La lecture des extraits de Spera ( Espère-Albin Michel) nous interpelle… et même si Tribune Chrétienne n’est pas réputée pour être un bastion traditionnaliste, nous redisons tout notre attachement au respect d’une tradition fondatrice et partie intégrante de l’Église en France et dans le monde.
Ainsi Le pape François déclare d’abord que « la célébration de la messe selon le missel préconciliaire, en latin, doit être expressément autorisée par le Dicastère pour le Culte, qui ne l’accordera que dans certains cas particuliers », mais il ajoute que « la liturgie ne doit pas devenir idéologie ». Est-ce une idéologie de vouloir prier dans la langue de l’Église universelle, le latin, qui a porté la foi pendant des siècles et nourri tant de générations de saints ?
Est-ce une idéologie d’aspirer à une liturgie qui transcende le temps et l’espace, où la beauté des rites élève les âmes vers Dieu ? Ou bien l’idéologie réside-t-elle dans une volonté de restreindre, de segmenter, de transformer l’un des plus précieux trésors de l’Église en une pratique marginalisée, tolérée à peine dans des cas exceptionnels ?
Si la liturgie peut devenir idéologie, alors il faudrait également s’interroger sur d’autres formes liturgiques qui semblent parfois céder à la mondanité ou à la recherche d’une adaptation excessive au goût du jour. Qui décide de ce qui est idéologie et de ce qui ne l’est pas ? L’attachement au rite ancien est-il, par essence, une posture rigide, ou bien une quête légitime de sacré dans un monde qui en manque cruellement ?
Ces questions méritent d’être posées,
En poursuivant le Saint-Père affirme que cette « fascination pour ce que l’on ne comprend pas, qui a un air un peu occulte », relèverait d’une rigidité accompagnée de « toilettes recherchées et coûteuses, de dentelles, de rubans, de chasubles ». Ces propos, qui assimilent l’attachement à la tradition à une « ostentation de cléricalisme », interrogent sur la perception du pape envers une partie des fidèles.
François va plus loin en affirmant que « ces déguisements dissimulent parfois des déséquilibres, des déviations affectives, des problèmes comportementaux, un malaise personnel qui peut être instrumentalisé ». Une telle généralisation peut difficilement être reçue sans malaise. Doit-on comprendre que la préférence pour le rite tridentin serait systématiquement suspecte ?
Le pape rapporte également les propos d’un cardinal qui aurait demandé à de jeunes prêtres d’apprendre le vietnamien et l’espagnol et de remettre l’apprentissage du latin à …plus tard.
Si l’objectif est de mettre en avant le service pastoral auprès des populations locales, ce qui est louable, pourquoi alors éclipser ainsi la langue universelle de l’Église ? Le latin, loin d’être un caprice ou une mode dépassée, demeure le ciment spirituel et doctrinal de la catholicité.
Cette recommandation semble opposer mission pastorale et tradition liturgique, comme si les deux étaient incompatibles. Or, les prêtres doivent-ils sacrifier l’héritage millénaire de l’Église sur l’autel de l’adaptation aux besoins immédiats ? Cette vision « utilitariste » ne réduit-elle pas le rôle du prêtre à celui d’un agent communautaire, au détriment de sa vocation à célébrer les mystères de la foi dans une langue sacrée et universelle ?
Derrière cette anecdote, il semble transparaître une volonté de reléguer le latin, et avec lui le rite tridentin, au rang d’un vestige à peine toléré. Cette perspective inquiète, car elle pourrait marquer une rupture avec ce qui a toujours été au cœur de l’universalité de l’Église : une liturgie qui transcende les langues et les cultures pour unir tous les fidèles dans une même adoration de Dieu.
Si la liturgie est, comme le rappelle le Catéchisme de l’Église catholique, « la source et le sommet de la vie chrétienne » (CEC 1324), comment peut-elle être perçue comme autre chose qu’un rite en soi ?
Cette déclaration semble réduire le mystère liturgique à une dimension purement pastorale, risquant d’effacer l’essence transcendante de la liturgie, qui est avant tout une rencontre avec Dieu. Le concile Vatican II, dans Sacrosanctum Concilium, n’a-t-il pas justement insisté sur la centralité du mystère dans la liturgie, loin de tout utilitarisme ou pragmatisme ?
De plus, qualifier le mystère d’ »enveloppé dans un sens fumeux » pourrait être interprété comme une critique directe de la liturgie traditionnelle, notamment celle célébrée selon le missel de 1962. Pourtant, cette forme liturgique a nourri la foi de générations de catholiques et continue d’attirer par son sens profond du sacré.
Plutôt que de mépriser ou marginaliser ceux qui souhaitent approfondir leur connaissance du latin et du rite ancien, ne serait-il pas plus juste de reconnaître leur contribution à la richesse et à la diversité de l’Église ?
Notons qu’à plusieurs reprises dans son pontificat, le pape François a exprimé des réticences envers le traditionalisme. Cependant, ces extraits de Spera marquent une étape supplémentaire en liant l’attachement au rite ancien à des dérives psychologiques ou comportementales. Peut-on ignorer la douleur que de tels propos pourraient provoquer chez les fidèles sincèrement attachés à cette forme liturgique ?
La vision développée dans ce livre interroge sur la place réservée à une partie des catholiques dans l’Église de demain. Alors que le pape affirme que « les chrétiens ne sont pas ceux qui retournent en arrière », on pourrait rétorquer que la richesse de la tradition, loin d’être une marche arrière, est une source vive pour avancer avec solidité et sérénité.
Ce livre, dont Tribune Chrétienne partage ici les premiers échos, suscitera sans doute un débat vif. Les traditionalistes sauront-ils trouver dans ces pages une main tendue ou devront-ils y voir une fermeture supplémentaire ? L’avenir nous le dira.
Intégralité de l’extrait de SPERA (Espère) du Pape Francois :
« Il est établi aujourd’hui que la célébration de la messe selon le missel préconciliaire, en latin, doit être expressément autorisée par le Dicastère pour le Culte, qui ne l’accordera que dans certains cas particuliers ; parce qu’il n’est pas bon que la liturgie devienne idéologie.
C’est curieux, cette fascination pour ce que l’on ne comprend pas, qui a un air un peu occulte, et qui semble parfois intéresser même les générations les plus jeunes.
Souvent, cette rigidité s’accompagne de toilettes recherchées et coûteuses, de dentelles, de rubans, de chasubles.Ce n’est pas un goût pour la tradition, mais une ostentation de cléricalisme, qui n’est rien d’autre que la version ecclésiastique de l’individualisme.
Non pas un retour au sacré, mais tout le contraire : une mondanité sectaire.Parfois, ces déguisements dissimulent des déséquilibres, des déviations affectives, des problèmes comportementaux, un malaise personnel qui peut être instrumentalisé….
Un cardinal étatsunien m’a raconté qu’un jour, deux prêtres fraîchement ordonnés étaient venus le trouver pour lui demander l’autorisation de célébrer la messe en latin.
« Vous connaissez le latin ? » a demandé le cardinal.
– Non, mais nous allons l’apprendre, ont répondu les deux jeunes prêtres.
– Alors, vous allez faire comme ça, a dit le cardinal. Avant d’apprendre le latin, observez votre diocèse et regardez combien il compte d’émigrés vietnamiens : commencez par apprendre le vietnamien. Mais quand vous aurez appris le vietnamien, considérez la multitude de paroissiens de langue hispanique, et vous comprendrez qu’apprendre l’espagnol vous sera beaucoup plus utile pour votre service.
– Après le vietnamien et l’espagnol, revenez me voir et nous reparlerons du latin.
La liturgie ne peut être un rite en soi, en marge de la pastorale. Ni un exercice d’un spiritualisme abstrait, enveloppé dans un sens fumeux du mystère. La liturgie est une rencontre, c’est un retour vers les autres. Les chrétiens ne sont pas ceux qui retournent en arrière. Le flux de l’histoire et de la grâce va du bas vers le haut, comme la sève d’un arbre qui donne des fruits.
Sans ce flux, on se momifie, et en retournant en arrière, on ne reste pas en vie, jamais.
Si on n’avance pas, si on ne bouge pas, la vie, qu’elle soit végétale, animale ou humaine, meurt.
Cheminer veut dire changer, affronter des paysages nouveaux, accepter des défis nouveaux.
Dans son Commonitorium primum, au Ve siècle déjà, Vincent de Lérins, vénéré tant par les catholiques que par les orthodoxes, écrit que le dogme de la religion chrétienne s’appuie sur les lois suivantes : il progresse, en se consolidant avec les années, en se développant avec le temps, en s’approfondissant avec l’âge.
La compréhension de l’homme se modifie avec le temps, et avec elle sa façon de se percevoir lui-même et de s’exprimer : une chose est l’humanité qui s’exprime en sculptant la Victoire de Samothrace, une autre celle du Caravage, une autre encore celle de Chagall et de Dalí. C’est ainsi que la conscience des hommes s’approfondit. »
Extraits de SPERA – Pape Francois .