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[ SOCIETE ] “La mort tragique du jeune Nahel n’est qu’un prétexte”

Interviewé par Alexandre Devecchio pour le Figaro , le philosophe Pascal BRUCKNER livre son analyse des émeutes auxquelles nous assistons à travers toute la France:

Selon le philosophe, le déchaînement de violence observé dépasse l’émotion légitime suscitée par la mort tragique du jeune Nahel. Il révèle un profond rejet de l’État français dans toutes ses institutions, alimenté en partie par les discours incendiaires d’une certaine gauche.

“LE FIGARO : L’émotion légitime après la mort du jeune Nahel durant un contrôle de police excuse-t-elle les violences non seulement à l’égard des policiers mais aussi des pompiers ainsi que les voitures et les écoles brûlées ?

Pascal BRUCKNER : La bavure policière de mardi n’est qu’un prétexte qui a déclenché une colère pavlovienne. C’est une dramaturgie parfaitement coordonnée où les émeutiers répondent à un scénario déjà écrit depuis au moins 2005. Les violences sont permanentes dans les quartiers, elles forment un peu la bande-son de la vie quotidienne, mais, à l’occasion de ce drame, elles vont pouvoir se déployer en grande pompe. Ce sont les vacances d’été qui commencent pour les jeunes mutins avec des nuits qui promettent d’être chaudes. Remarquons que toutes les vies ne se valent pas : la mort d’un policier ou son embrasement par un cocktail Molotov ne suscitent aucune émotion, sinon les applaudissements de certains aux cris de “poulet grillé”.

Comme chaque fois dans ce type d’embrasement, les préoccupations du narcotrafic se mêlent à un rejet de l’État français dans toutes ses institutions et à un vertige nihiliste qui consiste à détruire ce qui est censé améliorer la vie de chacun. Ce vandalisme, hélas, n’est pas le propre des banlieues, il a été à l’œuvre lors des manifestations des “gilets jaunes” en 2019, en 2022 et 2023 pour les retraites avec les black blocs, les antifas et autres trublions. Le vrai cauchemar en l’occurrence serait l’alliance des Soulèvements de la Terre et des émeutiers des quartiers, des bobos verts et des néoprolétaires rejouant une impossible et introuvable révolution. Les quatre mois de chaos et d’hystérie dont nous sortons à peine ont laissé des traces : on ne déchaîne pas la violence impunément. C’est un feu qui se propage avec un mimétisme stupéfiant. Plus on la tolère, plus elle devient le seul langage du conflit. On frappe d’abord et on discute ensuite.

LE FIGARO : Ces violences sont-elles le symptôme d’une fragmentation à l’œuvre ? La situation s’est-elle aggravée depuis 2005 ?

Pascal BRUCKNER : En 2005, les émeutiers, enfants de la télévision et du supermarché, réclamaient, comme l’a dit alors l’un d’eux, “de la thune et des meufs”. Ils ne voulaient pas de révolution prolétarienne ni d’éradication de la pauvreté, mais simplement profiter du consumérisme. Bien qu’étant français, ils se sentaient freinés par leur couleur de peau et surtout par leur origine sociale et leur adresse. Tout comme aujourd’hui, ils ne portaient aucun projet, si ce n’est exprimer leur haine envers la police et brûler des crèches, des supermarchés, des écoles et des centres de sécurité sociale, dans une démarche suicidaire qui les éloignait davantage du reste de la nation.

Leur rébellion, amplifiée sur les réseaux sociaux, représente toujours une forme d’intégration négative, un rite initiatique où le combat contre la police remplace une révolte adolescente impossible contre un père absent ou inexistant. La France les ignore ou les méprise, et leur rage peut être interprétée comme un cri de déception amoureux, une manière de dire : “Nous sommes là, nous existons”. Ainsi, les banlieues ne sont pas un corps étranger à la République, mais plutôt le reflet exacerbé des passions françaises, une réserve de talents et d’énergie, mais aussi de barbarie potentielle – racisme, antisémitisme, homophobie – un réceptacle des pires instincts de la plèbe.

Les discours antipolice et les accusations de racisme systémique émanant de l’extrême gauche ont-ils nourri la haine dans certaines banlieues ?

Ce qui a changé en vingt ans, c’est l’émergence d’une ultragauche insurrectionnelle, sympathisante des islamistes radicaux, farouchement antisioniste, autrement dit antisémite, et qui rêve, faute de “grand soir”, de multiplier les nuits d’émeutes. La France insoumise et les écologistes, incapables de gouverner le pays, cherchent à le rendre ingouvernable. Depuis le film de Mathieu Kassovitz, “La Haine”, sorti en 1995, nous constatons à quel point la sauvagerie de la “caillera”, comme les bandes s’appellent elles-mêmes, fascine les médias, le monde du spectacle et de nombreux intellectuels de gauche. Ce lumpenprolétariat, “cette lie d’individus corrompus de toutes les classes”, comme le décrivait déjà Engels en 1870, séduit les sociologues, les acteurs, les cinéastes et les journalistes par sa sauvagerie et son affiliation au grand banditisme. La violence, pour eux comme pour Marx, est l’accoucheuse de l’histoire. Tous les prétextes sont bons pour justifier la brutalité des insurgés, en particulier l’alibi du “racisme systémique”, alors que l’État français est intrinsèquement antiraciste, par nature et par constitution.

La furie devient douteuse lorsque des individus excités, masqués ou encapuchonnés, agissent comme les membres de l’Inquisition

en mettant le feu aux transports en commun, en incendiant des bus et des métros, en s’en prenant aux plus faibles, femmes et enfants, en tirant à balles réelles sur les pompiers ou les policiers, sans manifester le moindre remords, se drapant dans un angélisme révolté. Pour les plus extrémistes, galvanisés par les attentats de 2015 et 2016, tuer n’est qu’un jeu, la mort infligée ou subie n’est qu’un accident ou une affaire personnelle.

Cependant, il est paradoxal de constater que ces jacqueries populaires pénalisent en premier lieu le peuple lui-même, en aggravant ses conditions de vie, et elles contribuent à l’enclavement de certaines communes, les coupant ainsi des forces vives de la nation. Contrairement à ce qui s’est passé en 2005, il semble que l’opinion publique ne témoigne aucune sympathie envers les casseurs et les incendiaires, même si tout le monde est horrifié par l’homicide volontaire qui a déclenché ces événements.

Le chef de file des Insoumis a notamment écrit sur les réseaux sociaux : “Les chiens de garde nous ordonnent d’appeler au calme. Nous appelons à la justice.” Faut-il y voir un appel à la violence ? Cela s’inscrit-il dans une véritable stratégie du chaos ? Les Insoumis peuvent-ils réellement en tirer profit sur le plan politique ?

Il est peu probable que les Insoumis profitent de ces événements, car leurs vociférations suscitent le rejet de la majorité de la population. En revanche, Mélenchon offre involontairement un sérieux coup de pouce au Rassemblement national, dont il justifie, par opposition, la culture de l’ordre et de la répression. Ainsi, main dans la main, ces deux extrêmes cheminent ensemble vers l’abîme.

Il est essentiel de comprendre que la violence qui sévit dans les quartiers défavorisés dépasse largement le simple prétexte d’une bavure policière. Elle témoigne d’un malaise profond, d’un rejet de l’État français et de ses institutions. Les discours incendiaires d’une certaine gauche ont également leur part de responsabilité dans la propagation de cette haine et de cette violence. Il est urgent de prendre des mesures concrètes pour remédier à cette situation, en rétablissant le dialogue, en offrant des perspectives d’avenir aux jeunes des quartiers et en luttant contre toutes les formes de discriminations. Seul un véritable effort collectif et une volonté politique forte pourront permettre de désamorcer cette spirale de violence et de rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions.”

Source Le figaro

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