La Compagnie de Jésus, premier ordre masculin de l’Église catholique et souvent appelée les « amis du pape François », est de nouveau confrontée à une affaire délicate. L’accusation d’agression sexuelle portée contre le Père Pierre Molinié, jésuite et enseignant aux Facultés Loyola de Paris (ancien Centre Sèvres), vient s’ajouter à une série de scandales qui mettent en lumière les défis de cet ordre prestigieux dans la gestion des abus sexuels.
Le Père Pierre Molinié, âgé de 46 ans, est un prêtre jésuite et enseignant en théologie patristique, discipline consacrée à l’étude des Pères de l’Église. Il a exercé aux Facultés Loyola de Paris (ancien Centre Sèvres), où il enseignait l’histoire de l’Église, et a collaboré avec des publications telles que Christus et la Nouvelle revue théologique.
Fondées en 1974, les Facultés Loyola de Paris incarnent l’héritage intellectuel des Jésuites en France. Haut lieu d’enseignement et de recherche, elles ont récemment célébré leur cinquantenaire sous une nouvelle appellation. Mais cette année festive a été assombrie par les accusations portées contre l’un de leurs enseignants, maître de conférences en théologie patristique.
L’affaire a éclaté le 16 septembre dernier, lorsque les étudiants ont été informés que le Père Pierre Molinié était suspendu à titre conservatoire. Une semaine plus tôt, la direction de l’établissement avait communiqué cette décision à l’ensemble du corps enseignant. Dans un courrier consulté par le site Blast, Louis Lourme, recteur des Facultés Loyola, expliquait que la cellule d’écoute de l’établissement avait reçu, fin août, une plainte pour « gestes de nature sexuelle » de la part d’une étudiante. La direction a transmis un signalement au procureur de la République, conformément à ses obligations légales.
L’étudiante concernée, très impliquée dans ses études et dans la vie de la Compagnie, a requis l’anonymat. Elle a signalé les faits au référent harcèlement de l’établissement avant de témoigner auprès de la cellule de veille, dispositif mis en place pour recueillir les paroles des victimes. Le parquet de Paris a confirmé avoir reçu le signalement, tout en précisant qu’il est encore trop tôt pour déterminer si les faits relèvent de l’agression sexuelle ou du viol.
Si la gestion initiale des Facultés Loyola semble correct – suspension immédiate, signalement à la justice et accompagnement de la victime –, cette affaire s’inscrit dans une série de scandales qui ébranlent la Compagnie de Jésus.
En 2022, l’affaire du Père Marko Rupnik, un « éminent jésuite slovène« , avait déjà profondément choqué le monde catholique. Ce prêtre, célèbre pour ses mosaïques liturgiques de mauvais goût et ses prédications évasives , avait été accusé d’abus psychologiques et sexuels sur des religieuses qu’il accompagnait spirituellement. Les accusations portaient sur des abus commis lors de confessions, dans un contexte de manipulation spirituelle. Malgré l’ampleur des faits reprochés, le Père Rupnik, un proche du pape François, avait bénéficié d’un traitement qui semblait indulgent, provoquant l’indignation de nombreux fidèles et observateurs.
Cette affaire, en particulier, avait mis en lumière une gestion jugée opaque par certains. La curie générale des Jésuites, à Rome, avait initialement minimisé les faits avant de reconnaître la gravité des abus. Ces révélations avaient jeté un certain discrédit sur la Compagnie, dont le pape François lui-même est issu, et avaient suscité des appels à une réforme en profondeur de la gestion des abus au sein de l’ordre.
Dans le cas du Père Pierre Molinié, la Compagnie de Jésus a suivi un protocole interne qui suscite également des interrogations. Conformément à ses règles, le Père Molinié a été transféré de la communauté de Vanves à celle de Lyon, près de l’Institut des Sources Chrétiennes, un prestigieux centre de recherche en patristique rattaché au CNRS mais le malaise reste entier et les accusations sont bien là.
Ce transfert a donc suscité des tensions. Les membres laïcs du laboratoire, apprenant la possible arrivée du Père Molinié, ont voté à l’unanimité une motion pour lui interdire l’accès à leurs locaux. Leur demande a été entendue, et le Provincial des Jésuites, Thierry Dobbelstein, a confirmé que le Père Pierre Molinié se limiterait à des recherches personnelles, sans accès direct à l’Institut ni interaction académique ou spirituelle.
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Ce type de gestion interne, qui rappelle l’affaire Rupnik, donne une impression de vouloir étouffer l’affaire avec un déplacement discret des accusés, sans réelle prise en compte des conséquences pour les victimes ou les communautés concernées.
Avec plus de 14 000 membres dans le monde, la Compagnie de Jésus est l’un des ordres les plus influents de l’Église catholique. Elle est aussi l’ordre d’où est issu le pape François, premier jésuite à occuper le Saint-Siège. Ce lien confère une responsabilité particulière aux Jésuites, qui doivent répondre avec transparence et rigueur à ces affaires pour préserver leur crédibilité.
Le Provincial Thierry Dobbelstein, interrogé sur l’affaire du Père Pierre Molinié, a réaffirmé son engagement en faveur des victimes et la mise en place de dispositifs de prévention des abus au sein de la Compagnie de Jésus. Cependant, certains observateurs, comme le théologien Massimo Faggioli, estiment que les récents scandales continuent de mettre en lumière une certaine forme de déni ou d’autosatisfaction au sein de l’ordre. La Compagnie, réputée pour sa discipline et son excellence intellectuelle, pourrait avoir cru qu’elle était moins concernée par la crise des abus sexuels qui touche l’Église dans son ensemble.
Ces « illusions » dénoncées par Faggioli font référence à une perception erronée de son immunité face à ces problématiques, que les affaires comme celles des Pères Rupnik et Molinié viennent démentir. Ces révélations appellent ainsi les Jésuites à une remise en question profonde et à un engagement accru pour garantir la transparence et la justice.
Une réforme nécessaire ?
Ces affaires, qu’il s’agisse du Père Molinié ou du Père Rupnik, rappellent que la lutte contre les abus sexuels dans l’Église ne se limite pas à des déclarations d’intention. Elle exige des mesures concrètes, une transparence totale et une réforme culturelle en profondeur.
Le Père Pierre Molinié, présumé innocent, n’a pas répondu aux sollicitations. En revanche, ses publications ont été retirées du site de la Province d’Europe Occidentale le jour même où le Provincial a été contacté.
La Compagnie de Jésus, souvent décrite comme une « armée du Christ », est à nouveau appelée à démontrer que sa discipline et son discernement, hérités de saint Ignace de Loyola, peuvent s’appliquer avec fermeté face à ces scandales.