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« On ne se moque pas de la Mère… On ne se moque pas des malades ! »: entretien exclusif avec le recteur de la Médaille Miraculeuse à Paris

Père Alexis Cerquera Trujillo - Crédit : Tribune Chrétienne
Père Alexis Cerquera Trujillo - Crédit : Tribune Chrétienne
"Je me demande où sont les autres ? Les évêques, les autres recteurs des sanctuaires ? Où sont les médias catholiques ?"

Suite à la plainte que TRIBUNE CHRETIENNE et l’association MARIE DE NAZARETH avons déposé en réaction à la caricature abjecte de Charlie Hebdo, nous avons pu recueillir la réaction du Chapelain-Recteur de la Chapelle de la Médaille Miraculeuse à Paris.

Le Père Alexis Cerquera Trujillo a été l’un des premiers religieux à exprimer publiquement son indignation et sa peine. Il précise que ses réponses reflètent uniquement ses opinions personnelles et ne représentent pas la position officielle du Sanctuaire. En tant que Chapelain-Recteur, il se positionne principalement en défense des pèlerins, qui se trouvent souvent démunis face à de telles représentations provocatrices.

Pouvez-vous expliquer plus en détail pourquoi vous avez choisi de réagir publiquement à la caricature de Charlie Hebdo cette fois-ci ?

Je suis chapelain-recteur de l’un des sanctuaires mariaux les plus visités de France. Plus de deux millions de personnes par an passent à la chapelle pour demander une grâce, dire merci ou simplement trouver un espace de prière. À l’intérieur de cet espace se trouve une « icône » de la Vierge Marie, identifiée comme Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse. Ces apparitions ont eu lieu en 1830 à une jeune femme, Catherine Labouré, devenue sainte et canonisée par l’Église catholique en 1947.

La médaille est devenue l’icône d’une présence maternelle, et comme telle elle acquiert un caractère « sacré ». C’est l’icône de la Mère, en l’occurrence la Mère du Christ, le Sauveur.

Dans, quasiment, toutes les cultures, la Mère a un caractère sacré. Cette dimension maternelle fait de cette icône quelque chose d’intouchable et demande un respect particulier.

Les caricaturistes de Charlie Hebdo doivent comprendre qu’en bafouant l’icône de la Mère de Dieu, ils touchent aux sentiments profonds des milliers de personnes. On ne se moque pas de la Mère. On ne se moque pas de la Femme ! On ne se moque pas des malades… pas plus simple que ça !

Le blasphème est une agression contre les sentiments religieux les plus profonds d’un groupe, d’une communauté. Il porte atteinte au sacré, et il n’y a pas de plus sacré que la foi des gens. On peut « se servir » de ces images religieuses publiques, mais pas blesser gratuitement les personnes.

J’ai entrepris cette démarche de protestation de par la mission que l’Eglise, ma Congrégation et la compagnie des Filles de la Charité m’ont confiée, en tant que chapelain-recteur. Il s’agit, pour moi, d’accueillir au quotidien, avec solidarité et respect, les pèlerins animés de la foi et des sentiments mentionnés ci-dessus.

J’ai donc aussi réagi en me solidarisant avec ceux qui ont été choqués par la violence de la caricature ; certains d’entre eux ayant signé votre pétition.

Selon vous, quelle est la limite entre la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses ?

Je crois qu’il faut d’abord clarifier les concepts : liberté d’expression et liberté de la presse, tous les deux consacrés dans la charte des droits humains. Mais il y a aussi la liberté religieuse, également consacrée dans la charte des droits de l’homme. À tout cela s’ajoute le droit commun qui consacre, à mon avis, le droit au respect de la dignité de tous dans toutes ses expressions, dont les croyances religieuses.

Pour rappel, le blasphème est défini comme une « atteinte commise à l’égard des croyances religieuses, de la divinité ou des symboles religieux. Il peut être commis par des paroles, des écrits ou toute autre forme d’expression (affiche, chanson, sculpture, photographie, etc.) »[1].

Je sais bien que le droit français ne punit pas le blasphème, probablement parce que punir le blasphème impliquerait une « reconnaissance » du sacré ou du divin, ce qui ferait perdre à la laïcité sa raison d’être.

Dans ce méli-mélo des concepts, la limite est très fine, mais il faut dire que : « Du fait de l’absence de répression du blasphème en droit français, les croyances, les symboles et les dogmes religieux ne sont pas protégés contre une expression critique, même extrêmement féroce. Toutefois, il ne faut pas en déduire, pour autant, que les croyants ne sont pas protégés contre les publications ou propos qui pourraient leur porter atteinte, puisque certaines infractions sont punissables, non pas les atteintes aux croyances, mais certaines infractions commises à l’égard des croyants »[2].

Je crois pourtant nécessaire et urgent de rappeler que les expressions religieuses des peuples ou communautés appartenant à l’une ou l’autre religion doivent être respectées. Cette limite, même fine, voire très fine, doit être prise en considération par le droit, afin de garantir le respect de l’être humain dans toutes ses dimensions, pour « un meilleur vivre ensemble ».

En quoi la caricature de Charlie Hebdo diffère-t-elle des autres formes de satire ou de critique religieuse que vous avez pu rencontrer ?

Je suis d’origine colombienne et j’ai fait des études d’Arts Sacrés à l’Institut Catholique de Paris. Ce n’est pas la première fois que je vois des images dites « sacrées » détournées en vue de provoquer une réponse du grand public face à une question de la société du moment. La croix, par exemple, a été utilisée par des artistes à plusieurs reprises. Mais il faut prendre de la distance et discerner la volonté de l’artiste pour comprendre son intention au-delà de la « simple » provocation.

La croix fait partie de ces icônes universelles que l’on peut se permettre de détourner ou de s’approprier parce qu’elles sont justement « universelles », en d’autres termes, « libres de droits ».

Mais pour autant, toutes les images dans l’Église catholique sont-elles « libres de droits » ? Je pense que l’image de Notre-Dame de Lourdes est l’une de ces images qui ne sont pas libres de droits parce qu’elle appartient à un groupe de dévots, à des pèlerins du monde entier et, par conséquent, on ne peut donc pas se moquer d’une telle image sans provoquer une réaction.

Comment envisagez-vous que cette plainte contre Charlie Hebdo puisse influencer le débat sur la liberté d’expression et le respect des convictions religieuses en France ?

Il faut aborder la question sous plusieurs angles afin de provoquer un large débat public auquel pourraient prendre part toutes les religions et ainsi collecter les avis des uns et des autres.

Je crois que l’Église catholique doit provoquer un débat de fond sur la laïcité, laquelle, à mon humble avis, est devenue une idéologie et non plus une philosophie à la base d’un « vivre ensemble » dans la paix.

Le non-respect des convictions religieuses des uns et des autres est une atteinte au principe fondateur de la laïcité qui se trouve dans la devise même de la République : « la fraternité ».

Quel impact pensez-vous que cette caricature a eu sur les catholiques en France et à l’international ?

Difficile à définir parce que très peu de laïcs ou d’officiels de l’Église se sont exprimés face à cette usurpation de l’image de Notre-Dame de Lourdes. La plupart d’entre eux l’ont fait dans les réseaux sociaux. Mais j’insiste sur le fait de « prendre distance » et de demander conseil pour faire un véritable « discernement » et ne pas tomber sous le piège d’une mauvaise lecture.

Vous avez mentionné que la caricature insulte également les victimes de la variole du singe. Pouvez-vous développer ce point et expliquer pourquoi vous trouvez cette comparaison particulièrement offensante ?

D’abord, je n’ai pas compris la relation entre le mpox et l’image de la Vierge de Lourdes. Je suppose que cette relation est à rechercher dans les textes des « bulles du dialogue » accompagnant la caricature. Le seul mot commun à la Vierge et au virus est : « apparition ». Ne restons pas seulement sur l’icône de la Vierge Marie, allons plus loin dans la réflexion.

D’après les informations, ce virus se développe dans des pays où la sécurité et l’hygiène sont déficitaires : en Afrique Centrale et au Congo en particulier ; des zones du continent africain qui souffrent des violences et du manque d’infrastructures sanitaires appropriées. Les personnes n’ont pas facilement accès à des vaccins. Les enfants sont en grande partie victimes.

Des insultes que nous lisons dans les « vignettes » font-elles allusion à l’une des voies de transmission du virus ? Serait-ce pour cela que les malades sont traités dans la caricature de « truies », de « salopes », de « trainées », de « putes » ? Quelle stigmatisation méprisante !

Par ailleurs, quelle misogynie ! Toutes ces insultes sont au féminin.

Et même si cette maladie n’atteignait que les femmes, serait-ce une raison pour les insulter aussi vulgairement ?

Quelles actions concrètes envisagez-vous pour mobiliser la communauté catholique en réponse à cette caricature ?

Je crois que nous catholiques, nous nous sommes habitués à être des « donneurs de leçons ». Il est temps que de vrais débats soient suscités et permettent aux gens de faire de véritables réflexions autour de notre manière d’envisager notre catholicisme dans le contexte actuel de la France.

Il est important que les gens accèdent à l’information en dehors de critères politiques.

L’indignation face à ce type d’agression ne doit pas venir seulement des « laïcs catho » pratiquants. Le clergé devrait y prendre sa part et indiquer plus clairement aux fidèles la démarche à suivre.

Malheureusement, on entend le plus souvent qu’il ne faut pas réagir. C’est ignorer que beaucoup de fidèles n’en peuvent plus de ce silence.

Beaucoup en appellent à une réaction, imitant, en cela, notre Seigneur qui, lors de sa Passion, a interpellé le serviteur du grand prêtre qui l’avait frappé gratuitement (Jean 18, 23) : « Si j’ai mal parlé, explique-moi ce que j’ai dit de mal ; et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? ». Je me demande où sont les autres ? Les évêques, les autres recteurs des sanctuaires ? Où sont les médias catholiques ?

L’Église de France se montre souvent désunie, divisée à l’intérieur d’elle-même, trop timide. Souvent, c’est la partie la plus « traditionnelle » de notre Église de France qui prend la parole dans des cas similaires.

Comment réagissez-vous aux critiques qui pourraient considérer cette démarche comme une atteinte à la liberté de la presse ?

Je suis convaincu que sans un véritable dialogue, ces critiques resteront sans suite. Certains recommandent de : « ne pas réagir… laisser les choses se tasser doucement jusqu’à la prochaine fois… ». Une attitude pas trop évangélique, au regard des Saintes Écritures (comme mentionné ci-dessus). Les paroles et l’agir du Christ, face aux pouvoirs religieux et politiques, invitaient à une réflexion approfondie pour trouver « la vérité ».

Faut-il continuer avec ce silence ? « Ne pas réagir » est-elle véritablement une réaction ? Il faut retrouver la place de l’Église dans les débats publics, mais pas à partir d’une tradition, pas à partir de nos sacristies, mais en écoutant clairement notre société.

Le fait de se situer face à celui qui m’insulte n’est pas une « atteinte à la liberté d’expression ou de presse » parce que celui qui est insulté a aussi des droits que l’autre doit respecter. J’ai aussi le droit d’exprimer mon désaccord et de m’exprimer librement. Nous sommes tous sujets de droit et d’obligations. Il n’y a pas que des droits, il y a aussi des lois qui permettent à ces droits de trouver leur juste mesure…

Pensez-vous que des mesures légales comme le dépôt de plainte sont un moyen efficace de combattre ce que vous percevez comme du blasphème et de l’insulte ?

C’est au moins une utilisation du droit qui me revient. Je me sens insulté, je constate que mes convictions religieuses sont bafouées, des symboles de ma croyance dénigrés… j’ai le droit de recourir aux institutions, comme individu ou comme collectivité, afin de demander réparation.

Envisagez-vous de joindre la Chapelle Miraculeuse à la plainte pour renforcer la demande de justice et montrer l’importance de cette affaire pour la communauté catholique ?

Au risque de vous décevoir, non. Je ne suis que le chapelain-recteur au service de l’annonce de l’Évangile dans le contexte de la dévotion mariale au sanctuaire Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse, je ne suis que prêtre missionnaire.

Tous mes propos qui précèdent sont à titre personnel, ils n’engagent que ma personne. Ma révolte est personnelle, tout en pensant à ces personnes que je rencontre tous les jours dans la chapelle et qui viennent de partout. Je pense à ces fidèles pèlerins qui viennent à Lourdes pour trouver réconfort et paix et, peut-être, la guérison de leurs maladies.

Je crois que cette protestation contre la caricature de Charlie Hebdo doit être dépourvue de tout « cliché » catho et les médias, comme vous, devraient demander à l’Église de France de susciter une véritable réflexion en faveur du respect des convictions religieuses de tous, pas seulement des catholiques. »

Entretien réalisé le 27 août 2024 – Propos recueillis par Philippe Marie

[1] https://www.senat.fr/lc/lc262/lc2622.html

[2] https://www.senat.fr/lc/lc262/lc2622.html

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