Le paysage politique libanais, déjà profondément divisé, met en lumière un schisme persistant au sein de la communauté catholique. La récente disparition d’Hassan Nasrallah a ravivé ces tensions, mettant en exergue une fracture entre ceux qui, au sein du Courant Patriotique Libre (CPL), continuent à défendre l’alliance avec le Hezbollah et ceux qui, à l’image des Forces Libanaises, s’y opposent avec vigueur. Cette division, qui affaiblit l’influence politique des chrétiens maronites dans un pays où ils forment une minorité significative, pose la question de la cohésion d’une communauté autrefois unie autour de la défense des libertés et de l’identité libanaise.
Un héritage chrétien en péril
Avec environ un million de fidèles catholiques de rite oriental – principalement maronites, mais aussi melkites, chaldéens, syriaques et arméniens –, le Liban constitue une terre unique au Proche-Orient, où la présence chrétienne est historique et ancrée. Toutefois, la complexité du paysage politique, marqué par des décennies de conflits et d’alliances mouvantes, a considérablement affaibli cette présence.
Les catholiques représentent environ 30 % de la population du pays, aux côtés des sunnites, chiites, druzes et chrétiens orthodoxes et protestants. Sur le plan politique, ils se retrouvent principalement représentés par deux formations majeures : les Forces Libanaises de Samir Geagea, opposées au Hezbollah, et le Courant Patriotique Libre (CPL) fondé par Michel Aoun, qui a historiquement noué un pacte avec la milice chiite en 2006.
Or, cette divergence d’approche a durablement fracturé la communauté catholique. Le CPL, aujourd’hui dirigé par Gebran Bassil, défend toujours les bases de l’Accord de Mar Mikhael, signé entre Aoun et Nasrallah, malgré l’évolution des rapports de force qui a vu le Hezbollah privilégier son alliance avec les chiites d’Amal, dirigé par Nabih Berri.
Les funérailles de Nasrallah, révélatrices d’un clivage profond
L’absence de représentants des Forces Libanaises lors des funérailles de Nasrallah a contrasté avec la présence d’une délégation du CPL, répondant à une invitation du Hezbollah. Gebran Bassil, sans assister aux obsèques, s’est néanmoins rendu dans la « tente de l’Achoura » à Beyrouth pour présenter ses condoléances au fils du chef du Hezbollah.
Interrogé sur sa présence aux funérailles, Ghassan Atallah, député du CPL et ancien ministre, justifie cette démarche :« Oui, j’y ai participé avec une délégation de collègues parlementaires, sur invitation explicite de la famille. On ne peut nier que Nasrallah était un leader exceptionnel. Avec Michel Aoun, il a été l’un des principaux artisans de l’Accord de Mar Mikhael en 2006. Tous les cadres du Hezbollah n’étaient pourtant pas favorables à une entente avec les chrétiens. »
Cet hommage contraste avec la position des Forces Libanaises, qui dénoncent régulièrement le poids grandissant du Hezbollah et son influence sur la politique libanaise, notamment en ce qui concerne les relations avec l’Iran et la Syrie.
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Un accord avec le Hezbollah : pragmatisme ou trahison ?
La stratégie d’alliance avec le Hezbollah, défendue par le CPL depuis 2006, avait pour ambition de garantir aux chrétiens un rôle d’équilibre dans un pays où les tensions confessionnelles demeurent vives. Michel Aoun, artisan de cet accord, considérait que l’influence chrétienne sur les chiites était un facteur stabilisateur :
« Les chrétiens au Liban ont un rôle de médiateurs entre l’Orient et l’Occident. Ici, les chiites sont fortement influencés par les chrétiens. Contrairement à d’autres pays musulmans, au Liban, les musulmans apprécient notre liberté et notre mode de vie. Nous ne sommes pas l’Iran, il n’y a pas ici de régime confessionnel fondé sur la charia, que personne ne veut. »
Cependant, cette vision d’un Liban où chrétiens et chiites pourraient coopérer s’est heurtée à la réalité d’une milice islamiste de plus en plus enracinée et dépendante de Téhéran. Si l’accord a permis à Aoun d’accéder à la présidence en 2016 avec l’appui du Hezbollah, il a également offert à ce dernier une caution chrétienne, facilitant son influence grandissante au détriment des équilibres traditionnels du pays.
L’évolution de ces rapports de force a conduit certains chrétiens à reconsidérer leur position. Ghassan Atallah admet ainsi :« Le Hezbollah s’est progressivement éloigné de cet accord, préférant se rapprocher des chiites d’Amal, le parti de Nabih Berri. »Pour autant, il refuse de remettre en cause l’alliance conclue en 2006 :« Le CPL ne regrette pas cet accord. Nous ne l’avons jamais renié. Mais avec la disparition de Nasrallah, l’intérêt du Hezbollah pour cette alliance, qui s’était déjà affaibli, s’est encore estompé. »
Le retour des réfugiés syriens, seul point de consensus ?
Alors que les divisions entre catholiques persistent sur la question du Hezbollah, un consensus semble néanmoins émerger sur un sujet brûlant : le retour des réfugiés syriens.
Depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011, le Liban a accueilli plus d’un million de réfugiés, exerçant une pression considérable sur son économie et sa stabilité sociale. Aujourd’hui, avec l’affaiblissement du régime d’Assad, la question de leur maintien sur le sol libanais est de plus en plus contestée.
Sur ce point, tous les partis catholiques, y compris le CPL et les Forces Libanaises, s’accordent à dire qu’il est temps pour ces populations de rentrer chez elles.
Ghassan Atallah est catégorique :
« Absolument, il est nécessaire qu’ils s’en aillent. Nous les avons accueillis à bras ouverts, aidés et maintenus pendant des années. Mais si leur problème était le régime de Bachar el-Assad, maintenant qu’il est affaibli, pourquoi restent-ils ? Pourquoi l’ONU ne les aide-t-elle pas directement en Syrie, au lieu de les maintenir au Liban ? »
Alors que la Syrie commence à se stabiliser, la question des réfugiés devient une priorité nationale. Le Liban, plongé dans une crise économique profonde et incapable de supporter un tel fardeau, voit sa population de plus en plus exaspérée par une situation qui semble sans issue.
Une communauté chrétienne en quête d’unité
Face à ces fractures internes, la communauté catholique libanaise se retrouve à un tournant. Faut-il maintenir l’alliance avec le Hezbollah au risque d’une marginalisation croissante, ou faut-il rejoindre les rangs de ceux qui s’opposent fermement à son influence, au nom d’un Liban libre et souverain ?
Dans un contexte où les chrétiens du Moyen-Orient sont menacés de disparition par l’islamisme, l’exil et les pressions politiques, l’urgence d’une stratégie commune apparaît plus que jamais nécessaire. L’avenir du Liban, et celui de sa communauté chrétienne, dépendra de la capacité de ces forces politiques à dépasser leurs divisions pour préserver ce qui reste du dernier bastion chrétien du Proche-Orient.
Avec La NBussola