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La peine de mort apaise-t-elle les victimes ?

Brad Sigmon exécuté le vendredi 7 mars 2025 - DR
Brad Sigmon exécuté le vendredi 7 mars 2025 - DR
Si la miséricorde s’applique aux victimes, nul ne peut contester que l’assassin, même le plus sordide et abject, a droit aussi à la miséricorde, à une forme de compassion.

Par Anne-Marie MICHEL

Brad Sigmon, 67 ans, a été fusillé par un peloton d’exécution le vendredi 7 mars 2025 dans la chambre d’exécution de la prison de Columbia en Caroline du Sud. Il a été déclaré mort à 18h08. Il a préféré les fusils à la chaise électrique et à l’injection létale. « Vendredi, Sigmon portait une combinaison noire avec une cagoule sur la tête et une cible sur la poitrine », précise le journaliste Jeffrey Collins, témoin. Chrysti Shain, porte-parole de la prison, a détaillé le menu de son dernier repas : « quatre morceaux de poulet frit, de haricots verts, de purée de pommes de terre avec de la sauce, de biscuits, de cheesecake et de thé sucré. »

Le peloton d’exécution, dûment formé à l’exercice, tire à 4m60 du détenu, depuis une ouverture dans un mur de façon à ce que les témoins de l’exécution ne le voient pas. Au nombre de trois et à l’identité secrète, ils tirent tous à balles réelles. Le condamné est attaché et assis sur une chaise métallique posée sur un bassin de rétention. Le médecin appose une cible sur son cœur. « La balle (Winchester 110 grains TAP Urban de calibre .308) est conçue pour se briser dès qu’elle touche un objet solide, en l’occurrence la cage thoracique du prisonnier. Les fragments se dispersent et l’objectif est de détruire le plus possible le cœur. » Les témoins sont placés derrière une vitre blindée. S’y trouvaient trois membres de la famille Lark (victimes du condamné), un de ses avocats, son conseiller spirituel, un représentant du parquet, un enquêteur et trois journalistes. Ils signent un document officiel attestant qu’ils ont bien assisté à cette peine capitale.

Le détenu peut, s’il le souhaite, lire une déclaration finale. Dans le cas de Brad Sigmon, c’est son avocat qui s’en est chargé : il s’agit d’une « déclaration d’amour et un appel à mes frères chrétiens pour nous aider à mettre fin à la peine de mort ». Il voulait épargner la vie des 28 hommes toujours enfermés dans le couloir de la mort de Caroline du Sud. Ses avocats ont demandé « au gouverneur républicain Henry McMaster de commuer sa peine en réclusion à perpétuité. Ils ont affirmé qu’il était un prisonnier modèle, auquel les gardiens faisaient confiance et qu’il œuvrait chaque jour pour expier les meurtres, et qu’il avait commis ces meurtres après avoir succombé à une grave maladie mentale. » McMaster a rejeté la demande.

En 2001, Brad Sigmon se rend au domicile des parents de son ex-amante, David et Gladys Larke, dans le but de la kidnapper pour un weekend romantique. Il projette de la tuer et de se suicider ensuite. Dépité de ne pouvoir avoir la jeune fille (leur rupture était toute récente), il n’acceptait pas qu’elle puisse être à quelqu’un d’autre. Il assassine les parents à coups de batte de baseball, kidnappe sous la menace d’une arme la jeune fille qui réussit à s’enfuir de la voiture. Il lui tire dessus, mais l’a ratée. 24 ans plus tard, le peloton d’exécution, lui, a atteint sa cible.

Justice est-elle rendue ? Il faudrait demander aux membres de la famille des victimes ce qu’ils ressentent. Sauf que le ressenti, quel qu’il soit, ne renseigne pas sur l’objectivité de la justice. Peut-on tuer pour mettre hors d’état de nuire ? Cette question qui anime les débats depuis la nuit des temps nécessite un distinguo : la peine de mort n’est pas de l’ordre de la légitime défense. Personne ne remet en cause la légitime défense. Mais l’exécution froide d’un criminel arrêté et neutralisé cause un profond cas de conscience.

Les victimes et leurs proches subissent un traumatisme souvent terrible et sont meurtris à vie. Elles attendent souvent des années avant que la justice ne rende son verdict. On les entend régulièrement témoigner de leur soulagement après que la sentence prononcée est la plus dure ou au contraire leur désarroi si la peine leur semble dérisoire. La base de la justice exige une attention particulière envers les victimes : un accompagnement long devrait leur être accordée, la justice rendue plus rapidement et l’assurance que le fautif ne réitèrera pas ses méfaits sur elles ou sur d’autres innocents. « Justice et paix s’embrassent. » (Ps 84, 11) Pas de paix sans justice, sinon la vengeance fera office de loi.

La base de la justice consiste en la miséricorde envers les victimes ainsi qu’une vigilance particulière, incombant à l’État et aux responsables de l’ordre public, envers les victimes potentielles :

« La défense du bien commun exige que l’on mette l’injuste agresseur hors d’état de nuire. À ce titre, les détenteurs légitimes de l’autorité ont le droit de recourir même aux armes pour repousser les agresseurs de la communauté civile confiée à leur responsabilité. » (Catéchisme de l’Église catholique n°2265)

Or, combien de fois le peuple n’a-t-il pas été scandalisé et inquiet en constatant qu’un individu dangereux a été remis en liberté et en a profité pour perpétrer à nouveau ses meurtres, viols ou attentats.

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Mais la peine de mort est en réalité une mise hors de vivre d’un individu déjà mis hors de nuire, souvent depuis de nombreuses années. Pour discerner sur le bienfondé ou non de la peine de mort, il convient de s’interroger sur la fonction de la peine, notre nature de pécheur, commune à toute l’humanité, et surtout sur la nature de la justice de Dieu.

« La peine a pour premier but de réparer le désordre introduit par la faute. Quand cette peine est volontairement acceptée par le coupable, elle a valeur d’expiation. La peine, en plus de protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, a un but médicinal : elle doit, dans la mesure du possible, contribuer à l’amendement du coupable. » (CEC 2266) La peine de mort remplie-t-elle ces objectifs ?

Si la miséricorde s’applique aux victimes, nul ne peut contester que l’assassin, même le plus sordide et abject, a droit aussi à la miséricorde, à une forme de compassion.

Bien souvent – et c’est le cas de Brad Sigmon – le passé de l’individu explique la descente aux enfers vers la criminalité. Divorce des parents, misère économique, instabilité, fréquentations mauvaises, violences parentales, alcool, drogue, déscolarisation, viol, enrôlement dans les gangs, etc. Qui peut se prévaloir de ne jamais pouvoir devenir soi-même meurtrier, surtout avec ce genre de passé ? Quelle est notre implication dans la prévention de la délinquance des jeunes ?

La conscience de beaucoup, et en particulier l’Église, a fait un chemin de réflexion déjà approfondi sur ces questions. S’inspirant de la contemplation de la justice et de la miséricorde divine, la compréhension de la peine de mort s’est affinée au regard de la dignité humaine, laquelle est reconnue intacte même chez le pire criminel, qui reste un de nos frères humains.

« La justice de Dieu désigne […] la rectitude de l’amour divin. » (CEC 1991) Sa justice se mesure à sa miséricorde et sa miséricorde se mesure à sa justice. Car il exerce à la fois sa justice et sa miséricorde envers les victimes et les agresseurs :

« Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » (Mt 5, 44-45) Lui seul étant maître de la vie, lui seul peut décider de l’heure de la mort. Jusqu’au bout, il veut donner au pécheur l’occasion de se convertir. Or, Dieu seul connaît cet ultime moment.

Les versets 2 à 15 du chapitre 4 de la Genèse sont éloquents : bien avant le meurtre d’Abel, Dieu avertit Caïn de son péché de jalousie déjà en germe. « Le Seigneur dit à Caïn : “Pourquoi es-tu irrité, pourquoi ce visage abattu ? Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien…, le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer.” » (Ge 4, 6-7) Après le meurtre, doublé du mensonge de Caïn (je ne sais pas où est mon frère, un classique lors des interrogatoires), « le Seigneur reprit : “Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi ! Maintenant donc, sois maudit et chassé loin de cette terre qui a ouvert la bouche pour boire le sang de ton frère, versé par ta main. Tu auras beau cultiver la terre, elle ne produira plus rien pour toi. Tu seras un errant, un vagabond sur la terre.” » (Ge 4, 10-12) La punition est sans appel. Mais Dieu ne menace pas de mort. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. » (Jn 8, 7)

Caïn est pourtant terrifié de son sort « Mon châtiment est trop lourd à porter ! » (Ge 4, 13) Que de fois, au cours des 24 années d’emprisonnement dans les couloirs de la mort, Brad Sigmon a-t-il utilisé les recours possibles pour reculer l’échéance finale, espérant y échapper ?

Le verdict final est dans le verset 15 : «Le Seigneur lui répondit : “Si quelqu’un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois.” Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour le préserver d’être tué par le premier venu qui le trouverait. »

La version initiale des paragraphes 2265-2265 et 2267 du CEC publiée par Jean-Paul II intégrait la possibilité de la peine de mort « dans des cas d’une extrême gravité ». Pourtant, dans Evangelium Vitae, le saint Père avait déjà évoqué le primat de la dignité humaine. Même si nos prisons rendent rarement meilleurs ses habitants, Jean-Paul II estime que nos sociétés modernes ont les moyens de rendre « inoffensif celui qui a commis un crime », et vise à ce qu’on ne lui « ôte pas définitivement la possibilité de se racheter. » (§27) Ainsi, peu à peu, la pensée s’est précisée et le pape François a modifié en 2018 le paragraphe 2267 :

« Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée à la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun.

« Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir.

« C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que “la peine de mort est inadmissible car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne”[1] et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde. »

(Sources : catholicnewsagency.com, apnews.com, mars 2025, vatican.va)

[1] [François, Discours aux Participants à la Rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation, 11 octobre 2017.]

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