Dans un entretien exclusif accordé à Tribune Chrétienne, Didier Rykner, historien de l’art et directeur de La Tribune de l’Art, dénonce fermement la communication du ministère de la Culture sur le projet de vitraux contemporains destinés à remplacer ceux de Viollet-le-Duc dans six chapelles latérales de Notre-Dame de Paris. Il affirme que la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA) n’a jamais validé ce projet, contrairement à ce que prétend la ministre Rachida Dati.
Vous affirmez que la CNPA a en réalité refusé de se prononcer sur le projet de Claire Tabouret. Pourquoi, selon vous, le ministère de la Culture tente-t-il malgré tout de faire passer cela pour une validation du projet ?
« Le ministère de la Culture se déshonore en répondant aux journalistes que la CNPA a validé le projet. Quand on lit le texte des personnalités de la CNPA, on voit que le ministère ment sciemment pour faire croire à une validation qui n’existe pas. Ce texte, signé et publié par les membres de la CNPA, à l’exception des fonctionnaires du ministère ( qui n’ont pas été sollicités) , démontre qu’ils ne valident pas ce projet. La majorité des gens n’en veulent pas. Mais le ministère souhaite passer en force. La ministre Rachida Dati veut absolument faire croire que le projet a été validé, c’est un peu gros. Grâce à la publication de ce texte signé par les membres de la CNPA, il apparaîtra clairement que ce n’est pas le cas. »
Le projet avance à vive allure, malgré le rejet unanime de la CNPA l’an dernier et les critiques réitérées aujourd’hui. Ce passage en force constitue-t-il à vos yeux une rupture grave avec les principes de conservation du patrimoine ?
« C’est tout le projet porté par le ministère de la Culture qui constitue une rupture grave avec les principes de conservation du patrimoine. Même si la Charte de Venise n’a pas force de loi, elle représente l’éthique de la conservation ,et la France en a été l’un des moteurs. Ce qui est choquant, c’est que cette volonté vient du président de la République lui-même. En dehors de la ministre, qui obéit aux ordres, personne au ministère de la Culture ne soutient ce projet. C’est d’ailleurs pour cela que la CNPA n’a pas voté en sa faveur. À l’unanimité, elle avait déjà exprimé son opposition, et vient de rappeler qu’elle avait voté contre ce projet. Cette tentative de passage en force est très grave, et ce qui l’est tout autant, c’est de voir le ministère mentir sciemment aux journalistes. »
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Vous évoquez des actions judiciaires en cours et à venir. Pensez-vous qu’elles puissent réellement faire obstacle au calendrier annoncé pour la réalisation et la pose des nouveaux vitraux ?
« Le calendrier voulu est très serré, mais nous savons que le temps de la justice est plus long. Une première procédure est déjà engagée : elle conteste que l’établissement public, censé préserver Notre-Dame, fasse en réalité le contraire. Une seconde procédure aura lieu dès que l’autorisation de travaux sera délivrée ,et cela devrait être imminent, puisque le ministère passe outre l’avis de la CNPA. Ils veulent installer un premier vitrail dès la rentrée. l’association sites et monuments attaquera cette autorisation et demandera un référé-suspension. Au vu de l’urgence, j’ai bon espoir qu’il soit suivi. Même si le projet avance, je pense que sur le fond, nous gagnerons. Et s’ils sont malgré tout installés, ces vitraux devront être enlevés. Les responsables devront alors assumer les conséquences de ces dépenses inconsidérées. »
Vous parlez d’une gestion problématique des deniers publics dans un contexte de restrictions budgétaires. Quels risques politiques encourent, selon vous, les responsables s’ils persévèrent dans ce projet ?
« Les risques politiques sont forts. Si la justice administrative désavoue ce projet, on assistera à un véritable scandale d’État. »
Enfin, au-delà du cas Notre-Dame, cette affaire vous semble-t-elle révélatrice d’un mépris plus large des autorités envers les instances patrimoniales et les règles fondamentales de protection du patrimoine ?
« Il y a un véritable mépris du président de la République, c’est évident, pour les instances patrimoniales et les règles fondamentales de protection du patrimoine. Ce mépris, le président le montre depuis longtemps. Beaucoup de “politiques” essaient de défaire ou détricoter les règles établies. Le patrimoine, ça les ennuie. Récemment encore, le groupe Horizons à l’Assemblée nationale a proposé que les projets d’intérêt public n’aient plus l’obligation de fouilles archéologiques. Ce serait extrêmement grave. On voit bien qu’il y a une volonté de l’État et de nombreux parlementaires de se défaire des protections existantes. Toute cette affaire Notre-Dame en est une illustration révélatrice. »
INTEGRALITE DU TEXTE DES MEMBRES DE LA CNPA
« Nous, membres extérieurs de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, section travaux, affirmons que celle-ci n’a pas validé, ni donné son feu vert au projet de remplacement des vitraux de la cathédrale Notre-Dame de Paris par ceux de Claire Tabouret comme le prétendent plusieurs articles de presse et comme le sous-entend la communication de la ministre.
Bien au contraire : dans une unanimité rare, la CNPA avait rappelé le 11 juillet 2024 que la création artistique dans les monuments historiques ne peut conduire à sacrifier des éléments patrimoniaux présentant un intérêt du point de vue de l’histoire et de l’art, et s’était donc opposée à l’enlèvement des vitraux de Viollet-le-Duc classés monument historique, contraire par ailleurs à la Charte de Venise.
La ministre, qui en a le droit, a passé outre cet avis. Un second passage en Commission a eu lieu le 12 juin 2025 et les membres de la CNPA ont rappelé leur décision de juillet 2024. Dans ces conditions, ils n’ont pas donné leur avis sur le projet de vitraux de Claire Tabouret. Ils n’ont donc pas validé ce projet.
Ils ont en revanche pris position sur le nécessaire caractère réversible de l’opération si elle avait lieu, et sur la présentation immédiate au public des vitraux déposés. Toute autre interprétation de l’avis de la CNPA serait erroné.
Roger Bataille
Gilles Bayon de la Tour
Christophe Bottineau
Alexandre Gady
Jacques Grasser
Henri de Lépinay
Mathieu Lours
Élisabeth Pillet »
Texte à retrouver sur La Tribune de l’Art
Propos recueillis par Philippe Marie
Lien de la pétition Conservons à Notre-Dame de Paris les vitraux de Viollet-le-Duc