De plus en plus d’Indiens se convertissent au christianisme, et à mesure que progresse ce mouvement sreligieux et social, les persécutions visant les communautés chrétiennes s’intensifient dans de nombreuses régions du pays. L’Inde, civilisation ancienne et plurielle, abrite pourtant l’une des plus vieilles traditions chrétiennes du monde. Selon la tradition, l’apôtre Thomas aurait débarqué au Ier siècle sur la côte du Kerala, y fondant les premières communautés qui donneraient naissance aux chrétiens de saint Thomas. À partir de ce premier rameau se sont développées, durant deux millénaires, des Églises syriaques, catholiques, protestantes, pentecôtistes et charismatiques, qui témoignent d’une continuité historique exceptionnelle en Asie.
Cependant, jamais depuis l’indépendance de 1947 la situation des chrétiens n’avait été aussi fragilisée. Depuis 2014, année où le Bharatiya Janata Party a accédé au pouvoir, les violences dirigées contre eux ont connu une progression spectaculaire. Les données disponibles font état d’une hausse de 500 pour cent des crimes de haine enregistrés, mais ces chiffres ne reflètent qu’une fraction de la réalité, car une grande partie des agressions n’est pas signalée. Beaucoup de victimes renoncent à porter plainte, redoutant la pression sociale, les représailles locales ou la réticence des forces de l’ordre à intervenir.
Les attaques prennent des formes diverses, allant des agressions physiques aux destructions de lieux de culte, des interruptions forcées de prières aux accusations de conversions frauduleuses, des campagnes de dénigrement contre les pasteurs aux discriminations envers les chrétiens issus des castes les plus défavorisées.
Face à la montée continue des violences, plusieurs organisations chrétiennes ont choisi de convoquer une rencontre nationale le 29 novembre 2025 pour alerter les autorités et solliciter des mesures concrètes de protection. Cette démarche s’inscrit dans un contexte où, paradoxalement, le christianisme attire un nombre croissant d’Indiens, particulièrement dans les zones rurales et parmi les groupes les plus marginalisés, sensibles au message de dignité humaine et de solidarité porté par les Églises.
Cette croissance des conversions suscite une véritable inquiétude dans les mouvements nationalistes hindous qui défendent l’idée d’une Inde fondée sur une identité religieuse majoritaire homogène. Dans leur perspective, toute progression du christianisme constitue une atteinte à la cohésion culturelle du pays. Le Pendjab est récemment devenu un théâtre privilégié de ces tensions. Dans cet État non gouverné par le BJP, le Punjab Bachao Andolan, un mouvement d’apparition récente, affirme que les chrétiens représenteraient désormais 15 pour cent de la population, un chiffre très éloigné des données officielles du recensement de 2011 qui indiquaient 1,26 pour cent. Sur la base de cette estimation, le PBA accuse les missionnaires de conduire des conversions illégales, prétend que quelque 65 000 pasteurs seraient impliqués et réclame des poursuites judiciaires. Son dirigeant, Tejasvi Minhas, a annoncé la préparation d’un rapport destiné au gouvernement du Pendjab visant à demander des enquêtes sur les financements étrangers, sur l’usage de terrains agricoles pour des lieux de culte temporaires et sur ce qu’il décrit comme des troubles à la paix publique provoqués par la prédication amplifiée par haut-parleurs. Le mouvement milite aussi pour l’adoption d’une loi anti-conversion, dans la lignée des législations en vigueur dans douze États indiens.
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Cette hostilité s’enracine dans l’évolution politique du dernier siècle. L’idéologie de l’Hindutva, qui fait de l’hindouité le cœur de l’identité nationale, a progressivement façonné un climat où les minorités religieuses, y compris les chrétiens pourtant présents dans le sous-continent depuis près de deux mille ans, sont parfois présentées comme des éléments extérieurs ou suspects.
Cette perception s’accentue dans les zones où les Églises interviennent dans les domaines sociaux, éducatifs ou sanitaires. Les œuvres caritatives sont souvent interprétées comme autant de tentatives de conversion, ce qui alimente encore les tensions.Pourtant, malgré les pressions politiques, les campagnes de propagande et les violences, le christianisme indien demeure vigoureux. Les conversions observées aujourd’hui ne sont ni artificielles ni soudaines. Elles s’inscrivent dans une longue histoire marquée par la résilience, l’enracinement et le renouvellement. Elles résultent d’une quête spirituelle personnelle, parfois d’un rejet du système des castes, mais aussi d’un désir de justice, de dignité et de fraternité.
Les chrétiens de l’Inde se trouvent aujourd’hui à un tournant historique. Leur situation révèle un défi plus large pour la nation elle-même, celui de savoir si l’Inde continuera d’assumer son héritage pluriel ou si elle se laissera enfermer dans une conception réductrice de son identité. La montée des violences et des législations restrictives menace une tradition de pluralisme qui a toujours constitué l’une des grandes richesses du pays. Pourtant, la vitalité des communautés chrétiennes et leur capacité à demeurer présentes, actives et créatives laisse entrevoir un avenir encore ouvert. L’Inde est ainsi placée devant une interrogation essentielle, celle de savoir si elle choisira la peur des différences ou la fidélité à son histoire millénaire de diversité et d’hospitalité culturelle.
