Il y a des usages qui laissent perplexe, et parfois, qui scandalisent. Ce samedi 30 novembre, l’église Saint-Pierre Saint-Paul d’Épernay sera le théâtre d’un hommage bien particulier : des chansons de Johnny Hallyday, interprétées par la chorale Inter-Lude. Si l’intention se veut noble, célébrer la mémoire de l’artiste disparu, le lieu et le contexte posent une question fondamentale : l’église est-elle le bon endroit pour un tel événement ?
Un détournement de sens et d’usage liturgique
Le Code de droit canonique est pourtant clair. Le canon 1210 stipule : « Dans un lieu sacré, il ne sera admis que ce qui sert à exercer ou à promouvoir le culte, la piété ou la religion, et tout ce qui est étranger à la sainteté du lieu sera interdit. » L’Église, maison de Dieu, est un espace réservé à la prière, à la célébration des sacrements et à la louange du Seigneur. La musique y est autorisée, mais uniquement lorsqu’elle est en harmonie avec la sacralité du lieu. Or, que viennent faire des morceaux tels que Retiens la nuit ou Que je t’aime dans un cadre aussi spirituel ?
Même si ces chansons touchent les cœurs des fans épleurés , elles ne louent en rien le Seigneur. Elles s’ancrent dans l’émotion humaine, parfois dans l’exaltation de sentiments, mais elles passent à côté de l’essentiel : la relation transcendante entre l’homme et Dieu. Ces titres, pour inspirants qu’ils soient pour les fans, n’ont rien à voir avec le message évangélique ou la liturgie sacrée.
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Soyons honnêtes : une chorale de 40 personnes, aussi talentueuse soit-elle, reprenant Oh Marie ou Diego, a davantage sa place dans la salle des fêtes de la mairie qu’à l’église Saint-Pierre Saint-Paul. Non seulement il n’y a pas de messe – donc pas de véritable communion spirituelle – mais l’essence même de l’Église est détournée pour devenir une scène de spectacle. Ici, les murs sacrés résonneront des paroles du Taulier de la chanson française plutôt que des psaumes ou des cantiques dédiés au Christ. L’église devient le théâtre d’un rock’n’roll spirituel sans foi ni loi.
Une répétition de l’hommage controversé de la Madeleine à Paris
Nous nous souvenons tous des obsèques de Johnny Hallyday en l’église de la Madeleine, où le lieu sacré avait été transformé en une véritable salle de spectacle. Si de nos jours Monseigneur Patrick Chauvet, recteur de la Madeleine, veille avec soin sur son église, il est aussi un témoin de cette réalité : chaque année, des fidèles désespérés par la mort de leur idole viennent lui rendre un véritable culte, confondant adoration divine et vénération profane. Ce phénomène interpelle profondément sur la perte de sens du sacré dans nos sociétés.
Le problème est plus profond. En célébrant Johnny dans un lieu consacré, c’est l’émotion qui prend le dessus sur la prière, le profane qui envahit le sacré. Saint Augustin écrivait : « Celui qui chante bien prie deux fois. » Mais encore faut-il que le chant élève l’âme vers Dieu et ne se limite pas à glorifier un artiste, aussi aimé soit-il. L’intention de rendre hommage à Johnny Hallyday est compréhensible, mais elle aurait trouvé un cadre plus adapté ailleurs. Dans une église, c’est une messe qui aurait été à la hauteur de l’élévation attendue, pas une succession de refrains nostalgico-populaires.
Un signal inquiétant pour la foi
Ce genre d’événement traduit un glissement préoccupant : celui de l’utilisation des lieux de culte comme des espaces culturels ou événementiels, reléguant leur vocation spirituelle au second plan. Que reste-t-il de la sainteté d’un lieu si chaque manifestation peut s’y inviter ? L’émotion et la mémoire d’un chanteur, même immense, ne sauraient remplacer la vraie vocation de l’Église, qui est de conduire les âmes à Dieu, pas à une communion nostalgique autour de refrains populaires.
Johnny Hallyday lui-même aurait sans doute préféré voir ses fans se rassembler dans un espace laïc et non dans un sanctuaire où sa musique, si puissante soit-elle, n’a ni sa source ni sa finalité. Alors, que cette chorale fan de Johnny laisse les églises aux chants sacrés et choisisse un lieu plus approprié à son hommage. Parce que, malgré tout, « l’envie » ne fait pas tout. Et cette fois, la vraie lumière divine ne sera pas celle des projecteurs.
Suggestion pour devenir une vraie chorale…
Si la chorale Inter-Lude souhaite véritablement s’inscrire dans une démarche spirituelle et respecter la sacralité du lieu, pourquoi ne pas intégrer quelques-uns des plus beaux chants sacrés du répertoire chrétien ? Des pièces comme l’Ave Maria de Gounod, le Stabat Mater de Pergolèse, ou encore le Panis Angelicus de César Franck élèveraient les âmes bien au-delà de l’émotion profane. Ces œuvres, profondément ancrées dans la tradition liturgique et musicale de l’Église, rappellent que le chant sacré est une prière qui s’élève vers Dieu.
En introduisant de tels morceaux dans leur répertoire, cette chorale pourrait enfin prétendre à une véritable vocation de louange et de service divin. Loin des refrains nostalgiques, ces chants sacrés permettraient aux membres de la chorale et aux auditeurs de découvrir la puissance évocatrice de la musique lorsqu’elle est tournée vers le ciel. À ce moment-là, on pourrait commencer à parler d’une chorale digne de son nom, une chorale qui honore le Seigneur plutôt que l’idole des foules.