Anura Kumara Dissanayake a pris ces fonctions ce lundi après avoir remporté le scrutin présidentiel du 21 septembre. Il hérite d’un pays qui reste sous le joug d’une grave crise économique après une mise en faillite en avril 2022. Il incarne un tournant historique au sein d’une nation longtemps aux mains de puissantes élites politiques.
C’est une défaite cinglante pour le clan de la famille Rajapaksa, chantre du nationalisme cinghalais, qui a dominé avec autorité la politique sri lankaise durant deux décennies, installant les siens au pouvoir ou manœuvrant en coulisses. Le président sortant, Ranil Wickremesinghe, qualifié de « vieux renard », était lui aussi perçu comme un proche de ce milieu. Il était arrivé au pouvoir en 2022 pour redresser le pays, après de gigantesques manifestations qui avaient évincé l’ancien président, Gotabaya Rajapaksa, accusé d’avoir précipité le pays dans un gouffre économique.
La poursuite de cette quête de changement par le peuple Sri Lankais a motivé l’élection, le 21 septembre, d’un président incarnant la rupture face à un pouvoir longtemps synonyme d’impunité, de corruption et de népotisme. Les Sri-Lankais se sont ainsi massivement mobilisés pour se rendre aux urnes, avec un taux de participation qui s’est élevé à 77 %.
Sous les couleurs de la gauche, Anura Kumara Dissanayake, surnommé « AKD », est sorti vainqueur du scrutin présidentiel en remportant 42,3 % des suffrages, sans pour autant remporter la majorité absolue. Il affrontait le candidat centriste Sajith Premadasa, dont le père, président trente ans plus tôt, a été assassiné, et qui a obtenu 32,7 % des voix, et également face à un troisième candidat de taille, le président sortant Ranil Wickremesinghe, qui n’a pas réussi à atteindre plus de 17,2 %.
« Réécrire l’histoire du Sri Lanka »
La victoire de M. Dissanayake est un exploit : sa large coalition de gauche fondée en 2019, qui rassemble des partis, des syndicats d’ouvriers et d’étudiants, des membres de la société civile et des groupes de femmes, n’avait remporté que 3% des votes lors des élections de cette même année.
« Cette victoire est celle de tous, a commenté le nouveau dirigeant du Sri Lanka sur le réseau social X. Ensemble, nous sommes prêts pour réécrire l’histoire du Sri Lanka. »
« Je ne suis pas un magicien, a déclaré le nouveau président du Sri Lanka, Anura Kumara Dissanayake. Mon premier objectif est de rassembler ceux qui possèdent les compétences nécessaires pour redresser ce pays. »
Anura Kumara Dissanayake a prêté serment à Colombo dès ce lundi 23 septembre. D’emblée, face au Parlement, il a tenu à rassurer et à afficher une approche réaliste. Car, la gauche radicale a été la base de l’engagement politique de cet homme de 55 ans. Il est issu en effet d’une formation d’origine marxiste-léniniste, le vieux parti du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), qui ne dispose que de trois sièges au Parlement.
Fondé en 1965, ce parti communiste a été autrefois impliqué dans des campagnes insurrectionnelles et des assassinats contre ses opposants, avant de se distancier fermement de ce violent héritage. Le passé du Sri Lanka est ainsi marqué par des affrontements extrêmes : l’île a notamment été le théâtre d’une longue guerre civile opposant les Tigres tamouls, au Nord, à l’armée cinghalaise de Colombo, au Sud, cette dernière ayant arraché la victoire militaire, en 2009, dans un bain de sang. C’est exactement entre ces deux régions longtemps ennemies qu’Anura Kumara Dissanayake est né, au centre de l’île, dans la ville de Galewala.
Lors de la cérémonie de sa prise de fonction, des moines bouddhistes, issus de la puissante majorité ethnique, étaient présents pour les bénédictions d’usage, mais aussi des représentants musulmans, hindous et chrétiens appartenant aux minorités religieuses du Sri Lanka, une nation toujours meurtrie par son histoire. La veille, dans un message prônant la réconciliation, M. Dissanayake avait proclamé que « l’unité des Cinghalais, des Tamouls, des Musulmans et de tous les Sri-Lankais est le socle de ce nouveau départ ».
La pauvreté a grimpé
Excellent orateur, le nouveau président du Sri Lanka promet de soigner les maux de son pays, et de mener une politique « propre ». « Je ne suis pas un magicien, a-t-il déclaré. Je suis un citoyen ordinaire. Mon premier objectif est de rassembler ceux qui possèdent les compétences nécessaires pour redresser ce pays. » Le Sri Lanka, qui a fait défaut sur sa dette extérieure de 46 milliards de dollars en avril 2022, s’extrait peu à peu de la pire crise économique essuyée depuis son Indépendance.
Pour cela, le pays a demandé une aide du Fonds monétaire international (FMI) qui lui a été accordée en 2023. Ce plan de sauvetage du FMI a été accompagné de mesures d’austérité drastiques, qui ont touché de plein fouet les plus vulnérables. S’il n’y a plus de longues queues, aujourd’hui, devant les épiceries et les stations essence, et si l’inflation a été relativement maîtrisée, la vie reste difficile pour les habitants de l’île. En deux ans, et d’après la Banque mondiale, la pauvreté a grimpé de 25 % à l’échelle du pays.
M. Dissanayake s’est engagé à mener une politique fiscale plus équitable et à adoucir certaines mesures, afin d’alléger la vie quotidienne des Sri-Lankais. Il a notamment promis qu’il baisserait les taxes sur les produits de première nécessité. Il veut en particulier être sensible au sort de la classe ouvrière, des basses classes moyennes et des jeunes.
S’il a réussi à rassembler, c’est parce qu’il incarne les aspirations d’un peuple excédé par les manœuvres et les malversations d’une classe politicienne ultra corrompue. « Je ferai de mon mieux pour renforcer la démocratie et œuvrer au rétablissement de l’honneur des hommes politiques », a-t-il promis, assurant qu’il entendait mener une « politique propre ». Son ascension à la tête du pays signe la fin de l’influence directe du clan autocratique des Rajapaksa, accusés de corruption généralisée et d’avoir conduit l’île à sa perte.
Deux ans plus tôt, la population en colère avait envahi les rues durant des mois pour protester, avant d’investir le palais présidentiel de Gotabaya Rajapaska, le frère cadet de Mahinda Rajapaksa qui avait quant à lui dirigé le pays de 2005 à 2015. Les images de Sri Lankais sautant joyeusement sur le lit du président ou nageant dans sa piscine avaient fait le tour du monde. Gotabaya Rajapaksa avait pris temporairement la fuite et démissionné, mais les revendications et l’alternance politique espérées par le peuple ne s’étaient pas concrétisées. Le pays était passé aux mains de Ranil Wickremesinghe, proche du clan Rajapaksa, qui s’était chargé de réprimer le mécontentement populaire d’une poigne de fer.
Diplômé en sciences, le nouveau président est un fils d’agriculteur qui a fréquenté les bancs de l’école publique. L’histoire de sa vie est aux antipodes des excentricités impétueuses et du luxe de la génération élitiste qui l’a précédé aux sommets du pouvoir.
« Il y a un désir de changement par rapport à un passé où la transparence manquait et où l’impunité régnait et après une longue période de 65 ans pendant laquelle les mêmes partis ont toujours dominé la scène politique », a commenté Mgr Echchampille Jude Silva, évêque de Badulla, dans un entretien accordé à l’agence Fides.
Les dossiers troubles
Aujourd’hui, M. Dissanayake souhaite également ouvrir les dossiers troubles du Sri Lanka, et notamment faire la lumière sur les attentats terroristes perpétrés le jour de Pâques, en 2019, selon une demande répétée de l’Eglise catholique du Sri Lanka. Le nouveau chef de l’Etat a ainsi rendu visite ce lundi à l’archevêque de Colombo, le cardinal Malcolm Ranjith qui, selon l’usage, l’a félicité de sa victoire électorale et l’a exhorté à accorder la priorité aux besoins des plus démunis. D’après l’archevêque qui s’est ensuite entretenu avec des journalistes, le président lui a également affirmé son engagement à enquêter en profondeur sur les attentats de Pâques et à prendre les mesures nécessaires pour que la vérité puisse être révélée.
Et parmi les autres affaires très sensibles, et selon les vœux de nombreux Sri Lankais, le nouveau président a promis de démanteler les réseaux de corruption et de lancer des enquêtes sur les crimes et les disparitions perpétrés notamment dans l’après-guerre de Mahinda Rajapaksa. Dans l’immédiat, l’ambition de M. Dissanayake, qui promet « un changement complet », insuffle une nouvelle énergie au sein de la nation meurtrie.
( Avec Ad Extra, Antoine Buffi)