Editorial par Philippe Marie
Il suffit parfois de quelques semaines pour assister à une scène dont même les dramaturges les plus inventifs n’auraient pas osé rêver. Lorsque La Croix publia, le 30 octobre 2025, la tribune du collectif P.A.I.X sous le titre solennel : « Ne participons pas, à travers ce film, à renforcer le lien entre extrême droite et catholicisme », l’avertissement semblait clair : Sacré Cœur apparaissait comme un film réalisé et distribué par des gens peu fréquentables, enveloppé d’un réseau de soutiens inquiétants et supposément adossé à des mouvances politiques dont il devenait presque l’instrument involontaire. L’atmosphère était à la mise en garde, au signalement préventif, à ce réflexe typiquement progressiste qui consiste à scruter une œuvre non pour ce qu’elle dit, mais pour ce que certains imaginent qu’elle insinue.
À lire la tribune, on avait l’impression que le film avait franchi une frontière invisible : dès lors qu’il rencontrait trop naturellement la foi populaire, il devait nécessairement s’inscrire dans un “agenda”, un “projet”, une “stratégie”.
On s’autorisait alors toutes les contorsions, jusqu’à suggérer que la simple présence d’un prêtre ou d’un média dans l’orbite du film suffisait à en faire un objet politique. La Croix, reprenant ces inquiétudes sans grande distance critique, dessinait le portrait d’une œuvre suspecte, presque dangereuse, qu’il fallait regarder avec prudence, puisque les fidèles eux-mêmes ,pensait-on ,ne sauraient pas discerner ce qui était bon pour eux. Le ton implicite était celui-ci : nous allons vous expliquer de quoi il retourne, ne vous fiez pas à votre intuition, nous sommes là pour juger à votre place. Il n’était évidemment jamais question, dans cette vision dramatisée, de l’impossibilité concrète de faire une campagne d’affichage, ni du refus de certains médias d’accueillir les réalisateurs, jugés pas assez compatibles avec une certaine vision de l’Église façon Bergoglio. Non, le vrai grief était ailleurs : dans cette proximité fantasmée avec le diable, ainsi désigné sous un autre nom, celui du groupe Bolloré. Cette accusation à peine voilée en dit long sur l’étroitesse intellectuelle d’une partie des journalistes de certains médias catholiques qui, de La Vie au Pèlerin magazine, en passant par La Croix, se sont peu à peu mués en relais dociles des idéologies d’une fraction de la classe politique
Mais la réalité a ce charme de remettre les choses à leur place et heureusement le ridicule ne tue pas autrement la rédaction de La Croix serait aujourd’hui déserte ..
Les salles combles et les 460 000 spectateurs à ce jour ,ont répondu aux soupçons. Les familles, les jeunes, les prêtres ont afflué sans tenir compte des avertissements de certains intellectuels bien mal inspirés. Les témoignages de conversions, de paix retrouvée, de redécouverte de la foi se sont multipliés. Rien dans cette vague de ferveur ne ressemblait à la terrifiante machinerie idéologique décrite le 30 octobre.
La contradiction entre le vécu des spectateurs et la lecture inquiète d’une certaine intelligentsia qui se dit catholique progressiste devenait trop grande pour être ignorée.
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C’est ainsi que l’on se retrouve aujourd’hui, ce jeudi 11 décembre 2025 , dans le même journal, à lire un portrait de deux pages consacré à Hubert de Torcy, le courageux patron de SAJE production. Le ton est métamorphosé. Il n’est plus question de réseaux dangereux mais d’une aventure culturelle. On ne soupèse plus des risques mais on explore une vision, un modèle, un succès populaire. Ceux que l’on présentait comme des gens peu fréquentables deviennent soudain des acteurs centraux d’une renaissance du cinéma chrétien. Ce portrait, publié sans un mot sur la contradiction, agit comme un mot d’excuse discret, glissé dans un article bien tourné : une reconnaissance implicite que le premier jugement n’était pas le bon.
Le retournement est d’autant plus frappant que rien, dans le discours actuel, ne rappelle les inquiétudes solennelles du 30 octobre. On décrit désormais l’ampleur du phénomène, la dynamique missionnaire, la capacité du film à toucher des milliers de personnes. En adoptant cette perspective, La Croix reconnaît en creux que sa lecture initiale reposait moins sur les faits que sur des projections idéologiques destinées à rassurer certains milieux. Ce que le journal écrivait naguère avec gravité apparaît aujourd’hui démenti par l’affluence des spectateurs.
Pour Sabrina et Steven Gunnell, pour Hubert de Torcy, cette pirouette éditoriale vaut davantage qu’un simple changement de ton. C’est une réparation, une demande de Grand Pardon
L’œuvre qu’on disait portée par des gens peu fréquentables s’est révélée être un chemin de foi pour des dizaines de milliers de personnes. Le distributeur que l’on soupçonnait devient aujourd’hui la figure que l’on interroge. Et le journal qui prétendait autrefois avertir se retrouve à expliquer ce qu’il n’avait pas vu.Ainsi, sans l’avouer, La Croix s’aligne enfin sur ce que tout le monde avait constaté : le film touche, rassemble et élève. Ce que la tribune du 30 octobre présentait comme un danger s’est révélé être un bien. Et pour ceux qui ont porté Sacré Cœur, la reconnaissance silencieuse d’aujourd’hui, adressée aux réalisateurs et au distributeur, vaut toutes les excuses qu’on ne prononcera jamais à voix haute.


