Tribune Chrétienne

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Les premières fissures

EXTRAIT ” Les derniers secrets du Vatican”de Bernard Lecomte


“En ce début d’été 1868, l’entourage du pape est satisfait. Les Etats sont à peu
près indifférents, la presse laïque est globalement méprisante, le monde
catholique se dirige tranquillement vers un concile où l’infaillibilité du pape
passera comme une lettre à la poste. C’est d’ailleurs ce que les porte-parole de
Pie IX, cardinaux romains ou chefs ultramontains, continueront de prétendre, à
quelques variantes près, jusqu’à l’interruption des travaux conciliaires, et même
au-delà.


Or la réalité est différente. A cette époque, en voyant que la Curie s’agite
beaucoup et s’occupe de tout, en grand secret, sans le moindre débat
contradictoire, les catholiques libéraux français et allemands commencent à
s’inquiéter. Jusqu’alors, dans la France des années 1867-1868, l’idée d’un
concile avait d’abord réuni ultramontains et libéraux dans un accord trompeur :
l’évêque Dupanloup, l’écrivain Montalembert et leurs amis espéraient qu’un
concile reviendrait sur les options antimodernistes du pape Pie IX, qu’il
permettrait d’adapter le droit canon aux réalités et de mieux répartir le pouvoir
ecclésial entre la Curie et les évêques. Leur désillusion sera amère.


C’est d’Allemagne que vient se glisser le premier grain de sable dans cette
machinerie trop bien huilée, sous la forme d’un livre collectif signé d’un
mystérieux « Janus ». L’opuscule est bientôt traduit en anglais, français, italien,
espagnol et arménien. L’auteur présumé en est l’abbé Döllinger, prévôt du
chapitre cathédral de Munich, clairement hostile à toute déclaration sur
l’infaillibilité du pape. Ignaz von Döllinger, prêtre et théologien, est connu pour
son engagement auprès des libéraux désireux de réconcilier l’Eglise et le monde
moderne. Un journaliste a relevé un jour ce graffiti rageur sur un mur du palais
du Latran : « Mort à Pie IX ! Döllinger pape ! »


Les thèses du mystérieux Janus provoquent le débat, nourri par une
« adresse » provenant d’un groupe de « laïcs » de Coblence, puis un pamphlet de
Mgr Maret, évêque in partibus et doyen de la Sorbonne. Ces échanges – qui ne
touchent pas le grand public – dureront jusqu’à l’ouverture du concile. Quelques
grands noms s’expriment en faveur de ces professions de foi libérales, comme
l’académicien Charles de Montalembert et le fougueux évêque d’Orléans,
Mgr Dupanloup, lui-même auteur d’une Lettre sur le futur concile oecuménique,
qui ne cache pas ses réserves quant au renforcement du pouvoir du pape.


Cette première salve de critiques déclenche quelques réactions sous forme de
lettres ou d’articles publiés dans les journaux ultramontains d’Espagne, de
France et même d’Amérique : le cardinal Manning, archevêque de Westminster,
et Mgr Dechamps, primat de Belgique, se déclarent ainsi, clairement, en faveur
de l’infaillibilité du pape. En France, c’est L’Univers, le journal de Louis
Veuillot, qui organise un véritable sondage auprès de ses lecteurs pour exiger
l’inscription du thème de l’infaillibilité au programme du concile à venir.
Le débat monte d’un ton le 6 février 1869, quand la revue jésuite Civiltà
Cattolica, proche du pape, publie une anonyme « Correspondance de France »
qui expose, sans nuances, les raisons pour lesquelles le concile devra confirmer
le Syllabus et proclamer solennellement l’infaillibilité du pape. « On espère »,
ajoute le rédacteur anonyme, que le concile proclamera l’infaillibilité papale ” par acclamations”.

Par acclamations ! La proposition fait grand bruit, notamment en Allemagne
où quinze évêques s’en ouvrent au pape dans une lettre secrète. A l’idée que la
Curie puisse faire adopter ainsi, sans débat, une initiative que l’Eglise n’avait pas
osé prendre en dix-huit siècles, le sang de Mgr Dupanloup ne fait qu’un tour : il
faut se battre ! L’évêque d’Orléans publie une lettre pastorale intitulée
Observations sur la controverse soulevée relativement à la définition de
l’infaillibilité au prochain concile, où il décline en vrac ses arguments :

« Ce principe, si c’en est un, est-il donc si nécessaire à la vie de l’Eglise qu’il
devienne dogme de foi ? ».

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