Par Philippe Marie
Dans sa tribune publiée ce 8 octobre dans La Croix, l’historienne Lucetta Scaraffia affirme que la nomination de Sarah Mullally comme première femme archevêque de Canterbury serait le signe d’un « effondrement de la hiérarchie masculine ». Elle salue l’événement comme une avancée dans la reconnaissance des femmes, tout en déplorant que l’Église catholique reste selon elle prisonnière d’un système dominé par des hommes sourds à la voix féminine. Mais derrière cette lecture se cache une vision erronée du sacerdoce, de la crise ecclésiale et du rôle des femmes dans l’Église.
Lucetta Scaraffia n’est pas une militante de circonstance. Ancienne marxiste en 1968, convertie au catholicisme, historienne et figure du féminisme “catholique”, elle s’est imposée au Vatican comme une voix singulière, exigeant plus de pouvoir pour les femmes dans les institutions ecclésiales.
Sa tribune dans La Croix reprend un discours qu’elle tient depuis des années, celui d’une Église qui ne serait pas assez “féminine” dans son fonctionnement.
Or cette vision, séduisante pour un lectorat sensible aux questions d’égalité qui n’en sont pas, repose sur plusieurs contresens majeurs.D’abord, réduire la crise anglicane à un « effondrement masculin » relève d’un contournement du vrai problème. La Communion anglicane ne s’est pas vidée parce que ses archevêques étaient des hommes, mais parce qu’elle a abandonné la vérité doctrinale. Les chiffres sont là : depuis l’introduction de l’ordination des femmes et la bénédiction des unions homosexuelles, la pratique religieuse a chuté, les vocations se sont effondrées, et la foi s’est diluée dans un relativisme moral inquiétant. C’est une évidence spirituelle, non une question de genre.
Ce n’est pas parce qu’une femme occupe la cathèdre de Canterbury que l’Église d’Angleterre retrouvera sa vigueur. Le drame anglican n’est pas un drame de représentation, mais de foi. Quand la doctrine devient négociable, la vérité devient optionnelle, et la foi s’éteint.
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Ensuite, Lucetta Scaraffia se trompe en interprétant le sacerdoce comme une fonction de pouvoir. Elle reproche implicitement à l’Église catholique d’être une structure hiérarchique masculine qui refuserait aux femmes toute autorité. Mais cette lecture repose sur une confusion entre pouvoir et autorité spirituelle. Le prêtre n’est pas un chef, il n’est pas le détenteur d’un privilège, mais le signe sacramentel du Christ serviteur.Comme l’a écrit le cardinal Robert Sarah : « Le prêtre n’est pas un fonctionnaire du sacré, ni un chef d’entreprise ; il est un serviteur de Dieu et de ses frères. Quand on transforme le sacerdoce en pouvoir humain, on trahit le Christ serviteur »
Cette phrase résume toute la question, le sacerdoce ne se conquiert pas, il se reçoit. Et le Christ a voulu le confier à des hommes non pour exclure, mais pour signifier le mystère de l’Époux donnant sa vie pour l’Épouse, l’Église. Oublier cette logique symbolique et théologique, c’est rabattre la foi sur une simple grille sociologique.Lucetta Scaraffia a raison d’évoquer le drame des abus et le silence parfois coupable qui les entoure. Mais là encore, elle en tire des conclusions idéologiques, selon elle, tant que les femmes ne seront pas davantage en position d’autorité, ces abus ne cesseront pas. C’est une erreur grave. Le péché n’a pas de sexe, et la sainteté non plus, il est personnel et inhérent à chaque individu, il n’y a aucune responsabilité collective à instaurer. Rappelons que 97% des prêtres sont fidèles a leur sacerdoce et n’ont commis aucun crime ou délit . La réponse n’est pas dans la redistribution du pouvoir, mais dans la conversion des cœurs et la façon dont la foi irrigue chacun, y compris les prêtres .
Les femmes ont toujours été au cœur de l’Église, non par des postes de commandement, mais par leur fécondité spirituelle. Sans les religieuses, sans les mères chrétiennes, sans les femmes catéchistes, éducatrices, missionnaires, l’Église n’aurait ni visage ni souffle. Thérèse d’Avila, Catherine de Sienne, Claire d’Assise, Mère Teresa n’ont jamais revendiqué de titres, mais ont profondément réformé l’Église par leur sainteté. Voilà la vraie autorité.Enfin, la journaliste italienne semble croire que la reconnaissance des femmes passe par leur visibilité institutionnelle. Mais la vraie reconnaissance chrétienne ne se mesure pas à la fonction, elle se mesure à la fécondité du don. L’Église n’a pas besoin d’être “équilibrée” en termes de représentation, mais unie dans la complémentarité des vocations.
Le danger du féminisme catholique contemporain, même dans sa version modérée, est de vouloir transformer le service en stratégie et la grâce en revendication.
L’histoire récente montre pourtant que les Églises qui ont suivi ce chemin, anglicane, presbytérienne, luthérienne, se sont vidées. Là où la foi devient militante, elle cesse d’être mystique. Là où la liturgie devient horizontale, la transcendance s’éteint. Et là où le sacerdoce devient un poste de simple animateur, il perd sa dimension sacrificielle.L’Église n’a pas besoin de se féminiser pour être plus juste, elle a besoin de redevenir sainte pour être crédible. Ce n’est pas la hiérarchie masculine qui s’effondre, c’est la foi du siècle. Et la réponse ne viendra pas d’une féminisation des charges, mais d’une redécouverte du mystère du service.
La crise actuelle ne se résoudra ni par des quotas ni par des symboles, elle exige un retour au Christ serviteur, au silence, à la prière et à l’adoration. Comme le rappelle encore le cardinal Sarah, « le silence et l’adoration sont les deux poumons de l’âme sacerdotale ». Ce silence, les femmes de l’Église le connaissent mieux que quiconque, celui de la prière, de la fidélité et du don.Ce n’est pas en imitant les structures du monde que l’Église se renouvellera, mais en retrouvant la sainteté de ses origines, et sur ce chemin, les femmes ont déjà une place unique, non pas de pouvoir, mais de lumière.