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Madeleine Delbrêl, la vénérable mystique sociale

 La laïque Madeleine Delbrêl, née en 1904, est parfois comparée par son courage à Sainte Jeanne d’Arc. Elle grandit sans éducation religieuse dans une famille française de la classe moyenne. À l’âge de quinze ans, elle était selon sa propre estimation « une athée stricte » et se sentait dans un monde de plus en plus absurde, elle rentre alors chez les scouts de France en tant que cheftaine de louveteaux. 

Puis soudain, elle subit une conversion inattendue à l’âge de vingt ans peut être à la suite de sa séparation avec l’homme qu’elle aimait, rentré chez les Dominicains. Elle prend conscience de DIEU.

 Malgré son attachement à la réflexion, sa conversion ne fut pas seulement la découverte d’une idée nouvelle :

« En lisant et en réfléchissant j’ai trouvé Dieu ; mais en priant j’ai cru que Dieu m’a trouvé et qu’il est une réalité vivante, et que nous pouvons l’aimer de la même manière que nous pouvons aimer une personne »

 L’enthousiasme d’un nouveau converti n’est guère atypique ; cependant, Madeleine, qui se décrit comme une « rapporteuse de l’éternelle nouveauté de Dieu », a maintenu le dynamisme de cette première rencontre pendant les quarante années suivantes de sa vie.

 Peu d’aspects de sa vie bien remplie ont un sens sans reconnaître en eux la conviction vécue que la foi chrétienne était pour elle une proposition tout ou rien.

En 1933, elle arrive à Ivry-sur-Seine, haut lieu du communisme en banlieue parisienne. Elle y restera pendant la majeure partie de sa vie, travaillant d’abord en privé, puis pour les gens ordinaires de la rue.

À partir de 1941, elle est conseillère laïque à la Mission de France des évêques français, un séminaire dont l’apostolat principal était de réévangéliser le pays.

En 1943, le cardinal Suhard fonde la Mission de Paris, dans le but de créer des liens de solidarité laïcs et cléricaux avec la classe ouvrière urbaine. Ces activités ont alimenté la conviction de Madeleine que les chrétiens d’aujourd’hui sont appelés à être des “missionnaires sans bateau”.

À travers la Mission de France et la Mission de Paris, elle a développé un penchant particulier pour les prêtres-ouvriers et a été déçue lorsque le Vatican est intervenu dans les années 1950 pour interdire aux prêtres en France de travailler dans les usines.

Elle fait référence à l’ascension du mont Carmel sur les traces de Jean de la Croix, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres où Madeleine Delbrel conçoit sa foi en des termes aussi radicaux. Elle développe la même métaphore avec de nouvelles perspectives :

« …notre vie chrétienne est un chemin entre deux abîmes. L’un est l’abîme mesurable des rejets de Dieu par le monde. L’autre est l’abîme insondable des mystères de Dieu. Nous viendrons voir que nous marchons sur la ligne voisine où ces deux abîmes se croisent. Et nous comprendrons ainsi comment nous sommes médiateurs et pourquoi nous sommes médiateurs ».

En tant que théologienne de l’existence chrétienne, elle affirmait que le mystère de Dieu s’expérimente dans la solitude.:

“Trouver Dieu, c’est trouver la solitude.”

Cependant pas dans un individualisme isolé qui sert d’abri sûr aux insécurités personnelles mais dans la solitude de la prière pour expérimenter une précarité nouvelle et vertigineuse, une vision objective d’abîmes jumeaux.

« Le silence… nous amène à faire un don de soi plutôt qu’un égoïsme qui a été emballé… Le silence ne signifie pas fuir mais plutôt se recueillir dans l’espace ouvert de Dieu ».

 Les dernières années de sa vie furent souvent consacrées à voyager et à donner des conférences partout dans le monde.

De petits groupes avaient vu le jour sur le modèle qu’elle et son mentor spirituel l’abbé Lorenzo, le pasteur d’Ivry, avaient fondé en France. Sa vision s’était propagée en Espagne, en Pologne et en Côte d’Ivoire, et Madeleine visitait ces nouvelles communautés chaque fois que sa santé le lui permettait.

En 1957 elle publie “Ville marxiste,terre de mission”, une grande partie de sa tâche au cours de cette période consistait à aborder le dialogue chrétien-marxiste. Elle a également vu les communistes à travers le même prisme qu’elle a regardé les pauvres de Dieu : “comme des voisins et des personnes créées à la ressemblance de Dieu”. Ni l’appartenance à un parti ni une analyse scientifique des divisions de classe ne pouvaient être le dernier mot sur le sort de l’individu. Elle pouvait discerner un véritable amour dans les aspirations du communisme pour la classe ouvrière.

 Ainsi elle condamna le mécanisme de la chaîne de montage et la destruction rapide de la famille qui se produisait parmi les classes populaires françaises :

« Le matérialisme et l’utilitarisme entravent la diffusion de l’Evangile et la promotion de la dignité des pauvres des villes ».

 L’allocution qu’elle prononce en 1961 sur « Espérance communiste et espérance chrétienne » devant une union française de sœurs de l’hôpital et du service social est assez instructive. Elle distingue ici Espérance chrétienne et espoir communiste. La différence entre les deux espoirs est une différence entre le progrès vers un avenir où les choses iront mieux qu’elles ne le sont maintenant et l’apparence d’un don qui n’est pas de notre fait et que Quelqu’un nous a fait.

Madeleine elle-même a admis dans les années 1960 que “le communisme est déjà en train de devenir “daté”… Sa semence, sa doctrine et son inspiration initiale sont révolues…

..par un étrange acte de substitution, la création a pris la place du Créateur… [nous vivons] à une époque où Dieu ne sera plus nié ni repoussé, mais simplement exclu. Un aveu aussi franc de l’athéisme”.

Pour elle se pose la question de la distinction entre ce qu’elle a appelé « une mentalité chrétienne » et la vraie foi.

Elle meurt le 13 octobre 1964 à Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne. Elle est reconnue vénérable par l’Eglise catholique.

Pierre-Yves Dessard.

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