Depuis 2000 ans

Notre-Dame de Paris : plus qu’un édifice de pierre, une « vraie Bible de pierre »

"Notre-Dame est la plus grande des cathédrales, parce que c’est là que Dieu parle au cœur du peuple".

À la veille de la présentation, le 29 novembre, « des images inédites » de l’intérieur restauré de la cathédrale, rappelons que la cérémonie du 7 décembre, se déroulera en trois étapes : un temps laïc, une messe , et un concert. Emmanuel Macron, en tant que président de la République, prononcera un discours sur le parvis, soulignant l’importance de la restauration de Notre-Dame. Toutefois, la question se pose sur la chronologie des événements, certains se demandant si la cathédrale n’aurait pas d’abord dû être rendue au culte.

Depuis sa fondation, Notre-Dame de Paris a incarné bien plus qu’une prouesse architecturale. Cathédrale emblématique, elle est un véritable sanctuaire, un lieu où la foi chrétienne se vit et se transmet depuis plus de 850 ans. L’histoire de ce monument est indissociable de l’histoire de l’Église en France et de l’histoire de la France.

« Notre-Dame de Paris n’est pas simplement une cathédrale, c’est un lieu de communion », écrivait l’historien et théologien Jean-Paul Daurier dans Les grandes cathédrales de la chrétienté (1995). Plus que tout autre édifice, Notre-Dame a porté, à travers les siècles, le témoignage vivant de l’Église et de la nation.

Lire aussi

Les premières pierres : L’édification sous le signe de la Vierge Marie

Le projet de construction de Notre-Dame prend forme au XIIe siècle, sous l’impulsion de l’évêque Maurice de Sully. Le choix de la Vierge Marie comme patronne de l’édifice n’est pas anodin. En 1163, l’évêque de Paris obtient l’autorisation de construire une nouvelle cathédrale dédiée à la Sainte Vierge, dont la dévotion croît à cette époque. « L’Église consacre à Marie des lieux de culte comme des témoins vivants de la foi », écrit l’historien François Lemerle dans son ouvrage La Chrétienté médiévale (1980), soulignant que cette dévotion à la Sainte Vierge marque profondément le Moyen Âge chrétien.

Les travaux, lancés en 1163 sous le règne de Louis VII, se prolongent pendant plus de 200 ans. La première pierre de la cathédrale est posée en 1163, mais ce n’est qu’en 1345, sous l’évêque de Paris, que l’édifice est consacré. À la fin du XIIIe siècle, Notre-Dame devient un modèle de l’architecture gothique, un style qui cherche à diriger l’âme vers le ciel par la verticalité de ses colonnes et l’ampleur de ses vitraux. « Le but de la construction de Notre-Dame était de rendre Dieu plus présent sur terre », explique l’historien et architecte Pierre C. d’Alix dans Les Secrets de Notre-Dame de Paris (2007).

Les vitraux de Notre-Dame, en particulier la grande rosace du transept nord, sont une démonstration de la volonté de l’Église de rendre visible la lumière divine dans un monde si imparfait. Ces vitraux, composés de scènes bibliques, sont une véritable « écriture lumineuse », comme les appelait l’historien et théologien Jean de Gerson, soulignant ainsi la pédagogie religieuse du lieu.

Le Moyen Âge

La cathédrale, dès ses premières décennies, est au cœur de la vie religieuse et politique de Paris. Elle devient le centre spirituel de la capitale, accueillant de grandes fêtes liturgiques, des célébrations mariales et des événements royaux. En 1239, la Sainte Couronne d’épines, rapportée des croisades par le roi Louis IX, est installée. Cette relique, vénérée par les chrétiens, devient un symbole de l’unité entre le sacré et le pouvoir royal. L’abbé Jean de Braye, dans La Sainte Couronne et son culte (1450), évoque la Couronne d’épines comme un « liant sacré entre le peuple chrétien et la royauté ».

En 1297, Notre-Dame accueille la première procession de la Sainte Vierge, qui attire des foules de pèlerins venus de toute la chrétienté. Ce n’est pas seulement un lieu de prière mais aussi un lieu de puissance spirituelle et sociale. En 1429, Jeanne d’Arc, après avoir conduit les troupes françaises à la victoire, assiste au sacre de Charles VII, renforçant le lien entre la monarchie et l’Église.

Les chapelles latérales de Notre-Dame de Paris, nombreuses et variées, sont des témoignages vivants de la dévotion chrétienne à travers les siècles. Chacune d’entre elles porte un nom et une vocation particulière, correspondant à des saints, des reliques ou des événements marquants de l’histoire de l’Église. Par exemple, la chapelle Sainte-Geneviève, dédiée à la sainte patronne de Paris, est un lieu de recueillement pour les croyants, tout comme la chapelle de la Vierge, un espace d’intimité spirituelle où les dévotions mariales sont célébrées.

Parmi les plus significatives, la chapelle de la Sainte-Croix, qui abritait la précieuse relique de la Croix, témoigne de la grandeur du culte des reliques au Moyen Âge. Ces chapelles ont toujours été des lieux de prière, où les fidèles pouvaient se recueillir de manière plus personnelle, loin de la solennité de la nef centrale.

La chapelle des Martyrs, avec son autel dédié aux saints et martyrs de l’Église, rappelle la souffrance des chrétiens pour leur foi, tandis que d’autres chapelles, comme celle de Saint-Denis, symbolisent l’union entre l’Église et la royauté française, la Sainte-Barbe, quant à elle, est un hommage aux travailleurs du bâtiment, spécialement les artisans et maçons ayant contribué à la construction de la cathédrale.

La chapelle de Notre-Dame de Guadalupe, située dans le collatéral sud de Notre-Dame de Paris, est un lieu particulièrement significatif, dédié à la Vierge Marie sous son titre de Notre-Dame de Guadalupe, vénérée particulièrement en Amérique latine.La peinture de la Vierge de Guadalupe, qui orne l’autel de cette chapelle, est un témoignage de la richesse spirituelle et culturelle que cette dévotion a portée à travers les siècles.

L’orgue de Notre-Dame de Paris, installé depuis 1730, est également un véritable chef-d’œuvre de l’art organistique. Il a été conçu par le célèbre facteur d’orgues Christophe Moucherel et a subi plusieurs modifications au fil des siècles pour s’adapter aux besoins liturgiques et musicaux de l’époque. Sa particularité réside dans sa majesté et son rôle central dans la liturgie, tout en étant un instrument d’une grande complexité, composé de cinq claviers et plus de 8 000 tuyaux. L’orgue est également connu pour son acoustique exceptionnelle, qui magnifie la richesse sonore de ses jeux.

La Révolution : Profanation et sacralisation politique

Le XVIIIe siècle, marqué par la Révolution française, bouleverse profondément la fonction religieuse de Notre-Dame. En 1793, la cathédrale est transformée en « Temple de la Raison » par les révolutionnaires. Les objets sacrés sont détruits, les statues de saints démolies, et l’iconographie chrétienne remplacée par des symboles révolutionnaires. Ce tournant radical est décrit par l’historien François Furet dans La Révolution française (1996), qui note que « la cathédrale, symbole de l’Ancien Régime, doit être vidé de toute présence religieuse ».

C’est pourtant cette cathédrale profanée qui va être sauvée, grâce à l’intervention de Napoléon Bonaparte. En 1801, le Concordat avec le Vatican permet à Notre-Dame de retrouver son rôle de cathédrale. L’année suivante, en 1806, le pape Pie VII célèbre la messe à Notre-Dame, et la cathédrale retrouve sa fonction première. Elle devient alors un symbole de la restauration de l’Église catholique en France, après la période révolutionnaire.

Et c’est dans cette cathédrale que Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1804, sera sacré empereur. Ce moment solennel fut un acte symbolique de la restauration de l’ordre monarchique après la Révolution française, mais avec une nuance importante : Napoléon se couronna lui-même, brisant ainsi la tradition du couronnement papal des rois de France. Le pape Pie VII, bien que présent, assista sans pouvoir intervenir illustrant la tension entre l’Église et l’État napoléonien.

Ce sacre marqua également un triomphe du pouvoir impérial et un moment où Notre-Dame, jusque-là symbolisant l’Église, devint pour la première fois le théâtre d’un pouvoir laïque souverain.

Le XIXe siècle : La renaissance d’un sanctuaire

Au XIXe siècle, Notre-Dame connaît un nouveau souffle, notamment grâce à la restauration de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, après des décennies de négligence. L’ajout de la flèche, en 1859, fait de l’édifice un symbole incontournable du patrimoine français. Cette période est également marquée par l’influence de Victor Hugo, dont le roman Notre-Dame de Paris (1831) fait redécouvrir l’édifice à la nation. Hugo, dans son œuvre, montre la cathédrale comme un personnage à part entière, « témoin muet de l’histoire de France », et dénonce la dégradation de l’édifice par l’indifférence et l’oubli.

Dans Notre-Dame de Paris, l’écrivain fait dire à l’un de ses personnages : « Notre-Dame est la plus grande des cathédrales, parce que c’est là que Dieu parle au cœur du peuple« .Il plaide pour sa préservation, mais aussi pour l’importance de son rôle spirituel.

De son coté, l’historien de l’art Pierre de Crenay, dans son ouvrage La Paris chrétienne (2002), qualifie Notre-Dame de « vraie Bible de pierre », soulignant que chaque détail de son architecture et de ses vitraux est une véritable catéchèse pour les fidèles.

Notre-Dame de Paris est redevenue un lieu de transformation spirituelle, et les conversions qui s’y sont produites au fil des siècles en témoignent. L’un des exemples les plus emblématiques est celui du poète et dramaturge Paul Claudel. Le 25 décembre 1886, Claudel, alors jeune diplomate, fait une expérience mystique bouleversante alors qu’il assiste à la messe de minuit à Notre-Dame.

Il raconte avoir été saisi par la présence divine au moment de la récitation du Credo, une rencontre qui le conduit à une profonde conversion et à un engagement spirituel qui marquera toute sa vie. Dans son propre témoignage, il écrira : « La lumière jaillit, tout d’un coup, dans mon âme, et je suis devenu chrétien ». Ce moment, qu’il qualifiera de « mystère intérieur ».

Lire aussi

XXe et XXIe siècles : Une maison de prière, un incendie et une renaissance

Au XXe siècle, Notre-Dame de Paris garde un rôle spirituel majeur. En 1997, le Pape Jean-Paul II, lors de sa visite en France, célèbre une messe en mémoire des victimes du génocide au Rwanda. Il déclare alors : « Notre-Dame est plus qu’un monument, c’est un sanctuaire de l’amour et du pardon ». La cathédrale s’impose comme un lieu de prière, de pèlerinage ( lieu de départ du pèlerinage de Chartres) et de rassemblement pour les chrétiens de toute la France et au-delà.

Dans ce contexte l’incendie tragique du 15 avril 2019, qui a ravagé la toiture et la flèche, a bouleversé le monde entier. Cet événement, bien que douloureux, a rappelé à chacun l’importance spirituelle et patrimoniale de Notre-Dame. En son temps Monseigneur Aupetit rappelait que la cathédrale « n’est pas simplement un monument historique, mais un lieu saint un lieu vivant de prière, un phare pour la foi chrétienne ».

L’incendie a provoqué une réaction de solidarité mondiale, avec des dons massifs destinés à la restauration de la cathédrale. Dès le lendemain du drame, des promesses de dons ont afflué de partout. Le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnault, a annoncé un don de 200 millions d’euros, suivi par François-Henri Pinault et son groupe Kering, avec une promesse de 100 millions d’euros. En outre, la famille Bettencourt, via la Fondation L’Oréal, a contribué à hauteur de 10 millions d’euros.

Ces donations, venues de personnalités privées et de grandes entreprises, ont permis de constituer un fonds de restauration d’une ampleur exceptionnelle. Le montant total des dons a rapidement atteint plus de 800 millions d’euros, témoignant de l’attachement mondial à ce monument.

Cependant, depuis la rénovation des questions ont émergé sur l’avenir de l’aspect esthétique de Notre-Dame, notamment avec l’introduction de nouveaux vitraux contemporains. Ces œuvres modernes, vues comme une tentative de concilier tradition et modernité, ont suscité de nombreuses critiques. On peut en effet y voir une volonté de rupture avec l’harmonie et l’esprit de l’édifice symbole de l’art sacré au cours des siècles. L’architecte Bruno de Solages, pour qui les « vitraux contemporains risquent d’éclipser la majesté de la lumière divine, essentielle dans un lieu de culte » exprimait le sentiment d’une majorité de fidèles.

Cette évolution artistique a donc donné lieu à un débat vigoureux sur la place de l’art moderne dans les lieux sacrés, un thème qui remet en question la continuité spirituelle du lieu.

Parallèlement, la question du mobilier liturgique a également alimenté les discussions. Le choix de certains éléments comme l’autel, le baptistère ou même les chaises, ne fait pas l’unanimité parmi les catholiques. Un certain nombre de critiques estiment que ces choix ne respectent pas la grandeur spirituelle de l’édifice. « Le mobilier ne doit pas seulement être fonctionnel, il doit aussi être symbole de l’âme de l’Église », affirment à juste titre certains qui se désolent de la simplification des lignes et des formes du mobilier liturgique.

Objets liturgiques par Guillaume Bardet – DR

Ce désaccord reflète une tension plus large entre la nécessité d’adapter le lieu aux exigences modernes et le respect des traditions liturgiques. Ces tensions se retrouvent également dans les vêtements liturgiques de Jean-Charles de Castelbajac, créateur des nouvelles tenues destinées aux prêtres, qui ont eu du mal à convaincre. Bien que son intention de moderniser l’apparence des vêtements sacrés ait été bien reçue par certains, d’autres, plus attachés à la tradition, ont légitimement estimé que ses créations manquaient de la solennité et de la dignité propres aux vêtements liturgiques.

Vêtements liturgiques par Jean-Charles de Castelbajac 

Le créateur qui a voulu offrir des tenues plus contemporaines, a eu du mal à justifier ce choix face à des fidèles qui considèrent à raison que l’esthétique liturgique doit toujours rendre hommage à la transcendance divine, et non simplement à des tendances stylistiques modernes.

Ces débats sur le mobilier et les vêtements liturgiques soulignent donc la complexité de la quête pour équilibrer innovation et tradition dans un lieu aussi sacré que Notre-Dame de Paris.

Autel en Bronze – DR

On le voit, outre Le discours d’Emmanuel Macron qui ne fait pas l’unanimité, Notre-Dame, en tant que cathédrale et sanctuaire de la foi chrétienne, soulève des passions, et la ministre de la Culture, Rachida Dati, fait également face au casse-tête de la recherche d’un modèle économique viable pour la préservation de l’édifice.

Notre-Dame de Paris incarne plus qu’un simple chef-d’œuvre architectural. Elle est un lieu vivant de prière, un espace où la foi chrétienne se transmet de génération en génération, c’est le témoignage vivant de l’identité chrétienne de la France. La réouverture de la cathédrale n’est donc pas seulement un acte, symbolisant une restauration architecturale, mais un renouvellement de la foi chrétienne dans la société contemporaine française.

Recevez chaque jour notre newsletter !