Entre accusations de malversations et tensions autour de l’autonomie financière de l’Église, cette affaire relance les débats sur la gestion des dons des fidèles en Italie.Une nouvelle enquête judiciaire en Italie place donc Antonino Becciu, frère du cardinal Angelo Becciu, et Monseigneur Corrado Melis, évêque d’Ozieri, au cœur d’un scandale autour de l’utilisation des fonds de l’8 pour mille, un dispositif fiscal italien destiné aux œuvres caritatives et religieuses.
Si le cardinal Becciu n’est pas accusé dans cette affaire spécifique, son rôle passé dans la gestion des finances de l’Église continue de susciter de vives critiques, renforçant les tensions entre l’État italien et le Saint-Siège.
L’enquête, menée par le procureur de Sassari, concerne la gestion de 2 millions d’euros provenant des fonds de l’8 pour mille, alloués au diocèse d’Ozieri entre 2010 et 2020. Ces fonds auraient été transférés à la coopérative sociale Spes, dirigée par Antonino Becciu, pour financer des activités caritatives présumées, telles qu’un fournil, un four et deux vignobles. La justice reproche à Mgr Melis et à Antonino Becciu un usage détourné de ces sommes, en contradiction avec les objectifs caritatifs fixés par la Conférence épiscopale italienne (CEI).
Qu’est-ce que l’8 pour mille ?
Le système de l’8 pour mille permet aux contribuables italiens de choisir de destiner 0,8 % de leur impôt sur le revenu à des organisations religieuses ou à l’État pour des projets sociaux et culturels. L’Église catholique, l’un des principaux bénéficiaires, utilise ces fonds pour le soutien du clergé, l’entretien des lieux de culte et des œuvres caritatives en Italie ou dans les pays en développement. Ces fonds, bien que collectés par le biais des impôts, sont gérés de manière autonome par la CEI, conformément aux accords bilatéraux entre l’Italie et le Saint-Siège.
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Les accusations portées
Antonino Becciu, en tant que dirigeant de la coopérative Spes, est accusé de peculato (détournement de fonds) et de blanchiment d’argent, pour avoir utilisé les fonds de l’8 pour mille à des fins considérées comme non conformes. Mgr Corrado Melis, qui a supervisé la gestion de ces fonds au sein de son diocèse, est également accusé de détournement pour avoir approuvé les transferts vers la coopérative.
Bien que le cardinal Angelo Becciu ne soit pas mis en examen dans cette affaire, son nom est indirectement lié, en raison de son rôle passé dans la gestion de la coopérative Spes et des fonds de l’Église. En 2020, le pape François avait retiré au cardinal ses prérogatives cardinalices, citant un manque de confiance lié à des transferts de fonds vers la coopérative dirigée par son frère.
La défense de Monseigneur Melis
Monseigneur Melis a fermement rejeté les accusations, déclarant que « les 2 millions d’euros de l’8 pour mille ont été utilisés de manière transparente pour des projets de réinsertion sociale et professionnelle ». Ces projets, incluant des activités artisanales et agricoles, ont été intégrés dans les rapports annuels soumis à la CEI.
La Bussola précise que la CEI ne s’est pas constituée partie civile dans ce procès, suggérant qu’elle n’a pas jugé ces transferts contraires aux finalités prévues par le système de l’8 pour mille.
Un débat sur l’autonomie de l’Église
Cette affaire soulève une question fondamentale : la justice italienne peut-elle intervenir dans la gestion des fonds de l’8 pour mille ? Selon l’accord de Villa Madama, qui régit les relations entre l’Italie et le Saint-Siège, l’Église est libre d’utiliser ces fonds pour des besoins de culte, le soutien du clergé ou des œuvres caritatives. Des experts, comme Geraldina Boni, rappellent que « la République laïque ne doit pas interférer dans la gestion des fonds religieux, car seule l’Église est compétente pour juger de leur affectation ».
Des implications profondes pour l’Église
Au-delà des accusations individuelles, cette affaire pourrait créer un précédent inquiétant pour l’autonomie financière de l’Église en Italie. Toute ingérence de l’État dans la gestion des fonds de l’Église risquerait de compromettre l’équilibre fragile des relations bilatérales et de menacer les libertés religieuses garanties par les accords existants.
L’affaire Becciu illustre les défis croissants auxquels l’Église est confrontée dans la gestion de ses finances et le maintien de sa crédibilité. Si la justice doit examiner sérieusement les accusations de détournement, elle doit également respecter l’autonomie de l’Église et éviter toute instrumentalisation politique de ces scandales. La vérité devra émerger, mais pas au détriment des principes fondamentaux qui régissent les relations entre l’Église et l’État.