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Que recherche – et qui sert – le père Weninger, apôtre d’une franc-maçonnerie amie du catholicisme ?

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« Tout catholique membre d'une loge maçonnique qui n'agit pas contre l'Église catholique peut le rester sans mauvaise conscience ni crainte de sanction »

Le jeudi 12 juin 2025, le père Michael Heinrich Weninger est intervenu sur ce thème à la Grande Loge Nationale Française (GLNF) à Paris, dans le cadre des conférences publiques « Villard de Honnecourt ». Cette prise de parole très attendue réaffirmait les thèses développées dans son livre Loge und Altar (en français : Loge et autel), qui s’inscrit dans un courant inquiétant de confusion doctrinale. Ce prêtre autrichien, ancien diplomate devenu prêtre en 2011 à l’âge de 60 ans – par vocation tardive ou par opportunité de carrière ecclésiale ? – affirme que l’appartenance à la franc-maçonnerie ne constitue plus une cause d’excommunication et serait, dans sa forme anglo-saxonne dite « régulière », compatible avec la foi catholique. Cette thèse est à la fois contraire à l’enseignement constant du Magistère et dangereuse pour les âmes.

Dans sa conférence filmée à la GLNF, le père Weninger affirme être « familier de la Curie romaine », avoir servi au sein du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et dit avoir été proche à la fois du pape Benoît XVI et du pape François. Il ajoute qu’aucune condamnation nouvelle de la franc-maçonnerie n’aurait été prononcée sous leur pontificat. Le père Weninger va jusqu’à affirmer que l’appellation de « Grand Architecte de l’Univers », souvent utilisée dans les loges, correspondrait chez les juifs à Yahvé, chez les musulmans à Allah, et chez les chrétiens au Dieu de la Sainte Trinité.

Une telle équivalence est théologiquement problématique, car elle tend à réduire le mystère de la Révélation chrétienne à un simple monothéisme générique, au mépris de la spécificité du Dieu trinitaire et incarné. Cette tentative de syncrétisme théologique, présentée comme un geste de dialogue, relève en réalité d’une confusion doctrinale majeure. Cette affirmation est trompeuse : elle passe sous silence la continuité doctrinale de l’Église, qui n’a jamais levé les condamnations précédentes, toujours en vigueur. Ce silence prétendu n’est pas un consentement tacite, mais la confirmation implicite d’un enseignement qui n’a pas changé. En droit canonique comme en théologie morale, le silence ne fait pas loi – surtout quand une déclaration explicite et toujours valide, approuvée par le pape Jean-Paul II et signée par le cardinal Ratzinger, affirme exactement le contraire.

Le père Weninger insiste également sur un autre argument : la disparition dans le Code de droit canonique de 1983 de toute mention explicite de la franc-maçonnerie. Il cite ainsi l’ancien canon 2335 du Code de 1917 : « Quiconque devient membre de la secte des francs-maçons ou d’une autre société semblable qui agit contre l’Église et l’autorité civile légitime, encourt ipso facto l’excommunication dont la levée est réservée au Siège apostolique. »

Puis il souligne que ce canon ne figure plus dans le nouveau Codex Iuris Canonici, en déduisant que la condamnation serait désormais caduque. Mais cette interprétation oublie l’essentiel : l’abrogation d’une formule ne signifie pas l’abrogation d’un enseignement. D’ailleurs, la Congrégation pour la doctrine de la foi, anticipant cette confusion, publia dès le 26 novembre 1983 une déclaration officielle – sous la présidence du cardinal Joseph Ratzinger – rappelant que l’incompatibilité restait inchangée. Elle affirmait que les principes des loges maçonniques demeuraient inconciliables avec la doctrine catholique et que les catholiques qui y adhèrent sont en état de péché grave :

« Le jugement négatif de l’Église sur les associations maçonniques demeure donc inchangé, parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Église. Par conséquent, l’inscription à ces associations reste interdite par l’Église. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion. »

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Avec une certaine provocation, le père Weninger ajoute : « Quel catholique pratiquant, fidèle à sa foi, voudrait appartenir à une loge hostile à celle-ci ? » Il en déduit que seul ce cas, celui d’une loge expressément hostile à la foi catholique, permettrait l’application du canon 1374 du Codex Iuris Canonici de 1983, lequel punit d’une « juste peine » celui qui donne son adhésion à une association qui agit contre l’Église. Selon lui, il faudrait donc démontrer l’hostilité explicite d’une loge particulière pour que le canon s’applique – une position relativiste qui inverse la logique de prudence pastorale : ce n’est plus à la loge de démontrer sa compatibilité avec la foi, mais à l’Église de prouver qu’elle lui est hostile.Son ouvrage, présenté comme une version remaniée de sa thèse de doctorat acceptée summa cum laude par l’Université pontificale grégorienne, prétend donc offrir une lecture apaisée et réconciliatrice du lien entre loges et Église catholique. Il s’appuie sur l’analyse d’archives vaticanes et maçonniques autrichiennes et allemandes pour affirmer que les condamnations de la franc-maçonnerie seraient fondées sur des malentendus historiques ou politiques.

Mais cette démarche repose sur un raisonnement trompeur, fondé sur des vraies-fausses implications. Le père Weninger opère une confusion entre des faits historiques circonstanciés (tels que l’implication politique de certaines loges dans le Risorgimento ou la Troisième République) et l’essence même de la franc-maçonnerie. Il en conclut que puisque certains conflits étaient d’ordre politique, l’opposition de l’Église à la maçonnerie serait elle aussi essentiellement politique, et non doctrinale. C’est là un sophisme.

Il affirme encore que l’omission du mot « franc-maçonnerie » dans le Code de droit canonique de 1983 impliquerait que la condamnation serait levée. Cette interprétation est fallacieuse. En réalité, cette omission a été aussitôt clarifiée par la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 26 novembre 1983, publiée la veille même de l’entrée en vigueur du Code. Elle rappelle avec fermeté l’incompatibilité entre foi catholique et appartenance maçonnique, et précise que les fidèles francs-maçons sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la communion. Le père Weninger prétend que cette déclaration aurait moins de valeur juridique que le Code, en la présentant comme un simple document moral canonique et non comme l’expression du droit canonique lui-même. Il oublie pourtant qu’elle constitue le commentaire autorisé du Code, validé expressément par le pape Jean-Paul II.

Notons que lors de cette même conférence, un intervenant anonyme a témoigné d’une parole reçue lors d’une confession, qui résume à elle seule l’enseignement constant de l’Église : « Je t’absous de tous tes péchés, tu peux faire ce que tu veux, sauf… ne vas pas en franc-maçonnerie. » Une phrase révélatrice qui en dit long sur la gravité perçue de cette appartenance au regard de la foi catholique.

Le père Weninger s’est permis de conclure son intervention par « Ainsi soit-il », ce qui n’a rien d’anodin. Cette expression, traduction liturgique de l’« Amen » chrétien, conclut traditionnellement une prière, une bénédiction ou une proclamation de foi. L’utiliser pour clore un exposé relativiste sur la compatibilité entre l’Évangile et une organisation initiatique fondée sur le secret et le rejet du dogme chrétien manifeste la confusion qu’il veut installer pour accréditer son discours. Cela revient à donner une onction liturgique à une parole qui contredit le Magistère.

Comme le rappelait Serge Abad-Gallardo, ancien franc-maçon converti, dans une critique directe adressée au père Weninger : « Les principes maçonniques sont incompatibles avec le catholicisme : ils professent un relativisme doctrinal, refusent toute vérité révélée et rejettent la Royauté du Christ. La franc-maçonnerie prétend remplacer la foi par la raison humaine. Or, l’homme ne peut se sauver par lui-même. »

Ces mots suffisent à éclairer la divergence profonde entre le discours du père Weninger et l’enseignement immuable de l’Église.

Vidéo de l’intervention du père Weninger

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