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« La Tradition, c’est moi ! »

Série- LES GRANDS DOSSIERS ET SECRETS DU VATICAN

Bernard Lecomte.

« La Tradition, c’est moi ! »

Le 24 avril 1870, le pape promulgue solennellement la constitution dogmatique De Fide catolica (« Sur la foi catholique »), qui a été votée à l’unanimité des 667 présents. Dans sa conclusion, le texte confirme les condamnations du Syllabus et rappelle, pour le déplorer, que la « modernité européenne » repose sur le « rejet de Dieu ».

C’était le premier objectif de Pie IX. Mais déjà plusieurs évêques, au nom de la majorité, ont présenté au Saint-Père un nouveau postulatum souhaitant que le deuxième schéma de constitution, De Ecclesia (« Sur l’Eglise »), qui précisera la primauté du pape, comprenne une déclaration sur l’infaillibilité. Pie IX, on s’en doutait, n’hésite pas longtemps : la réponse est favorable.

La discussion générale débute le 13 mai. Un mois plus tard, le débat final examine tous les amendements au cours de onze sessions. Soixante-cinq discours plus tard, le 11 juillet, alors que la chaleur romaine commence à indisposer les pères conciliaires, ceux-ci sont saisis – enfin ! – du rapport final. Les « minoritaires » ont obtenu quelques résultats : il n’est plus question d’attribuer le privilège d’infaillibilité au pape en tant que personne privée ; le pape, en matière de foi, devra parler ex cathedra, c’est-à-dire au nom de toute l’Eglise.

Les « infaillibilistes » ont dû lâcher du lest. Et pourtant, le 13 juillet, un quart des pères conciliaires (88 contre et 62 abstentions sur 601 votants) hésitent encore. Le rapport final, qui intègre les 163 amendements discutés et votés pendant le débat, est distribué le 16 juillet. Le cardinal président se fend d’un discours adressé à tous ceux qui, par leur opposition, risquent de porter tort à l’Eglise. Un dernier incident éclate, qui montre la grande nervosité générale. Au vénérable cardinal Guidi qui entend appuyer l’infaillibilité sur la « Tradition », Pie IX, excédé, répond :

“La tradition, c’est moi !”

Remous dans l’assistance. Cette déclaration péremptoire et maladroite incite beaucoup d’évêques minoritaires à camper sur leur opposition.

Dupanloup, de plus en plus inquiet, conjure une dernière fois le pape de revenir en arrière. En vain. Or il va bien falloir en terminer. Quel effet désastreux risque d’avoir un vote final aussi partagé sur l’infaillibilité pontificale, trahissant une profonde division de l’Eglise ! Voilà un scandale dont les ennemis de l’Eglise, dans toute l’Europe, vont faire leurs choux gras. La décision est prise, dans l’entourage de Dupanloup, d’éviter d’afficher un tel désaveu. Le 17 juillet, veille du scrutin, 55 évêques « minoritaires » décident de quitter Rome, tout simplement, pour ne pas avoir à voter. Le texte si disputé est finalement adopté le 18 juillet 1870, en session publique, par les 535 votants.

Deux hésitants ont rallié in extremis cette quasi-unanimité. Mais il y a, au total, 114 absents. Et voilà qu’un orage grandiose éclate au-dessus de Rome, précipitant la basilique, sa coupole et ses vitraux dans un incroyable déchaînement d’éclairs et de coups de tonnerre. Le Ciel serait-il en colère ? L’orage passe.

L’émotion retombe. L’Eglise catholique est ainsi faite que la plupart des évêques minoritaires se rallieront, très vite, à l’autorité du pape. L’Eglise n’est pas une démocratie, et le concile n’a rien d’un parlement. Seul un petit groupe d’irréductibles, autour du chanoine Döllinger, à Munich, fera sécession en créant l’Eglise « vieux-catholique », laquelle n’aura pas un grand avenir. Tous les autres participants au concile, y compris les Dupanloup, Strossmayer, Hefele, se soumettront à l’autorité de leur Eglise et de son chef.

Certains opposants parmi les plus déterminés avaient bien pensé « proroger » la discussion, la reprendre plus tard sous un autre angle. Mais, en août 1870, une autre sorte d’orage gronde au-dessus de la Ville éternelle. Au cœur de l’été, Napoléon III aux prises avec la Prusse rapatrie en catastrophe ses troupes basées à Civitavecchia. Le 29 août, le gouvernement italien décide d’investir Rome désormais sans défense.

Le 20 septembre, le général Cadorna, pour le compte du roi Victor-Emmanuel, ouvre une brèche dans la Porta Pia et conquiert la ville sans coup férir. Le pape se déclare « prisonnier » au Vatican. La « question romaine » commence. Le concile est officiellement suspendu le 20 octobre. Or les travaux du concile du Vatican n’avaient fait que commencer.

Cinquante et un schémas restaient à discuter et à voter, qui ne reverront jamais le jour. Le seul résultat de ce concile interrompu, c’est l’infaillibilité pontificale ! Pie IX, qui s’en réjouit, résumera lui-même ce résultat par une maxime qui reviendra, un siècle plus tard, dans les commentaires du concile Vatican II : — Dans un concile, il y a trois périodes : la période du diable, qui cherche à brouiller tout ; la période de l’homme, qui cherche à confondre tout ; puis la période du Saint-Esprit, qui éclaire, purifie et accorde tout magnifiquement !

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