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Didier Rykner à Tribune Chrétienne : « La solution de Rachida Dati n’est pas la bonne »

Didier Rykner - Photo ©Amelie Marzouk
Didier Rykner - Photo ©Amelie Marzouk
"Au lieu de trouver 75 millions d’euros, nous trouverons 500 millions d’euros par an."

Dans une interview exclusive accordée à Tribune Chrétienne, Didier Rykner réagit à la proposition de Rachida Dati de faire payer l’entrée de Notre-Dame de Paris pour financer l’entretien du patrimoine religieux.

Didier Rykner*, quelle est votre réaction suite à la proposition de la Ministre de la culture Rachida Dati de faire payer l’entrée de Notre-Dame de Paris pour financer l’entretien du patrimoine religieux en France ?

Bien que l’argument de Rachida Dati soit louable, car elle souhaite trouver des financements pour la restauration du patrimoine religieux, la solution proposée n’est pas la bonne.

D’abord, il y a un aspect légal : la loi de 1905, et plus précisément l’article 17, l’empêche. Il est vrai cependant que le code de la propriété des personnes publiques suggère une autre interprétation. C’est donc aussi lié à l’interprétation que l’on fait de la loi. Compte tenu de la complexité des liens entre l’État et le catholicisme régis par la loi de 1905, il serait surprenant que l’on puisse passer outre cet article 17.

Même si nous utilisons le code de la propriété des personnes publiques, il devrait obtenir l’accord de l’affectataire. Or, l’Église de France, notamment le diocèse de Paris, s’oppose à cette solution.

Oublions cette solution, ce n’est pas possible à moins de modifier les lois.

En tant que catholique comment percevez-vous la chose ?

À titre personnel, je suis baptisé, pas pratiquant, mais je suis très opposé à ce qu’on me fasse payer pour entrer dans une église. Une église est « un lieu de refuge » et doit être ouverte à tous ; c’est un endroit où l’on peut voir « l’art gratuit, c’est le musée du pauvre ». Je suis donc d’accord avec le communiqué de Monseigneur Rey qui s’oppose fermement à l’idée d’une entrée payante pour la cathédrale Notre-Dame de Paris, affirmant que cet édifice, symbole de la foi chrétienne, doit rester un sanctuaire accessible à tous .

Je suis opposé à l’idée d’un parcours touristique payant et d’un parcours spirituel qui serait gratuit.

Pour les Parisiens, cela signifierait qu’à chaque fois qu’ils souhaiteraient voir les œuvres de Notre-Dame, il leur faudrait payer ? Ce n’est pas possible.Si l’accès devient payant, je cesserai de considérer l’église comme un lieu sacré, mais plutôt comme un musée. Cela changera la perception du lieu.

Donc que proposez-vous comme solution pour financer l’entretien du patrimoine religieux en France ?

Je propose donc trois idées pour la sauvegarde du patrimoine religieux. Ce ne sont pas des idées que j’ai inventées sur le moment, mais des suggestions que je défends depuis un certain temps.

La première a déjà été évoquée il y a quelques années par le ministère de la Culture. En France, la taxe de séjour est beaucoup plus faible que dans le bien d’autres pays. Si nous augmentons d’un euro la nuitée pour les touristes qui viennent en France, essentiellement pour visiter des monuments, ou même pour les Français qui visitent leur propre pays, faisons-les payer 1 € par nuitée.

Pour 15 jours de vacances, cela représentait 15 € de plus, ce qui est une somme ridicule. C’est une micro-taxe qui ne changera rien à l’économie personnelle des visiteurs. D’ailleurs, nous pourrons exempter les touristes à très bas revenus qui résident dans des campings, ou les étudiants.

La deuxième idée concerne les mises de la Française des Jeux. Actuellement, 1,8 % de ces mises va pour le sport, ce que personne ne sait. Si nous créons une taxe similaire sur les mises de la Française des Jeux, et que nous récupérons l’argent non pas sur ce qui est distribué à l’État (car l’État n’a pas d’argent), non pas sur ce qui est donné à la Française des Jeux (car c’est une société privée qui doit gagner sa vie), mais sur ce qui est redistribué aux joueurs, sachant qu’il y a à peu près 70 % des mises qui sont redistribuées, cela diminuera très peu le montant des gros lots et autres gains redistribués.

Il y aura toujours des gros lots et des lots normaux . C’est une taxe indolore que personne ne remarquera.

Avec la mesure précédente, cela représentait pratiquement 500 millions d’euros par an.

Pour plus de détails, voir mon article de 2018 intitulé « Mesdames et messieurs les parlementaires, et si vous vous penchiez vraiment sur le financement du patrimoine ! » ( https ://www .latribunedelart .com /messieurs -les -deputes -et -si -vous -vous -penchiez -vraiment -sur -le -financement -du -patrimoine ).

En 2018, j’ai écrit un article où je présente le détail de ces mesures. Au lieu de trouver 75 millions d’euros, nous trouverons 500 millions d’euros par an.

Enfin, ma troisième solution serait d’installer des bornes « in situ » dans l’église, à l’instar des bornes pour les dons des fidèles, où l’on pourrait payer (sans contact) en expliquant que les dons sont destinés à la sauvegarde du patrimoine ainsi qu’à l’entretien et à la restauration de l’édifice.

Je souhaite conclure en soulignant que l’interview de Rachida Dati sur la proposition de faire payer l’accès à Notre-Dame de Paris, bien qu’elle aborde des questions fondamentales pour la protection du patrimoine, est une interview qui fera date.

C’est un peu dommage que l’on soit uniquement concentré sur cet aspect. Je partage l’avis de Rachida Dati sur l’importance de la préservation du patrimoine français. Il est légitime de se poser ces questions, mais ne prenons pas cela par le mauvais bout de la lorgnette« .

Propos recueillis par Philippe Marie

*Didier Rykner est journaliste et historien de l’art, fondateur du magazine en ligne La Tribune de l’art. En 2007, il a lancé la pétition « Les musées ne sont pas à vendre », qui a recueilli plus de 3 000 signatures en réaction à la création des musées Louvre Abu Dhabi et Louvre Lens, ainsi qu’à la coopération avec le High Museum of Art d’Atlanta.

Militant contre toutes les atteintes au patrimoine français, Didier Rykner est à l’origine de la pétition pour la conservation à Notre-Dame De Paris des vitraux de Viollet-le-Duc, menacés d’être remplacés par des vitraux contemporains. Lancée en décembre 2023, la pétition comptabilise à ce jour plus de 193 000 signatures.

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