Homélie de Mgr Marc Aillet pour les obsèques d’Alexandre Blaudeau, prêtre
Eglise St Vincent de Nay – 20 septembre 2024
« Chers frères et soeurs, chers amis,
Après l’avoir, pour nombre d’entre vous, veillé jour et nuit depuis mardi, vous êtes venus nombreux, très nombreux, ce matin, prêtres, fidèles, jeunes et moins jeunes, parents, amis, paroissiens, pour accompagner notre cher défunt, l’abbé Alexandre Blaudeau, jusque dans sa dernière demeure ici-bas, où son corps reposera dans l’attente de la Résurrection finale ; pour l’accompagner dans sa Pâque, dans son passage de ce monde vers le Père, de la mort à la vie, la vraie vie !
Vous êtes venus lui témoigner votre affection et votre reconnaissance pour le ministère sacerdotal dont vous avez bénéficié : que de témoignages reçus en ces jours et que d’émotion… Vous êtes venus aussi manifester votre compassion – qui signifie littéralement « souffrir avec » – d’abord à ses chers parents et sa famille, profondément touchés par son départ si brutal. Et aussi à nous tous qui l’avons accompagné et côtoyé de près, en particulier ses frères prêtres de Nay, avec lesquels il a partagé une vie fraternelle si heureuse et intense au service de la mission.
Tous nous sommes douloureusement affectés par sa disparition. Et en même temps, vous êtes venus confesser votre foi en un Dieu d’Amour qui est « juste en toutes ses voies » (Ps 145, 17) : s’il est bien légitime d’exprimer de la douleur et de l’incompréhension, nous savons que « Jésus n’est pas venu dans le monde pour supprimer la souffrance, pas même pour l’expliquer, mais pour la remplir de sa présence » (Paul Claudel) ! Son cri déchirant sur la croix – « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46) – a ramassé par anticipation tous nos « pourquoi », mais pour en faire une prière, une prière d’abandon et d’espérance : « Père, en tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46).
Comme nous l’avons chanté avec le psalmiste : « Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu » (Ps 41, 6).
Chers parents, quand vous avez présenté Alexandre au baptême, il y a trente et un ans, le 25 juillet 1993, l’abbé Nauleau, votre curé ici présent, vous avait interrogé : « Que demandez-vous à l’Eglise de Dieu ? », vous aviez répondu, selon le rituel, : « La foi » ; et il avait poursuivi : « Et que vous procure la foi ? », vous aviez répondu : « La vie éternelle ». Toute notre vie se situe entre la grâce initiale de la foi et la vie éternelle. Encore faut-il que la foi ait les moyens de se déployer pleinement.
Dans sa lettre de demande du diaconat, Alexandre m’écrivait :
« Troisième d’une famille de sept enfants, j’ai eu la grâce de grandir dans la foi au sein d’un foyer aimant, porté par une vie paroissiale fervente et éduqué avec le concours du scoutisme qui compta tant dans mon adolescence ». Depuis, sa vie n’a été qu’une montée, je dirais empressée, vers la vie éternelle.
Je me souviendrai toujours de la maturité humaine et spirituelle avec laquelle, pour répondre à l’appel du Seigneur, il avait choisi, à 20 ans, après avoir discerné dans la prière, de s’arracher à son Poitou natal et de demander à être admis à la Propédeutique Sainte Croix et au Séminaire des Saints Coeurs de Jésus et de Marie de Bayonne, pour s’implanter en terre basco-béarnaise et y « perdre sa vie à cause de Jésus et de l’Évangile » comme prêtre de Jésus-Christ. Dans sa lettre de demande de diaconat, il écrivait :
« Quelle richesse dans ces années de formation depuis mon entrée en propédeutique ! La vie liturgique et la vie de prière au Séminaire ont développé ma relation d’intimité avec le Seigneur, m’ont formé à être disciple, ami de l’Époux, compagnon de Jésus (Mc 3, 14) ».
Je sais combien vous avez tous été marqués par son intériorité, en particulier lorsqu’il célébrait la Sainte Messe : son ars celebrandi, son art de célébrer était comme une catéchèse mystagogique. Comme l’abbé Paul, son curé, le faisait remarquer ces derniers jours, « Il ne se mettait jamais en avant, il s’effaçait devant le Seigneur, il était tout tourné vers lui et vous invitait à regarder vers Jésus ». Comme il l’avait exprimé, avec son regard lumineux, dans le film sur le Séminaire de Bayonne, « Nos 2 vies offertes », en 2019 :
« Notre raison d’être, non seulement notre raison d’être ici mais notre raison de vivre, c’est le Christ. Cet appel du Christ qui est personnel pour chacun est aussi notre point commun entre tous. Et l’attachement que l’on a pour le Christ, le désir que chacun porte en lui de le suivre et de faire sa volonté nous fait regarder dans une même direction. En effet, le Christ est la pierre angulaire de notre vie ici, et de toute notre vie ».
Il aurait bien pu faire sienne cette parole prophétique de saint Jean-Marie Vianney au petit berger à qui il avait demandé de lui indiquer le chemin de sa paroisse, perdu qu’il était dans le brouillard des Dombes :
« Tu m’as montré le chemin d’Ars, et bien moi, je te montrerai le chemin du Ciel ».
Cette parole s’accomplira à travers la ferveur eucharistique et le zèle apostolique du Saint curé, mais aussi parce qu’il précéda de quinze jours le petit berger devenu grand dans la mort. L’abbé Alexandre n’a eu de cesse de vous montrer le Ciel par son ministère et il nous y précède tous aujourd’hui, continuant ainsi à nous en montrer le chemin.
En ce sens, vous ne vous étonnerez pas si, pour honorer sa posture sacerdotale, nous nous tiendrons tous ensemble tournés vers le Seigneur durant la prière eucharistique, face à Celui qui est notre Orient, notre soleil levant : le Christ Ressuscité qui viendra à la fin de notre vie pour emmener notre âme avec lui, et qui reviendra à la fin des temps, pour éclairer les ténèbres de notre mort, accomplissant ainsi cette parole que nous avons entendue dans la première lecture :
« La mort a été engloutie dans la victoire. Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est-il ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort c’est le péché … Rendons grâces à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Co 15, 54-56).
Il avait souhaité célébrer sa première messe dans cette église, tourné vers le Seigneur, et ses parents ont eux-mêmes suggéré que sa messe d’adieu le soit aussi.
Au jour de son ordination sacerdotale, après l’onction des mains et en lui remettant le calice et la patène, rites complémentaires les plus significatifs de l’ordination, je lui ai dit, selon le rituel :
« Imitamini quod tractabis – Imitez dans votre vie ce que vous accomplirez dans ces rites et conformez votre vie au mystère de la croix du Seigneur ».
Je note que l’imitation de Jésus, en particulier dans le mystère de la croix, était une préoccupation constante d’Alexandre. Il m’avait confié que depuis son arrivée à Nay, il avait pu approfondir la spiritualité de saint Michel Garicoïts, de Bétharram, qui voyait dans la parole du psalmiste, que l’auteur de l’épitre aux Hébreux met dans la bouche du Verbe entrant dans le monde, « le premier acte du Sacré-Coeur » :
« Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors j’ai dit : Me voici, je viens mon Dieu pour faire ta volonté » (He 10, 5-7). Alexandre puisait dans cet « Ecce venio – voici je viens » de Jésus, qui s’accomplira dans l’humiliation de sa Passion et de sa mort sur la croix, et qui est rendu réellement présent dans la célébration du sacrifice eucharistique, l’humilité et l’obéissance qu’il vivait de manière si exemplaire.
Il est significatif que dans sa dernière homélie, dimanche dernier, alors que nous lisions dans l’évangile selon saint Marc, la première annonce de la Passion, il prêcha sur la Croix glorieuse, en affirmant : « Jésus nous invite à prendre notre croix et à le suivre » : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mc 8, 34) ; et de commenter : « Trois actions qui n’en font qu’une : l’imitation du Christ, le Fils unique de Dieu, qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort ».
Ecoutez-le nous exhorter aujourd’hui par ces mots de son homélie :
« Chacun d’entre nous, en quelque domaine que ce soit, nous avons une croix à porter. Une croix qui, si lourde soit-elle, n’est pas insurmontable car le Seigneur qui ne veut pas la souffrance en tant que telle mais permet que nous participions à la Passion de son Fils par les souffrances de nos vies, ne permettra pourtant pas que nous soyons éprouvés au-delà de nos forces ».
Commentant l’attitude de Pierre scandalisé par la souffrance du Messie, il dit encore : « D’où la réponse de Jésus à la réaction – trop humaine sans doute de saint Pierre – : « Passe derrière moi, Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes », c’est-à-dire : ne sois pas un obstacle à l’Amour de Dieu qui veut sauver le monde.
Le Salut du monde, Jésus l’accomplit en assumant toutes nos souffrances, toutes nos croix sur la Croix, faisant de l’obstacle apparent de la croix la clé nous ouvrant le Ciel, le chemin donnant accès à la Vie et à la Joie véritables : quelle exhortation pour nous aujourd’hui et quelle consolation !
Cette homélie, qu’il reprit le soir même dans une longue conversation téléphonique avec ses chers parents, constitue bel et bien le testament spirituel d’Alexandre qui conclut : « Demandons à la Vierge Marie, Notre-Dame des Douleurs, debout au pied de la croix … qui ne se dérobe pas, qui assume et supporte par Amour pour nous, demandons-lui de nous aider à porter nos croix – comme elle – dans une parfaite imitation de Jésus ».
Il confiait encore dimanche à quelqu’un, à Lourdes, la joie qui était la sienne de partager le ministère avec les abbés Paul et Maxime ! C’est au séminaire qu’il avait découvert l’importance de la vie fraternelle, lui qui au départ ne s’y sentait pas particulièrement appelé :
« La vie communautaire, écrivait-il dans sa lettre de demande du diaconat, m’a montré combien la vie fraternelle peut être un précieux soutien pour l’apostolat ». Et dans sa lettre de demande d’ordination presbytérale :
« La vie fraternelle que nous essayons de vivre au presbytère m’est un vrai soutien, tant pour ma vie personnelle que pour l’apostolat. J’y trouve un ‘’garde-fou’’ prévenant les laisser-aller et une source précieuse de conseil et d’encouragement pour la Mission ».
La charité fraternelle qui règne dans cette équipe de prêtres est tangible et constitue assurément pour moi une promesse d’avenir. La prière commune, le partage de la vie commune sous le même toit, la pratique du « devoir de s’asseoir », qui permet de se dire les choses en toute vérité et de se pardonner mutuellement, ont fait grandir entre eux l’amour fraternel qui rejaillit, comme je le constate, en particulier en ces jours, sur la communauté paroissiale tout entière : on sent qu’il y a ici une famille, rassemblée dans l’amour de Dieu et des frères et engagée dans un apostolat pleinement missionnaire. Ici s’accomplit le commandement de Jésus :
(Jn 13, 35). N’est-ce pas ce que le Vicaire général de Lyon avait dit au saint curé d’Ars en lui confiant sa mission : « Il n’y a pas beaucoup de charité dans cette paroisse, vous en mettrez ! ».
Rendez grâce au Seigneur pour le ministère dont vous avez bénéficié de la part de l’abbé Alexandre : les enfants du catéchisme, le KidCat et le camp Saint-Michel, les jeunes de l’aumônerie ou du scoutisme, les catéchumènes adultes et les fiancés qui se préparaient au mariage, les malades qu’il visitait, les fidèles qu’il confessait ou accompagnait spirituellement, ses messes, ses prédications : son attitude humble, discrète et si profonde… Rendez grâce au Seigneur pour avoir eu « l’honneur », comme disait encore l’abbé Paul, de côtoyer un tel fils, un tel frère, un tel pasteur.
Il ne m’appartient certes pas de le canoniser, et l’objet de cette célébration est bien de le recommander à la Miséricorde du Seigneur. Mais j’atteste qu’il y avait en lui une graine de saint et qu’il continuera à porter beaucoup de fruit ; comme Jésus nous l’a dit dans l’évangile : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).
Si le Seigneur nous l’a repris si vite, après trois années seulement de ministère public pour se préparer à sa Pâque, c’est sans doute parce qu’Alexandre avait hâte, « comme un cerf altéré qui cherche l’eau vive », de « s’avancer et paraître face à Dieu » (Ps 42, 2-3) ; mais aussi, j’en suis sûr, parce que le Seigneur a un plan pour lui au Ciel : pour sa famille qui lui est si chère, cette paroisse, notre diocèse, ses frères prêtres, les séminaristes, les vocations sacerdotales et religieuses qui étaient pour lui une vraie préoccupation, d’où son appartenance au « Cénacle du Christ Grand-Prêtre ».
Il était même venu, au grand étonnement de ses frères, à la messe de rentrée du Séminaire, en disant :
« Mais je suis missionnaire des vocations » ! Un jeune a déjà confié : « C’est un modèle pour moi, je veux être comme lui ». Chers jeunes, chers séminaristes, n’ayez pas peur de le prendre comme modèle. Chers frères et soeurs, chers amis, n’ayons pas peur de le prendre comme intercesseur. « Prêtre pour l’éternité » Heb 7, 21), revêtu de ses habits sacerdotaux, il se présente maintenant devant la face de Dieu, chantant avec le psalmiste : « Je m’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu, vers Dieu qui est toute ma joie ; je te rendrai grâce avec ma harpe, Dieu, mon Dieu » (Ps 42, 4). Et je ne veux pas douter qu’il est désormais uni au Christ Grand-Prêtre, « Toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7, 25).
Nous avons besoin de saints : ce sont eux les vrais réformateurs de l’Eglise. Et c’est aujourd’hui le temps des saints !
Quand il a été retrouvé lundi dernier, il n’avait pas ses papiers sur lui. Mais il avait son passeport pour le Ciel : sa petite croix dorée autour du cou, la clé qui ouvre le Ciel, et son scapulaire de Notre-Dame du Mont Carmel qui ne le quittait pas.
Comme la Vierge Marie le promit au pape Jean XXII, à qui elle apparut, celui qui mourra en portant ce scapulaire, ayant gardé la chasteté de son état et ayant récité son chapelet quotidien, sera délivré du Purgatoire le samedi suivant sa mort (on l’appelle le privilège sabbatin). Que ce soit notre espérance et notre consolation. Cher Alexandre, entre dans la joie de ton Maître et prie pour nous ! Amen. »
Intégralité de la cérémonie
Lire aussi