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[Exclusif] François Molins à Tribune Chrétienne : « Ma foi a toujours constitué un soutien »

François Molins - DR
François Molins - DR
L'ex-procureur de la République confie que sa foi l’a aidé dans l'approche de scènes de crime terroristes.

Dans une interview exclusive accordée à Tribune Chrétienne, François Molins, l’ex-procureur emblématique, reconnu pour son rôle déterminant dans la lutte contre le terrorisme entre 2012 et 2018 a partagé son expérience unique.

Il aborde les défis éthiques et moraux auxquels il a été confronté tout au long de sa carrière, il précise comment sa foi catholique l’a soutenu dans ses décisions et ses rapports avec les victimes et les accusés. François Molins évoque également l’importance du discernement et de la compassion , tout en affirmant son engagement d’impartialité dans la pleine application des lois de la république française.

En tant que catholique, comment avez-vous navigué dans les défis éthiques et moraux que vous avez rencontrés tout au long de votre carrière judiciaire ?

L’article 1er de la Constitution de la Vème République affirme que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Dans ce cadre la Justice est rendue par des tribunaux indépendants et impartiaux. Les magistrats doivent donc faire preuve d’indépendance et d’impartialité et leur premier devoir est d’appliquer la loi, abstraction faite de tout préjugé personnel ou de tout parti pris. Pour accéder à cette indépendance et à cette impartialité, le magistrat doit donc identifier ses dépendances et ses préjugés pour mieux savoir les dépasser et les surmonter et accéder à l’impartialité dans l’exerce de ses fonctions.

Le magistrat ne doit bien sûr pas perdre de vue les questions éthiques mais il ne doit pas non plus raisonner en fonction de ses propres principes éthiques et moraux. Un magistrat ne saurait donc refuser d’appliquer la loi de la République au prétexte de ses opinions religieuses ou philosophiques.

Y a-t-il des engagements ou des valeurs de la doctrine catholique qui ont particulièrement influencé vos décisions dans des affaires sensibles ?

J’ai fait mes études chez les jésuites, de 10 ans à 18 ans, et je suis catholique pratiquant. J’ai appris chez les jésuites l’importance du discernement et de l’engagement de la vie au service des autres, l’ouverture au monde et les valeurs de tolérance et d’humanité. « Que l’autre soit et qu’il soit autre » (citation du père jésuite François Varillard) est pour moi la plus belle définition de l’humaniste chrétien. L’autre a le droit d’être ce qu’il est, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne.

Ces valeurs qui sont miennes ont nécessairement influencé mon parcours professionnel et mon regard sur les autres dans le cadre des affaires que j’ai traitées. Cela dit, j’ai toujours pris mes décisions dans le respect de la loi et des droits de chacun.

Lorsqu’à la Cour de cassation, j’ai été saisi de l’affaire Lambert* dans laquelle, en tant que procureur général, j’ai dû rendre un avis sur l’arrêt des soins de Vincent Lambert, je me suis posé beaucoup de questions et j’ai passé quelques nuits blanches avant de parvenir à trancher au fond de ma conscience. Comme je l’explique dans mon livre Au nom du peuple français** , je me suis dit que j’étais magistrat avant tout et seulement magistrat et je me suis donc rallié à la seule logique possible pour un magistrat : celle du droit pur. C’était pour moi la seule voie rationnelle et conforme à mon serment de magistrat. Il fallait que je me limite à la seule question de droit posée, sauf à sortir de mon rôle et de mes compétences.

Comment votre foi a-t-elle impacté vos interactions avec les victimes et les accusés dans les procédures judiciaires ?

En juillet 2016, j’ai été particulièrement choqué de l’attaque terroriste de Saint Etienne du Rouvray qui a vu deux terroristes s’en prendre à un prêtre parce qu’il était prêtre. Mais jamais, je n’ai ressenti de haine !

Dans les dramatiques attentats qui ont frappé notre pays depuis 2012 (Affaires Mérah, Charlie Hebdo, Hypercacher, Vendredi 13 novembre, attentat de Nice), j’ai toujours éprouvé beaucoup de compassion et d’empathie pour les victimes et leurs familles, trop souvent placées dans une situation de désarroi et d’isolement qui viennent s’ajouter à cette souffrance qu’exprimait si bien Paul Ricoeur en écrivant que « derrière la clameur de la victime se trouve une souffrance qui crie moins vengeance que récit ».

Je me suis notamment dans mon office professionnel, particulièrement en ce qui concerne les autopsies, toujours attaché à concilier les exigences de l’enquête et le respect des convictions religieuses des victimes.

Façade du Bataclan au lendemain de l’attaque – DR

Avez-vous trouvé le soutien de votre foi catholique pendant les moments difficiles de votre carrière ? Si oui, comment cela s’est manifesté ?

Ma foi a toujours constitué un soutien et m’a certainement aidé à traverser les nombreuses épreuves que j’ai pu rencontrer au cours de ma carrière. Je pense que cela s’est toujours manifesté dans le respect des autres et dans une approche particulière : quand on traite quotidiennement de la criminalité et que l’on est amené à requérir des peines de prison parfois très lourdes, on aborde l’être humain par sa face obscure. Je pense que ma foi m’a aidé en ce que cela n’a pas altéré ma vision de l’humanité. Je pense que personne n’est tout à fait mauvais et j’ai toujours cru à la réinsertion et à la rédemption qui va très au-delà.

Ma foi a aussi constitué un refuge qui m’a aidé dans la gestion de scènes de crime terroristes particulièrement difficiles comme celles de Charlie Hebdo ou des attentats des terrasses et du Bataclan le 13 novembre 2015.

Devant ces scènes de crime, je me suis recueilli quelques instants, j’ai prié. C’était une aspiration profonde et irrésistible, en même temps qu’une question de respect et de compassion pour les victimes. Et puis, après ce moment de recueillement, je suis revenu pleinement à mon office professionnel pour exercer mes responsabilités de procureur. »

Propos recueillis par Philippe Marie

L’essentiel en vidéo

*Le procureur général avait préconisé de casser la décision de reprise des traitements de Vincent Lambert.

**Dans Au nom du peuple français : mémoires , François Molins, figure centrale de l’antiterrorisme en France entre 2012 et 2018, retrace son parcours en tant que procureur. Il plaide pour une communication claire et objective de la justice, afin de rassurer la population pendant les crises.

Reconnue pour son intégrité et son courage, sa carrière l’a amené à jouer un rôle crucial dans des affaires politico-financières marquantes, telles que Bygmalion et Cahuzac, où il a su maintenir son indépendance face à la pression politique.

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