord ÉCOUTER, ensuite DISCERNER et après DÉCIDER. C’est la pratique habituelle d’un pape. S’il y a des situations délicates, de sensibilités différentes, etc. il faut d’abord écouter et évaluer tous les arguments, après décider. Et le pape est dans cette ligne et se dit : pour le moment il capte toutes les réalités, toutes les douleurs… et quand il aura tous les éléments , il décidera.
Tribune Chretienne : Êtes-vous vous-même personnellement pour cet assouplissement du motu proprio Traditionis Custodes ?
Cardinal Bustillo : Moi je suis pour la paix dans l’Église évidemment. Et la paix dans l’Église, avant de parler par le rite, passe par l’Esprit. Le rite est une question de forme, c’est l’expression de célébrer sa foi avec Dieu donc ce qui est important c’est d’abord de pacifier les esprits pour ne pas tomber dans l’idéologie. Le rite en soi n’est pas un problème. Quand on voit les rites mozarabes, ambrosiens, orientaux… etc. là n’est pas le problème. La question pour nous catholiques est de rester dans une logique d’idéal sans tomber dans l’idéologie.
Donc le rite tridentin n’est pas un problème en soi au sein de l’Église. Moi je ne sais pas le célébrer mais je me rends compte qu’il ne doit pas exister de rigidité dans les rites, ça aussi c’est important : il faut avant tout rester dans la communion.
Je suis donc d’abord pour un assouplissement des consciences car sinon on tombe dans l’affrontement. Comme le disait le cardinal Sarah , Il est d’abord important qu’il y ait une maturité spirituelle, sinon on tombe dans la logique d’affrontement, on dit qu’on a un pape contre nous etc… Moi je n’ai jamais célébré le rite tridentin, je ne le connais pas très bien mais je connais et je respecte beaucoup de fidèles qui en sont proches et qui préfèrent ce rite. Je respecte ces choix. Quand on est pasteur on doit penser au bien de tous. Donc si une personne aime ce rite je suis pour qu’elle le continue. Je ne suis pas pour dire : tout le monde doit faire pareil !
On doit respecter une sainte diversité qui passe par l’acceptation de la diversité au niveau liturgique. Donc avant tout chercher la communion de l’Église : la communion, la communion, la communion !
Quand on voit la société, quand on voit les guerres Israël / Iran… et nous catholiques, qu’est-ce qu’on fait ?! Si nous catholiques nous sommes divisés, nous sommes idiots, nous sommes peu nombreux, et si l’on se permet le luxe de se diviser, alors vraiment c’est pas terrible. L’Église doit avoir la maturité d’accepter les différences et les divergences.
Tribune Chretienne : Juste un mot sur L’abbé Sébastien Dufour, qui célèbre la messe en latin à l’Église Saint-Charles-Borromée à Bastia ? certains fidèles parlent de discrimination ?
Cardinal Bustillo : Il n’y a rien de dramatique. J’ai parlé avec l’abbé hier longuement… certains journaux parlent de « discrimination », c’est n’importe quoi. Moi je lui donne un endroit où il sera tranquille et en paix, il pourra célébrer avec sa communauté, et c’était le but que nous recherchions tous les deux. On est tous les deux entièrement d’accord, on s’est parlé hier.C’est tout sauf une mise à l’écart, c’est un acte de protection et non de discrimination et il l’a parfaitement compris. Les fidèles n’ont pas tous les éléments, c’est donc un acte de protection et de liberté pour qu’il puisse exercer son ministère très librement. C’était ça le but, c’est ce que je lui ai dit et il a parfaitement compris. Il me connaît et il n’y a aucune difficulté entre nous. On est dans la simplicité.
Tribune Chretienne : Suite à la marche de fierté, la Gay Pride, et aux slogans hostiles au modèle de société reposant sur les valeurs chrétiennes, que répondez-vous ?
Cardinal Bustillo : Là on est dans la provocation et nous chrétiens nous devons pas nous situer dans la provocation mais dans la solidité. Si certains nous provoquent, nous devons pas être primaires et réagir sur tout. Je réponds prenons de la hauteur et de la profondeur face à toutes ces provocations. On laisse passer la caravane… !
On réagit pas à tout sinon on devient fou et on perd notre nature et notre culture car on rentre dans le jeu de la provocation pure. Cela c’est primaire, ça inclut un rapport de force. Nous sommes au-dessus au niveau spirituel. Il faut faire mourir le vieil homme et aller vers l’homme nouveau (Saint Paul ) et dans l’homme nouveau il y a la noblesse spirituelle. »
Concluant l’interview, précisant que son agenda était organisé jusqu’en 2027 ! Et de conclure : tant qu’on a la force, on donne ! .
Propos recueillis par Philippe Marie