Les grands dossiers et secrets du Vatican
Un soir de 1929, le téléphone sonne dans la résidence du nonce. C’est le
cardinal Pietro Gasparri, secrétaire d’Etat, qui annonce à Pacelli qu’il va quitter
définitivement son poste, et que c’est lui qui le remplacera. Pie XI a donné son
accord. La nouvelle est de taille. Le nonce raccroche le combiné et se tourne vers
soeur Pascalina :
— Je suis muté à Rome, le Saint-Père a besoin de moi.
C’est le plus beau jour de sa vie. C’est le pire moment de la vie de Pascalina.
Elle ne pourra pas, bien sûr, l’accompagner. Mgr Pacelli va retourner vivre dans
la maison de ses parents, à deux pas du Vatican, où sa soeur Elisabetta – qui
connaît et réprouve l’existence de Pascalina – s’occupera de lui, de son ménage,
de sa santé. Le sol se dérobe sous les pieds de la religieuse. Elle se sent, d’un
coup, humiliée et abandonnée.
C’est elle, pourtant, qui se charge de son départ, de ses affaires, et de cet
encombrant ensemble de meubles que lui ont offert les évêques allemands, sur
son conseil, en témoignage de leur reconnaissance. Ces meubles rustiques en
chêne et acajou, de facture prussienne, impressionneront tous les visiteurs de
Pie XII jusqu’à la fin de sa vie. Ah ! Si la jeune Allemande avait pu se faire toute
petite et se glisser dans une de ces caisses !
Il reviendra vite, promet-il à Pascalina. Et il tient parole. En novembre 1929,
il l’appelle à l’improviste pour prendre un peu de repos avec elle à Rorschach.
Mais à peine ont-ils chaussé leurs skis, comme au bon vieux temps, que le pape
en personne le fait appeler : Mgr Pacelli doit rentrer à Rome, il va être nommé
cardinal ! La cérémonie a lieu le 19 décembre 1929. Deux mois plus tard, il
prend officiellement ses fonctions de secrétaire d’Etat. Il est dorénavant le
numéro 2 de l’Eglise catholique. Cette fois, la page est tournée.
Pascalina est restée à Berlin. Obstinée, elle a choisi d’attendre, sûre qu’il ne
pourra se passer d’elle. Mais les lettres qu’elle reçoit de temps en temps lui
donnent peu d’espoir. Pacelli lui écrit qu’il va vivre, finalement, dans le palais
apostolique, tout à côté des appartements du pape. Qui pourrait imaginer qu’une
femme, fût-elle religieuse, partage un logement avec le cardinal secrétaire d’Etat
dans le palais apostolique ? Elle insiste, pourtant. Il lui explique, sur du beau
papier, de sa belle écriture, que c’est impossible, tout en lui avouant que sa
présence lui manque. Comment en serait-il autrement ? Elle a vécu à son côté
pendant douze ans ! Elle connaît tout de lui, y compris ses points faibles : qui
sait, par exemple, que le nouveau secrétaire d’Etat est émotif, taciturne, un peu
trop sûr de sa valeur ?
L’été 1930, Pie XI propose à Pacelli de l’accompagner à Castel Gandolfo.
Mais le cardinal décline l’invitation : il a décidé de ne rien changer à ses
habitudes et d’aller passer quatre semaines de vacances à Rorschach. Pascalina,
bien sûr, l’y rejoindra. Simplement, il emmène un jeune prêtre américain,
récemment nommé à la Secrétairerie d’Etat : Francis Spellman, de Boston. A la
fois comme chaperon et comme caution morale. Pascalina ne cache pas sa
déception. Elle enrage d’être suivie partout par cet Américain doucereux,
chafouin et obséquieux. Mais elle se rend aux arguments de Pacelli qui, dans le
même esprit, devient très officiellement le cardinal protecteur de la congrégation
des Soeurs enseignantes de la Sainte-Croix !
Etait-ce une idée de Francis Spellmann ? Peut-être. L’Américain est malin. Il
sait se rendre indispensable. Il fait comprendre à Pascalina qu’il est son allié, pas
son ennemi. Il procure à Pacelli une superbe limousine américaine – le même
modèle que celle de Pie XI. Il joue les chauffeurs, emmène le cardinal et sa
gouvernante visiter quelques vallées en Suisse, en Allemagne, en Autriche. Il
comprend la situation. Pacelli a 54 ans. Pascalina en a 36, c’est l’âge de tous les
scandales. Que jamais ces deux-là ne paraissent seuls en public ! Un jour, il
entend le cardinal s’excuser auprès d’elle :
— Je vous ai souhaitée près de moi, mais mes mains sont liées !